Écarts de rémunération dans la fonction publique : assez de rapports, maintenant il faut des actes !
De rapports en audits, en passant par des plans d’action, l’égalité professionnelle dans la fonction publique est l’une des thématiques la plus souvent inscrite dans l’agenda du dialogue social. Pour une raison simple, le sujet fait consensus mais le chemin pour parvenir à cet objectif est beaucoup plus tortueux. Les constats ont été établis depuis longtemps, les solutions sont connues mais leurs mises en œuvre se heurtent encore trop souvent à des obstacles divers où des arguments peu rationnels subsistent encore.
La France dans le monde
- Dans l’encadrement supérieur
Le tiers des personnels d’encadrement supérieur de la fonction publique sont des femmes en France, plaçant notre pays en position médiane au regard du reste des pays du G20. La performance française se situe dans l’étiage médian, mais plus de dix points en dessous des meilleurs résultats. Ainsi, le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni ont presque atteint un taux de féminisation de 50%.
Des efforts notables ont été accomplis par de nombreux pays au cours des six dernières années, à l’image de l’Allemagne, qui a multiplié par deux sur la période son taux de féminisation (de 13 à 28%), du Mexique, qui a vu la part de femmes dans l’encadrement supérieur de sa fonction publique être multipliée par près de trois de 13 à 35%.
Notre pays s’est caractérisée par une évolution positive mais moins spectaculaire (de 21 à 33%).
Certains pays sont quasiment parvenus à présenter un taux de féminisation de l’encadrement supérieur de leur fonction publique identique à la part que représentent les femmes dans la population active.
- L’écart salarial entre femmes et hommes
L’écart de salaire entre les femmes et les hommes dans la fonction publique française (12,3% en 2019) est très proche de celui observé en moyenne dans l’OCDE. Les pays aux plus faibles écarts sont essentiellement les pays scandinaves : Danemark (4,9%), Norvège (5%), Suède (7,6%).
Etat des lieux en France
- Des écarts de salaire inférieurs à ceux observés dans le privé
L’écart de salaires nets entre les hommes et les femmes est plus faible dans la fonction publique que dans le secteur privé (respectivement 12,3% et 16,8%). Il est en diminution quasi-constante depuis dix ans. Cet écart est plus marqué dans la fonction publique hospitalière, mais il est de 1,3 point supérieur à la fonction publique d’Etat (13,6%).
Cet écart a trois causes principales :
- Une surreprésentation des femmes au sein des emplois les moins rémunérés, qui explique deux tiers de cet écart,
- Une part liée au temps de travail des femmes, plus faible que celui des hommes (temps partiel, moins d’heures supplémentaires) et aux interruptions de carrière des femmes, retardant leur avancement. Cette part explique environ 30% de l’écart salarial,
- Une part liée à des différences indemnitaires qui n’explique toutefois que 5 à 10% cet écart.
Le statut détermine pour l’essentiel les positionnements et déroulés de carrière au sein des grilles et ce indépendamment du genre. C’est donc bien des effets de « structure » qui expliquent les écarts constatés sans que les modalités de gestion des rémunérations applicables dans la fonction publique ne donnent en elles-mêmes prises au grief d’un risque de discrimination salariale.
- Une surreprésentation des femmes dans les emplois les moins rémunérés
Parmi les 10% les moins rémunérés dans la fonction publique, 70% sont des femmes. A l’inverse parmi les 1% les mieux rémunérés, un tiers seulement sont des femmes.
Les femmes sont ainsi plus présentes dans les emplois les moins qualifiés et donc les moins rémunérés dans la fonction publique. C’est vrai dans la fonction publique hospitalière en particulier, mais la situation se retrouve à une moins grande échelle dans le ministère de l’économie, des finances et de la relance où 60,3% des agents de catégorie C sont des femmes.
Ainsi, les femmes ne sont jamais majoritaires au sein de l’ensemble des dix plus hautes rémunérations de chaque département ministériel. Pour le ministère de Bercy, 3 femmes sont répertoriées dans cette catégorie.
Les femmes sont bien plus souvent que les hommes à temps partiel et sur des quotités plus importantes. Elles représentent ainsi les deux tiers des 21,9% d’agents à temps partiel dans la fonction publique. Au total, 27,6% des femmes occupant un emploi dans la fonction publique sont à temps partiel contre 11,4% des hommes seulement, ce chiffre monte à près de 35% dans la fonction publique territoriale.
Au total, tous versants confondus, plus des deux tiers des agents ayant une quotité de travail inférieure à 50% sont des femmes, ce qui contribue encore à minorer leur niveau de rémunération.
Les chiffres publiés dans le rapport social unique de Bercy pour l’année 2020 mentionnent que 20% des femmes occupent un emploi à temps partiel, contre 5,3% des hommes. Pour la seule catégorie C, elles sont 23,5% des femmes exerçant dans ce corps à temps partiel, avec des quotités allant de 50 à 90%.
A durée théorique de travail égale, les femmes sont également moins bien rémunérées que les hommes. Ceci s’explique par le fait que les femmes effectuent moins d’heures supplémentaires que les hommes et qu’elles sont plus souvent absentes.
Les interruptions de carrière des femmes, qui ont pour effet de retarder leur avancement, ont également un impact sur leur niveau de rémunération. Ceci explique pour partie l’écart de rémunération entre hommes et femmes. Il s’accroît au fil de la progression des carrières : établi à 0,8% pour les agents de moins de 30 ans, il augmente continument pour atteindre13,9% pour les 50-60 ans.
Une étude effectuée voilà une dizaine d’années sur une cohorte de lauréats du concours de catégorie C à la DGI ( Direction Gale des Impôts) et à la DGCP (Direction Gale de la Comptabilité Publique) de l’époque, démontrait parfaitement cette situation une trentaine d’années après leur recrutement. Plus de 25% des femmes étaient encore en catégorie C, alors qu’ils n’étaient plus que 11% pour les hommes.
Une autre raison a aggravé la situation : l’obligation de mobilité nationale à la DGI puis maintenue par la direction de la DGFiP ( Direction Gale des Finances Publiques), avec la bienveillance du syndicat majoritaire, pour un changement de corps en catégorie B par concours ou liste d’aptitude.
- Une féminisation croissante des emplois d’encadrement supérieur
Les corps de catégorie A+ se féminisent progressivement, avec 41,9% en 2018, mais la fonction publique de l’État est en-dessous avec seulement 40,1% de femmes.
Au sein de la catégorie plus étroite des emplois de l’encadrement supérieur et dirigeant, seul un tiers des postes était occupé par des femmes fin 2019. Il est à noter une nette progression depuis 2015 sous l’effet du dispositif des nominations équilibrées créé par la loi de 2012 et renforcé par la loi sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes en 2014. Cette loi impose aux employeurs publics un taux de primo-nominations équilibrés d’au moins 40% de personnes de chaque sexe sur les postes d’encadrement supérieur et dirigeant sous peine de pénalités.
A ce jour, seule la fonction publique de l’État n’a toujours pas atteint cet objectif, Bercy étant une exception en ce domaine.
Des écarts de rémunération persistent à Bercy
Récemment, un dossier a été adressé aux fédérations syndicales, présentant les écarts de rémunération femmes/hommes au ministère de l’économie, des finances et de la relance, suivant la méthodologie de la DGAFP (Direction Générale de l’Administration de la Fonction Publique). Si l’écart tend à se réduire ces trois dernières années, et est inférieur à la moyenne de la fonction publique, il demeure malgré tout à 8,10%.
- Des effets identifiés
Pour analyser au mieux ces écarts, la méthodologie employée distingue plusieurs effets à identifier :
- Effet temps partiel : il s’agit de la différence entre l’écart de rémunération brute et l’écart de rémunération en ETP correspondant à la différence de quotité de travail entre les femmes et les hommes,
- Effet ségrégation : en présence de plusieurs corps : écart lié à une différence de proportion femmes/hommes dans chaque corps en fonction du niveau de rémunération de ces corps (s’il est négatif, les femmes sont sous-représentées),
- Effets démographique au sein des corps : écart lié à des proportions différentes de femmes et d’hommes dans les grades et échelon :
- Effet démographique traitement, correspond à une différence d’ancienneté indiciaire moyenne au sein de chaque corps,
- Effet démographique prime, calcule l’effet de cette « ancienneté » différenciée sur les primes.
- Effet primes à corps, grade, échelon identique : il s’agit de l’écart de primes, décomposé en plusieurs catégories, à niveau strictement identique, en excluant les rémunérations liées à la situation familiale.
Premier constat, l’effet ségrégation demeure important (-7,4%), ce qui signifie que les femmes sont moins représentées dans les corps les mieux rémunérés. L’impact du temps partiel se confirme également à Bercy (-8,1%) tout comme l’effet « primes ». Les écarts sont relativement faibles en catégorie C, pour des raisons démographiques, et au fil de la grille des corps les écarts deviennent plus sensibles, même si des efforts sur les primes ont réduit le différentiel, en particulier pour les A+. Cette vision globale, qui se limite à une comparaison à corps, grade et échelon identique, donne un panorama partiel de la situation dans le ministère, puisqu’il n’intègre pas le déroulement de carrière comme nous l’avons vu précédemment.
- Des situations différenciées par directions
A la DGFiP, les écarts de rémunération sont sensibles pour les catégories A+ et agents techniques (+ de 5%), en raison d’un effet démographique important. La Douane est la direction qui connait le plus grand écart du fait de la coexistence de deux branches avec des rémunérations fort différentes au niveau du régime indemnitaire, mais également un différentiel démographique important.
De par les effets démographiques et la forte féminisation des personnels, les écarts à l’INSEE sont particulièrement favorables aux attachées et aux agentes de catégorie B. Pour l’administration centrale, l’ensemble des corps a un effet démographique négatif (en dehors des agents de catégorie C), ce qui explique des écarts de rémunération importants (de 3,9 à 5% en fonction du corps). Les chefs de mission (intégrés comme corps de catégorie A curieusement) montrent un effet « primes » très défavorable au personnel féminin.
L’effet démographique et l’effet prime entrainent un écart de rémunération de près de 3% en défaveur des personnels de catégorie A à la DGCCRF. La situation est inversée en catégorie B (4%).
Ces constats doivent être nuancés de par la méthode employée qui comporte de l’aveu même de l’administration des biais. La visibilité globale des corps ne tient pas compte des métiers et des périmètres de responsabilités. De même, l’analyse par grade complète judicieusement les résultats obtenus dans un corps.
Cette méthodologie implique même un paradoxe : un corps qui tend à se féminiser aura pour conséquence de voir augmenter l’écart de rémunération en raison d’un effet démographique négatif.
Mise en œuvre de l’accord du 30 novembre 2018
Cet accord signé par une majorité de fédérations de fonctionnaires prévoit dans son axe 3 de « supprimer les situations d’écarts de rémunération et de déroulement de carrière ». Il prévoit une obligation de mesure des écarts de rémunération et de suivi de la part des femmes et des hommes dans le grade d’avancement, pour la comparer à cette même part dans le vivier des agents promouvables.
Pour tenir ces engagements, les employeurs publics doivent présenter des plans d’action. C’est ainsi que Bercy a élaboré le sien après une concertation avec les fédérations ministérielles mais il n’a pas reçu la signature d’une majorité d’entre eux.
Notre organisation syndicale n’a pas signé ce plan d’action pour deux raisons majeures : l’une conjoncturelle, sa présentation en pleine réforme des retraites en 2019, dont les femmes auraient été les principales victimes, apparaissait presque comme une provocation, l’autre plus structurelle puisque ce plan d’action était dépourvu de moyens, en particulier financiers, pour atteindre les objectifs.
Trois ans plus tard, les faits confortent le positionnement de notre organisation. Certes des référents ont été nommés dans chaque direction, des manifestations autour de la journée du 8 mars sont régulièrement organisées, mais nous sommes toujours dans l’attente d’une mesure concrète permettant de réduire les écarts de rémunération.
L’inégalité des rémunérations entre les femmes et les hommes est inadmissible. Elle l’est d’autant plus dans la fonction publique qui se doit d’être égalitaire avec tous ses agents. Même si la situation à Bercy peut paraître moins dégradée, des marges de manœuvre persistent, encore faut-il que nos décideurs non seulement en soient convaincues mais sortent de leurs schémas de gestion des ressources humaines d’un autre temps. Notre fédération, qui voilà une quinzaine d’années a été l’une des initiatrices d’une politique volontariste pour l’égalité professionnelles dans le ministère, sera force de propositions encore demain avec ses nouveaux interlocuteurs ministériels.