L'Etat ouvre l'urne des CSE aux employeurs
Dans un nouveau projet de loi, l’État souhaite reconnaître aux représentants de l’employeur la qualité d’électeur du Comité social et économique (CSE). Au commencement était la loi, forgée par le pouvoir législatif, et interprétée par le pouvoir judiciaire.
La loi, c’est la règle inscrite aujourd’hui à l’article L. 2314-18 du code du travail et posant les conditions pour la qualité d’électeurs au sein des élections des représentants du personnel. Cette règle a franchi les réformes, notamment celle de la recodification du code du travail (1) et celle des ordonnances dites Macron.
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Article L. 2314-18 : Sont électeurs les salariés des deux sexes, âgés de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l’entreprise et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques.
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Au terme d’une jurisprudence constante (c’est-à dire d’une série de décisions identiques), la Cour de cassation a interprété cette règle de la manière suivante : « Il résulte des articles L. 2314-18 et L. 2314-19 du code du travail que ne peuvent ni exercer un mandat de représentation du personnel ni être électeurs les salariés qui, soit disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise, soit représentent effectivement l’employeur devant les institutions représentatives du personnel. » (Voir dernièrement Soc. 31 mars 2021, pourvoi n° 19-25.233).
Par conséquent, le salarié disposant d’une délégation d’autorité ne dispose pas de la qualité d’électeur aux élections du CSE. Représentant l’employeur ou étant assimilé à lui, il ne peut prendre part à l’élection de la cohorte d’élus devant laquelle il interviendra, présentera ses décisions ou répondra à leurs revendications.
Ce ne sont pas les urnes qu’il faut ouvrir, mais les élections professionnelles
Un syndicat CFE-CGC a toutefois contesté cette règle, saisissant le Conseil constitutionnel d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Comme le rappelle la juridiction, ce syndicat considérait que ces salariés, susceptibles d’être assimilés à l’employeur, étaient privés de toute représentation au CSE. Le Conseil constitutionnel a rapproché la solution de la Cour de cassation du principe de participation des travailleurs, prévu par le préambule de la Constitution de 1946 et inclus à ce titre au sein du bloc de constitutionnalité. Le Conseil a ainsi jugé que l’absence de reconnaissance de la qualité d’électeurs au CSE des salariés représentant l’employeur portait une atteinte disproportionnée au principe de participation des travailleurs (décision n° 2021-947 QPC du 19 novembre 2021). Aucune motivation ne vient à l’appui de la décision du Conseil constitutionnel.
Abrogation constitutionnelle
Par cette décision, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article L. 2314-18 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales. L’abrogation de ces dispositions est toutefois reportée au 31 octobre 2022. Les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
Depuis le 1er novembre, tout employeur (ou syndicat y ayant intérêt) pourra demander l’annulation d’élections pour lesquelles aura été exclu de la liste électorale un salarié disposant d’une délégation d’autorité de la part de l’employeur.
Un projet de loi prônant la mise en conformité
Le gouvernement, à l’occasion du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein-emploi, a entrepris de se mettre en conformité avec la décision du Conseil constitutionnel (2). Soucieux de ne pas faire apparaître cette décision comme un recul du droit des travailleurs, le gouvernement explique que son projet « inscrit pour la première fois dans la loi les critères d’exclusion en matière d’éligibilité retenus de façon constante par la chambre sociale de la Cour de cassation et non remis en cause par la décision du Conseil constitutionnel » (exposé des motifs du projet de loi). En réalité, il rend électeur et éligible aux élections CSE les représentants du chef d’entreprise.
Deux modifications sont ainsi apportées par le gouvernement :
- la première consiste en une modification de l’article L. 2314-18 du code du travail, afin de préciser que l’ensemble des salariés disposent de la qualité d’électeurs.
- la seconde consiste à reconnaître à l’article suivant la qualité d’éligible aux salariés « qui disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise ou qui le représentent effectivement devant le comité social et économique (3) » (projet d’article L. 2314-19 du code du travail).
Plaidoyer pour une participation de tous les travailleurs aux élections CSE
Il est nécessaire de rappeler que le premier tour des élections CSE emporte des conséquences sur trois niveaux de représentation :
- la représentation des organisations syndicales au sein de l’entreprise, si le quorum est atteint ;
- la représentation des organisations syndicales au niveau national et professionnel, au bénéfice des Fédérations ;
- la représentation des organisations syndicales au niveau national et interprofessionnel, au bénéfice des Confédérations.
Par conséquent, l’ensemble des salariés doit pouvoir s’exprimer à l’occasion des élections CSE, ce qui n’est pas le cas.
Sans voix, sans droits
L’angle d’analyse du Conseil constitutionnel doit appeler notre attention non pas sur les représentants des employeurs, mais sur les salariés qui sont exclus des élections professionnelles.
Est-il normal qu’une proportion importante de salariés ne soit pas inscrite sur les listes électorales ?
Et notamment lorsque le salarié vient de commencer sa première expérience professionnelle, ou a changé d’entreprise dans l’année précédant les élections ?
Doit-il rester sans voix, non seulement pour choisir les représentants dans son entreprise, mais également pour défendre ses intérêts au niveau de sa branche professionnelle, comme dans les rapports de force au niveau national et interprofessionnel ?
Si une réforme est nécessaire, elle doit porter sur les salariés exclus. Ce ne sont pas les urnes qu’il faut ouvrir, mais les élections professionnelles.
L’accroissement des prérogatives des directions d’entreprises
Les élections professionnelles, dans leur format actuel, sont le résultat de la position commune de 2008 entre des organisations syndicales. L’Etat a repris le contenu de cette position au sein d’une loi, au terme de laquelle il décide du principe des élections professionnelles dans les entreprises mais en délègue l’organisation (sauf pour les élections au sein des Très Petites Entreprises) aux Directions des entreprises.
Cette délégation se traduit par des prérogatives laissant une marge de manœuvre importante pour les Directions d’entreprise. Celles-ci peuvent décider du moment de l’organisation de ces élections (voire de ne pas les organiser), d’adresser le courrier de convocation à négocier le protocole préélectoral à une adresse et dans un format ne permettant pas d’y répondre dans les délais.
Elles décident également de la convention collective sous laquelle elles organisent ces élections.
Elles peuvent favoriser une organisation syndicale lors de cette négociation, se plaçant parfois même sous le principe de neutralité pour ne pas accepter de propagande électorale dans le protocole tout en facilitant la constitution d’une liste par ailleurs…
Les Directions d’entreprise jouissent par conséquent de pouvoirs pour modeler l’élection professionnelle à leur convenance.
Le projet de loi qui est discuté à l’Assemblée nationale pose la question de savoir si cet état de fait ne sera pas accentué et si les représentants de la Direction lors des élections professionnelles, appelés à voter – voire à être élus – seront impartiaux dans l’organisation des élections.
(1) Article L. 423-7 ancien du code du travail devenant l’article L. 2314-15 du code du travail
(2). Il est permis de regretter qu’il n’ait pas songé à se mettre en conformité avec la récente décision du Comité européen des droits sociaux, ayant estimé non conforme à la Charte sociale européenne le « barème Macron » de plafonnement du montant des dom- mages-intérêts en cas de licenciement injustifié (V. les deux précédentes éditions du Journal).
(3). Cette situation m’évoque l’échange avec un chef d’entreprise au cours d’une négociation d’un protocole pré-électoral. Celui-ci indi- quait qu’il souhaitait l’élection d’un Comité social et économique convivial, entouré de ses amis et possiblement autour d’un barbecue. Il ne voyait pas pourquoi ses amis étaient exclus de l’élection de cette instance.