Abondance ?... Insouciance ?
À l’heure où l’on annonce la fin de l’abondance et de l’insouciance, il est peut-être bon de rappeler que l’Economie sociale et solidaire est « fille de la nécessité », qu’elle répond pour une large part de ses activités « aux besoins sociaux nouveaux ou mal satisfaits dans les conditions actuelles du marché et des politiques sociales, en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés, notamment des utilisateurs et usagers » pour reprendre ici la définition de « l’innovation sociale » que donne le Haut Conseil de l’ESS
Si elle n’est pas qu’une économie de la réparation, l’ESS se confronte aux réalités sociales de notre temps. Sont-elles marquées par l’insouciance ou l’abondance ?
Notre pays compte près de 10 millions de femmes, d’hommes et d’enfants sous le seuil de pauvreté tel qu’il est officiellement défini, près de 12 millions si l’on prend en compte le seuil de pauvreté ressenti, outil de travail des grandes associations de solidarité. Des millions de Français ont, malgré un système de protection sociale longtemps présenté comme un des meilleurs du monde, dû renoncer à des soins. Au-dessus des seuils fatidiques, des millions de personnes ne connaissent que le mal-logement, la mal bouffe, la mal-vie.
Selon les études du Secours populaire conduites avec IPSOS, plus de 50% des Français vivent dans la crainte de la précarité, notamment au regard du logement, mais aussi du travail et jugent que leurs enfants seront confrontés à plus de difficultés que celles qu’ils connaissent.
Est-ce là l’abondance et l’insouciance tant évoquées cette rentrée ?
Lors de la présentation à la presse de son rapport d’activité 2021, le président de la MGEN a insisté sur le bond des prestations psychologiques qui n’est pas simplement dû aux mesures d’accompagnement postcovid mais à une détresse profonde d’une part de ses adhérents et, plus grave, parmi les plus jeunes d’entre eux. J’avais, l’an dernier, publié avec Jérôme Saddier une tribune qui prenait pour base ce que serait pour des millions de femmes, d’hommes et d’enfant un jour sans ESS.
Outre des services quotidiens, y compris dans les champs de la banque, des assurances, du sport, de la culture, de la consommation et tant d’autres champs, pour ces millions de personnes en grande difficulté c’est l’ESS qui très souvent apporte la réponse, l’accompagnement, le soutien.
Tandis que les grandes entreprises capitalistes annoncent des résultats parmi les plus importants qu’elles aient jamais engrangés, tandis qu’Oxfam révèle, d’années en années, la progression du nombres des milliardaires et l’accaparement qu’ils font des richesses mondiales, des chercheurs, dont Thomas Piketty, Lucas Chancel, Cécile Deniard et autres publient un impressionnant « Rapport sur les inégalités dans le monde 2022 » aux éditions du Seuil.
Il est temps que se dessinent, tant dans notre pays qu’au profit de l’ensemble des habitants de cette planète, des alternatives. Un renouveau des services et des entreprises publiques selon les principes qui les ont fondés, comme une ESS devenant effectivement « la norme de l’économie de demain » peuvent contribuer à ces alternatives.
Pris dans le tourbillon des rites célébrant la nouvelle loi naturelle que serait l’ordo-libéralisme, le capitalisme financier, nous en venons à ne pas considérer ce qui pourrait être notre loi si les mouvements, organisations et entreprises qui sont les nôtres voulaient coopérer à la construction d’un autre monde qui est certes possible.