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Vigilance sur un droit social d'urgence qui régira « l’après »
Les repères sociaux sont tous ébranlés par la pandémie actuelle. Le droit du travail commence (juste) à être ébranlé à son tour, sous couvert d’urgence et de pragmatisme. Il est important de veiller aux mesures qui commencent d'être établies, aux modalités d’application, à la temporalité et aux précisions quant aux activités concernées notamment.
Un « droit social de l’urgence », dont nous ne sommes qu’aux prémices et qui devra régir les situations économiques et sociales de « l’après », se bâtit devant nous (sans concertation)…
La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 « permet à un accord d’entreprise ou de branche d’autoriser l’employeur à imposer ou à modifier les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités de prise de ces congés définis par les dispositions du livre Ier de la troisième partie du code du travail et par les conventions et accords collectifs applicables dans l’entreprise ».
En l’absence de délégués syndicaux, il faudra donc opérer comme prévu par le code du travail actuellement.
- Négociation dans les entreprises de moins de 11 salariés en l’absence de délégué syndical
L’employeur peut proposer un projet d'accord ou un avenant de révision aux salariés. Cet accord peut porter sur l'ensemble des thèmes ouverts à la négociation collective.
La consultation du personnel est organisée à l'issue d'un délai minimal de 15 jours courant à compter de la communication à chaque salarié du projet d'accord ou de révision. Les modalités de consultation des salariés pour l’approbation des accords sont fixées par décret.
- Négociation dans les entreprises entre 11 et 50 salariés en l’absence de délégué syndical
Si l’entreprise compte moins de 20 salariés, en l’absence de membre élu du CSE, l’employeur peut adopter un accord ou un avenant de révision avec les salariés dans les conditions précitées.
Les accords d'entreprise ou d'établissement peuvent être négociés, conclus, révisés ou dénoncés :
- par un ou plusieurs salariés mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche ou, à défaut par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel. Une organisation syndicale ne peut mandater qu’un seul salarié. Le salarié mandaté peut être membre ou non du CSE ;
- par un ou des membres titulaires de la délégation du personnel du CSE.
Les accords ainsi négociés, conclus, révisés ou dénoncés peuvent porter sur toutes les mesures qui peuvent être négociées par accord d'entreprise ou d'établissement.
- Négociation sans délégué syndical : entreprises d’au moins 50 salariés
En l’absence de délégué syndical dans les entreprises d’au moins 50 salariés, il existe une règle prioritaire, à savoir, la conclusion de l’accord avec un ou plusieurs élus CSE mandatés. À défaut d’élu mandaté, un membre du CSE pourra conclure des accords mais uniquement ceux relatifs à des mesures dont la mise en œuvre est subordonnée à un accord collectif par la loi.
La loi permet à tout employeur d’unilatéralement imposer ou de modifier les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés au compte épargne temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d’utilisation définis au livre Ier de la troisième partie du code du travail, par les conventions et accords collectifs ainsi que par le statut général de la fonction publique.
De fait, cette donnée nouvelle entraîne un paiement par les salariés d’une partie de la période de confinement en sachant que les dispositions prises ne fixent pas de date de fin (constat de fin d’état d’urgence sanitaire mais quid des modalités du constat de la fin de « l’état d’urgence social » ?).
La loi permet aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical.
Il faudra donc être particulièrement vigilant à la définition de ces secteurs dans la vaste notion, floue, de « nécessaires à la continuité de la vie économique et social ». Rien n’est indiqué sur les modalités de ces dérogations ni sur les compétences des CSE à l’occasion de celles-ci.
À tout le moins, les règles actuelles de consultation sur les conséquences en termes de santé, de sécurité et de conditions de travail sont, pour nous, non seulement toujours applicables mais surtout encore plus nécessaires. Les élus doivent être attentifs à ces projets de dérogation (pour lesquels les CSE pourront d’ailleurs se faire aider d’experts ad hoc).
À titre exceptionnel, la loi permet de modifier les dates limites et les modalités de versement des sommes versées au titre de l’intéressement en application de l’article L. 3314-9 du code du travail et au titre de la participation en application de l’article L. 3324-12 du même code
La loi permet de modifier les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du comité social et économique, pour permettre à ceux-ci d’émettre les avis requis dans les délais impartis et de suspendre les processus électoraux des comités sociaux et économiques en cours.
Il faut s’attendre à ce que les délais légaux de consultation et les modalités de recueil d’avis fassent l’objet de modifications. Le détail sera à examiner lors de la parution des ordonnances prises en vertu de cette loi d’habilitation.