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04 / 09 / 2023 | 60 vues
Alain Arnaud / Abonné
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ESS: un vent porteur pour une nouvelle forme d’économie

Avec cette reconnaissance historique que les institutions internationales, l’OIT, l’OCDE, l’UE, l’ONU, ont manifestée en quelques mois en faveur de l’économie sociale et solidaire, nous devons collectivement tirer parti de ce vent porteur particulièrement favorable en se souvenant qu’il a été insufflé par l’engagement tenace des acteurs de l’ESS et la prise de conscience de quelques responsables politiques convaincus qu’il faut aujourd’hui redresser la barre pour garantir un avenir désirable à une jeunesse mondiale qui sera victime des conséquences nocives du modèle de développement actuel si nous ne faisons rien.

 

Il n’échappe en effet à personne que nous sommes dans une période où notre planète va mal, ou notre monde traverse de grandes difficultés aux plans économique, social, sanitaire, environnemental, mais aussi démocratique. Et la période que nous vivons tous sur fond de tensions sociales mais aussi de guerres est sans aucun doute traumatisante et anxiogène pour beaucoup.

 

De nombreux experts considèrent que cette situation est la conséquence de la trop grande liberté laissée ces dernières décennies aux mécanismes économiques et financiers mondiaux.
 

Au-delà des progrès indiscutables qu’il a produits grâce aux sciences et aux nouvelles technologies, ce système a malheureusement amplifié les inégalités, notamment de revenus et de patrimoine, compromis les ressources naturelles et l’environnement, montré son incapacité à réduire la pauvreté, pour en arriver à ce que 10% des personnes les plus riches détiennent 75% des richesses et que près de 700 millions d’individus dans le monde vivent avec moins de 2 dollars par jour.

 

L’une des conséquences est la perte progressive de la notion d’intérêt collectif, les populations préoccupées par l’évolution de leurs conditions de vie, leur santé, leur sécurité, n’ayant en grande majorité plus confiance, ni en l’avenir, ni dans les dirigeants politiques élus pour l’éclairer.

 

De plus en plus de citoyens se replient sur eux-mêmes, abandonnent leur droit de vote, ou alors sont prêts à se laisser bercer par le moindre chant des sirènes extrémistes, ce qui constitue un risque démocratique majeur déjà bien présent dans certains pays et qui est aux portes d’autres pays.

 

C’est la raison pour laquelle les acteurs de l’économie sociale et solidaire, porteurs d’une vision humaniste et solidaire de la société et d’une façon d’entreprendre autrement pour produire, consommer, et répartir équitablement la valeur créée, doivent redoubler d’efforts pour contribuer à la transformation fondamentale du modèle économique qui gouverne le monde depuis plus de 40 ans.

 

Le reconnaissance internationale de l’ESS est donc bien venue, mais suffit-elle ?

 

Il est désormais nécessaire de concrétiser dans les Etats les orientations et recommandations porteuses de belles promesses d’un monde meilleur.


Pour ma part, je voudrais apporter une modeste contribution en mettant en évidence trois mots-clés, trois dimensions qui me paraissent essentielles pour permettre de renforcer le développement et le rayonnement de l’ESS dans le monde, et faire en sorte que cette autre façon de gérer l’économie puisse prendre plus de place dans le développement économique et social, et qu’à tout le moins les valeurs et les principes sur lesquels elle repose puissent devenir la référence du modèle économique du XXIème siècle.

 

  • En premier lieu, l’éducation, car tout part de là, et j’ajoute la formation tout au long de la vie. Il convient que l’ESS, ses principes, ses valeurs, ses activités et la part qu’elle prend dans le développement et le progrès soient enseignés tôt dans le système éducatif, car l’éducation est à la base de tout.



On est très loin du compte et il est donc nécessaire de faire pression sur les pouvoirs publics nationaux pour que les recommandations favorables à l’ESS adoptées par les instances internationales soient bien mises en application par les gouvernements et que parmi les mesures mises en œuvre soit prévue l’intégration dans les programmes éducatifs d’un enseignement sur l’ESS et ses valeurs, pour que dès le plus jeune âge on sache ce qu’est la réalité de cette forme d’économie et de ses vertus pour un monde meilleur, et que l’on s’en souvienne tout au long de sa vie.


Cela doit faire partie intégrante de l’éducation civique, celle qui permet le développement personnel dans une société organisée et favorise l’émancipation.
 

Mais il est tout aussi impératif que la formation des cadres s’imprègne de ces mêmes principes de gouvernance économique plutôt que de la doxa classique fondée sur le triptyque marché-concurrence-consumérisme qui supplante les dispositifs de solidarité et dont on voit aujourd’hui les limites.

 

Il est désolant de constater que dans les administrations, les cabinets ministériels, les formations politiques, et autres sphères de pouvoir, on ne connait pas, ou pas suffisamment l’ESS.

 

  • Ensuite, le deuxième mot-clé est l’exemplarité. Elle est nécessaire pour convaincre. Une exemplarité qui se démontre par la multiplication des initiatives de proximité menées dans les territoires, mais aussi par leur visibilité car elles sont souvent méconnues des populations et malheureusement des pouvoirs publics. Du reste, elles ne figurent même pas dans les comptes nationaux. Beaucoup d’actions sont menées localement, mais elles ne sont pas toujours identifiées comme relevant d’une forme d’économie différente de l’économie classique.

 

Cela est particulièrement vrai pour les secteurs de la banque coopérative et de l’assurance mutualiste, confrontés au marché concurrentiel et aux exigences réglementaires, et de ce fait devenus extrêmement banalisés, trop banalisés.


Une exemplarité par la quantité, mais aussi exemplarité par la qualité, car les organisations de l’ESS doivent démontrer la valeur des actions qu’elles mènent. Elles se doivent d’être innovantes, distinctives et efficientes pour répondre du mieux possible, en proximité, aux besoins des populations.

 

Un autre enjeu est aussi celui de favoriser le retour à la confiance et à l’appropriation des structures de l’ESS par les individus, devenus malheureusement de plus en plus consommateurs et de moins en moins adhérents ou sociétaires. C’est une problématique majeure que les acteurs de l’ESS n’ignorent pas mais à laquelle il n’est pas facile d’apporter une solution à court terme.

 

  • Enfin, troisième mot-clé, le rapport de force.


Pour l’ESS, améliorer sa capacité à agir et à faire entendre sa voix est indispensable. Nous avons salué les résultats obtenus dans plusieurs Etats ayant adopté des législations pour reconnaître l’ESS, nous avons accueilli favorablement la reconnaissance de l’ESS par les institutions internationales. Ces avancées ne sont pas le fruit du hasard, elles sont le résultat de nos actions collectives et de la mobilisation de nos volontés et de nos énergies. Et cela est très positif, mais ce n’est pas suffisant.

 

Si j’évoque la question du rapport de force, c’est parce qu’en face de l’ESS, il y a des forces puissantes, celle du commerce mondial dominé par les géants du numérique, celle de la finance internationale spéculative, celle des prédateurs des biens communs, celle des tenants du modèle néolibéral qui gouverne le monde depuis des décennies, toutes ces forces qui œuvrent pour la rentabilité des capitaux investis et non pour la réduction des inégalités et encore moins pour la solidarité.

 

Et je n’évoque pas cette masse considérable d’argent sale, environ 1000 milliards de dollars dans le monde, produite par la criminalité et les activités informelles. Et puis, il y a ceux qui admettent l’existence de l’ESS, mais qui ont tendance à la confiner à un rôle de réparation, à un troisième secteur qui ne serait que social, consacré aux pauvres. Ce n’est bien entendu pas comme cela que nous concevons l’ESS qui est pour nous un modèle économique à part entière, qui crée de la valeur dans de nombreux domaines et qui répond aux besoins quotidiens des populations.

 

Alors oui, il faut encore amplifier nos efforts, multiplier les alliances et les partenariats pour pouvoir faire pression sur les pouvoirs publics, qui même lorsqu’ils ont adopté des lois de reconnaissance de l’ESS, ne sont pas toujours enclins à traiter les organisations et entreprises de l’ESS à égalité avec les entreprises de l’économie classique.

 

Cet appel à la collaboration, voire au regroupement quand c’est possible, vaut tout autant pour le niveau national où il y a souvent de la dispersion des forces, que pour le niveau mondial où il faut porter une voix puissante et homogène dans les institutions internationales.


Nous n’avons pas le choix.


Face à la transformation fulgurante de la société, face aux conséquences sociales et environnementales inacceptables du modèle économique qui gouverne le monde, les acteurs de l’économie sociale et solidaire doivent se mobiliser et agir pour éviter que la promesse d’un monde meilleur ne se transforme en catastrophe pour la démocratie et les libertés.
 

C’est ce que nous devons aux générations futures.

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