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L'entretien annuel est-il dépassé ?
Globalement, 95 % des managers ne sont pas satisfaits du système d’entretien annuel. Pourtant, ce n’est pas nouveau et bien des études existent sur le sujet. Les entreprises perpétuent le processus d’entretien annuel alors qu’il est parfois jugé d’un autre temps. À bien y regarder, certains managers et collaborateurs n’en peuvent plus. Ils rejettent ce genre d’outils qu’ils considèrent dépassés et inutiles.
Un constat : plus l’entreprise est éloignée de ses collaborateurs, plus elle rentre dans le « command and control ». Nous assistons alors à des « processus polis », ces processus que l’on fait car il faut les faire.
- « Dis, Marc, tu peux remplir ta feuille dans le système car j’ai la pression d’en haut et là on va tous se faire rappeler à l’ordre ».
Alors à quoi servent les processus de ce type si le seul KPI est d’atteindre la « complétude » ou les 100 % mis à jour dans le SIRH ? Les entreprises ayant compris cela ont remplacé le traditionnel entretien annuel par des approches alternatives plus adaptées aux nouveaux enjeux du management. Quelles sont ces nouvelles méthodes et quels résultats peut-on en attendre ?
Réalité de l’entretien dans les entreprises
Avant cela, regardons la réalité de bon nombre d’entreprises : un outil inadapté au contexte actuel, chronophage et dispendieux.
Certains diront que la démarche est noble et cet article n’a pas pour vocation de la remettre en cause mais plutôt d’apporter de nouveaux éclairages alignés avec les attentes réelles des managers et des collaborateurs. Entretien annuel d’évaluation (EAE), entretien annuel de performance (EAP), entretien à mi-année etc. L’outil est parfois inadapté à la complexité et au rythme des entreprises d’aujourd’hui.
Les entreprises souhaitent plus d’agilité, de souplesse et de capacité à faire tourner l’organisation dans la direction attendue à un instant « t » et le plus vite possible. Qu’est-ce qui est encore « annuel » dans le monde réel ? Le modèle SMART qui a très longtemps été l'un des programmes de formation les plus vendus des organismes de formation, démontre désormais sa complexité et son inadéquation avec l’agilité attendue. Graver les objectifs de l'année dans le marbre (ou le logiciel de gestion des talents) en prévoyant de se revoir à mi-parcours est certainement une très bonne chose pour une partie de la population mais créateur de frustrations, de complexité et de désengagement pour certains autres. D’autant plus lorsque l'on rencontre des gens qui vous disent n’avoir pas eu d’entretien depuis plusieurs années ou des entretiens qu’ils ne qualifient ni d’évaluation ni de performances mais de simple discussion très éloignée des objectifs et réalisations du collaborateur.
Quand le constat est fait, il est déjà trop tard.
L’étude Deloitte sur les tendances des RH de 2019 précise que seuls 8 % des répondants ont instauré une évaluation en temps réel ou a minima trimestriellement, alors qu’ils sont 70 % à considérer qu’ils devraient le faire. Les deux axes privilégiés sont l’accroissement de la fréquence des entretiens (53 %) et la transformation de l’entretien de performances en entretien de développement (58 %).
L’article « Bientôt la fin de l’entretien annuel d’évaluation » paru dans Les Échos indique : « Ce rendez-vous ne correspond plus aux attentes ni des managers, ni des collaborateurs, ni des responsables en ressources humaines », analyse Philippe Burger en s’appuyant sur une étude de Deloitte sur les tendances de RH. Globalement, 95 % des managers interrogés ne sont pas satisfaits du système d’entretien annuel. Entre 60 et 70 % des employés considèrent que c’est une perte de temps. Et 70 % des responsables des RH estiment qu’il est inefficace.
Ces dernières années, j’ai été amené à accompagner des entreprises sur ces sujets et voici quelques verbatims que j’ai pu glaner selon trois catégories de personnes interrogées :
- dirigeant : « je sais que ce n’est pas clair mais comment faire mieux ? » ou « Si seulement tous les objectifs donnés étaient tournés vers ceux de l’entreprise ! » ;
- manager : « chaque année, ça me prend un temps que je n’ai pas et puis ce n’est pas si simple ! » ou « On fait simple et on s’arrange en fin d’année » ;
- collaborateur : « comme chaque année, je ne suis pas d’accord et je n’aurai pas ma prime à 100% » ou « Mon manager n’a rien voulu écouter de tout ce que j’avais fait en plus des objectifs assignés, j’suis... ».
En effet, outre le fait que l’exercice est chronophage et compliqué, les salariés fonctionnent de plus en plus en mode « projet » et attendent des retours rapides et réguliers sur leur travail. L’évolution et l’inversion de la pyramide des âges a eu un effet fort sur de nouvelles attentes managériales. Mettre en place un entretien annuel est de plus en plus vu comme un jugement et cela fausse finalement l’intérêt initial de la démarche et le rend contre-productif.
Repenser l’entretien annuel pour le faire évoluer
Alors que faut-il changer ? Cela dépend vraiment de ce qui est attendu. Si l’entreprise souhaite remettre du sens et entendre la voix des employés, alors il faut un changement radical de démarche.
Le manager doit investir le champ du sens et de sa stratégie et savoir clairement identifier et présenter à son équipe pourquoi ils vont réussir ensemble, bien plus que de leur expliquer ce qu’ils doivent faire pour réussir. Il doit clarifier les règles du jeu de son équipe et s’assurer que tout le monde est en accord. Il doit instaurer un principe de transparence où chacun comprend sa contribution et celle des autres quant à l’atteinte des objectifs de l’équipe. Pour ajouter à cela, il doit accepter l’idée que des objectifs de départ peuvent aussi être « V.U.C.A* » que l’entreprise et que les performances peut se mesurer autant sur l’agilité que sur l’atteinte systématique des objectifs individuels. Pour cela, il doit mettre un modèle d’entretien plus vertueux et plus fréquent en place, avec un principe de suivi continu en équipe plus responsabilisant.
(*VUCA : volatile, U pour incertain, complexe et ambigu)
Du feedback permanent au feedforward
Les managers sont de plus en plus incités à travailler leur capacité de feedback. Néanmoins, il a été démontré que les entreprises pratiquant le feedforward en équipe et sans hiérarchie sont plus performantes. Accepter de donner et accepter de recevoir est la condition sine qua non à un système vertueux.
Le feedforward est à l’opposé du feedback et permet à chaque personne souhaitant donner un avis éclairé de se positionner sur une démarche tournée vers le futur, contrairement au feedback. C’est un point essentiel pour réconcilier management et engagement surtout dans des équipes ou la courbe de génération Y-Z est majoritaire.
Les effets du feedback sont souvent limités et n’engagent que peu l’individu qui les reçoit vers un changement. Discuter de la situation ou du comportement passé n’a pas toujours de valeur ajoutée à l’intervention ou au changement souhaité.
Au contraire, la technique du feedforward consiste à formuler des options ou des solutions tournées vers l’avenir, sans revenir sur le passé.
Un bon feedforward se base donc sur trois règles principales :
- pour l’émetteur : rester positif et se concentrer sur la cible et non sur le passé ;
- pour le receveur : accueillir et ne pas juger, tel un cadeau qui nous est fait ;
- émetteur un jour, receveur un autre jour.
Il appartient donc au manager d'instaurer ce rituel au sein de son équipe sans que le principe de hiérarchie n’intervienne dans ce processus.
Évaluation ou développement ?
À l’heure où les soft skills sont devenues un facteur différenciant dans les entreprises, il est préférable pour le manager de clarifier le contenu de l’entretien individuel, basé sur les compétences et comportements au sein de l’équipe. Juger de performances passées est un exercice de justification difficile pour les deux parties et il est rare d’entendre des managers dire « je m’en suis sorti très bien et il est content ».
Juger des performances sur une trop longue période rend les choses stériles et frustrantes et force le manager et le collaborateur à rassembler toutes les « preuves ». Au contraire, animer des réunions de performances d’équipe permet à chacun de développer des comportements de collaboration et de camaraderie propices à l’amélioration de l’engagement des collaborateurs.
Le graal est de passer d’une méthode d’alcôve à une méthode plus informelle et collaborative où les managers ont besoin d’un réel accompagnement pour réussir ce changement.
Dans ce nouveau rôle, le manager doit mieux maîtriser l’intelligence émotionnelle et développer les principes de collaboration au sein de son équipe pour en rendre les membres acteurs autonomes et engagés. Il doit savoir identifier quand être coach, quand être manager et savoir pratiquer l’écoute active.
Cela ne doit pas remettre des temps plus personnels et individuels tournés sur l’avenir de son collaborateur en cause. Ces moments sont forts en motivation et reconnaissance et importants pour l’équité individuelle. Gageons que le gain de temps lié à l’amélioration de ce processus pourtant si important permettra au manager de se réapproprier la démarche et s’investir dans des temps davantage « rewarding ».
La reconnaissance individuelle doit trouver sa place dans la mesure des performances et dans la reconnaissance de l’individu.
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