Interrogations sur le rapprochement des hôpitaux publics des structures et établissements du secteur non-lucratif
Le combat pour l’hôpital public est simple : il suffirait de voir rapportées toutes les « réformes » successives qui, depuis vingt ans, contribuent à en démanteler les structures et, pire, à plonger l’ensemble de son personnel dans une crise profonde.
Les hommages rendus ces derniers temps à ce personnel ne changent rien à l’affaire. Les raisons ayant mené au mouvement des urgences il y a plus d’un an et qui a gagné jusqu’aux hiérarchies médicales résident dans le manque de moyens et, surtout, dans la généralisation des méthodes du management libéral dans la gestion des gens et des établissements.
Il ne s’agit pas de distribuer des primes, ni de faire applaudir, ni de suspendre de nouvelles étapes de la énième réforme. La crise touchant le directeur de l’Agence régionale de santé du Grand-Est et annonçant la poursuite des réductions d’effectifs n’a fait que révéler la duplicité d’un pouvoir engagé dans une logique libérale. Le refus d’en finir avec la tarification à l’acte (T2A) et la conception des hôpitaux comme des centres de profits vont, du fait de la crise du covid-19, considérablement aggraver la situation des établissements ; elle pourrait ainsi mener ceux-ci à s’endetter pour assurer le versement des primes au cœur de la communication macronienne.
Dans ce contexte, la note de la Caisse des dépôts et consignations, révélée par Mediapart, montre que le pouvoir (hors la communication) ne dévie pas de sa ligne ultralibérale, comme la sortie de Christophe Lannelongue.
Il ne s’agit pas d’accabler ses rédacteurs. On a livré deux noms au public pour un ensemble composite dont apparemment aucun des contributeurs ne connaissait la version telle qu’elle a circulé.
Il y a des éléments intéressants dans ce travail mais, globalement, les jugements portés par André Grimaldi, Brigitte Dormont, Pierre-André Juven et d’autres qui dénoncent une note dangereuse, sont pour l’essentiel fondés.
Je ne ferai ici qu’évoquer la très curieuse proposition de recycler des unités des croisiéristes auprès desquels la CDC est très engagée en hôpitaux flottants.
S’agissant des propositions de rapprochement des hôpitaux publics des structures et établissements du secteur non-lucratif, relevant pour certains de l’ESS, elles pourraient être considérées comme positives. En tant que membre du CIRIEC militant pour développer l’économie collective, c’est-à-dire pour la convergence économie publique/économie sociale et solidaire, je devrais m’en réjouir.
Mais deux observations doivent être avancées.
La première est le mode qui semble être choisi dans la note pour ce rapprochement : les partenariats-public-privé et les PPP. Ces procédures se sont révélées totalement néfastes pour le versant public et une commission sénatoriale dominée par la droite a parlé de « bombes à retardement » à leur propos. Dans le champ médical, l’hôpital sud-francilien aura été un gouffre financier et un désastre technique. L’hôpital public n’a pas besoin de telles aventures. En tout état de cause et avant d’envisager des partenariats il faut être rétabli dans son équilibre, dans sa pérennité par l’assomption par l’Etat de ses responsabilités.
La seconde est que le secteur non lucratif connaît des faiblesses (voire des dérives) et ce n’est pas « traîner l'économie sociale et solidaire dans la boue » que de les évoquer. Si, comme le reconnaissait Ambroise Croizat, la Mutualité en tant que mouvement a joué et continue de jouer un rôle important dans le dispositif de santé, beaucoup de ses établissements (centres de santé) notamment, sont actifs, utiles et nécessaires dans de nombreuses régions. Ils contribuent à l’accès aux soins de nombreux publics dont les difficultés vont s’aggravant avec la montée des inégalités et le problème récurrent des déserts médicaux. En revanche, s’agissant des structures de type hospitalier, le bilan est plus partagé. Si réussites il y a, elles sont rares.
- La cession récente d’un établissement mutualiste de Grenoble au secteur hospitalier privé lucratif doit nous mener à nous interroger sur la finalité de la stratégie de certains acteurs du secteur.
Par ailleurs, nous nous interrogeons de même sur la réalité de l'économie sociale et solidaire de certains autres acteurs du non-lucratif (des fondations, par exemple) dont le management relève plus des méthodes des grands opérateurs privés que de l’émergence d’acteurs de la solidarité et de la démocratie sanitaire. Ce sont ces acteurs (dont beaucoup de mutualistes, de militants associatifs, voire de coopérateurs) qu’il s’agit de défendre et non de s’offusquer quand l'on ose dire que certains rois sont nus. Ce sont aussi les promoteurs et militants de ces initiatives repérées par le Labo ESS dans sa Newsletter d’avril.
Que ce soit au sein des structures publiques que chez certaines entités banalisés de l’économie sociale et solidaire, ce qui est au cœur des transformations auxquelles nous aspirons et que l’impasse et les prédations libérales rendent urgentes, c’est avant tout la démocratie. Démocratie sociale défendue par Alain Supiot, appelée « démocratie économique radicale » par François Morin, démocratie sanitaire telle qu’elle se révèle nécessaire dans la crise actuelle et libertés publiques et individuelles défendues par François Sureau, nous voyons bien que c’est à la confiscation du pouvoir par une classe de plus en plus réduite mais de plus en plus puissante de financiers et de dirigeants au service de leur logique qu’il s’agit de mettre un terme.
Aux côtés d’une Sécu qui retrouverait ses ressorts premiers de services publics refondés pour pleinement assumer un accès égal de tous, l'économie sociale et solidaire peut être une partie prenante importante dans une transformation sociale, démocratique et écologique. Elle est de ces « futurs présents », identifiés par le philosophe Lucien Sève, qui peuvent aujourd’hui être regardés comme des préfigurations de la société à laquelle nous aspirons.