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Caisse d’Épargne : expérimentation « scandaleuse » du banquier-entrepreneur
La presse régionale évoque un « tsunami », un « sujet tabou » brisé, « un sujet sensible », un projet « qui fait du bruit »... Pour le moins. Dès la fin mai, le groupe Banque Populaire-Caisse d’Épargne (BPCE) prévoit de créer un nouveau statut de travailleur dans le cadre d’une expérimentation au sein, a priori de trois agences des régions Bretagne et Pays-de-la-Loire.
Il s’agit plutôt d’une absence totale de statut puisque la caractéristique du « conseiller indépendant local » (« CIL ») qu’expérimentera la Caisse d’Épargne de Bretagne-Pays-de-la-Loire (CEBPL) sera d’être « indépendant » de la banque. Exeunt le contrat de travail et le statut de salarié. Les syndicats fulminent...
Tel qu’annoncé le 30 janvier en comité social et économique (CSE), ce « conseiller indépendant local » serait le mandataire exclusif de la banque, la Caisse d’Épargne de Bretagne-Pays-de-la-Loire et rémunéré par des commissions sur les produits et en fonction de son rendement. Il pourrait aussi percevoir une surprime. La CEBPL propose cette innovation dans le cadre de son projet « banquier et entrepreneur »... Tout un programme bien sûr adoubé par le groupe BPCE. Pour devenir CIL, il faudra créer une société par actions simplifiée (SAS). Si cela ne l’est pas exactement au plan juridique, cela ressemble fort au système du micro-entrepreneur ou encore du franchisé subissant une rémunération forcément variable.
Le groupe BPCE, qui a annoncé que ce CIL délivrerait des produits de la banque, pourra répondre aux projets des clients ou pourra encore démarcher les « prospects » se veut rassurant en soulignant que ce conseiller devra apporter des garanties en disposant de trois agréments et en affichant formation et expérience, par exemple avoir été cadre dans une banque ou au sein d’une société d’assurance pendant au moins deux ans. Les actes de gestion et opérations bancaires resteront dans le giron de la banque mais exclusivement par le biais du système en ligne de la Caisse d’Épargne CEBPL. Le groupe n’hésite pas à vanter les avantages de ce nouveau statut expérimental de CIL : cet « indépendant » n’aura aucun lien de subordination avec la banque, organisera son temps de travail et ses efforts comme il le veut.
Une innovation « scandaleuse »
Pourquoi une telle innovation est-elle déjà qualifiée d’ubérisation du métier de banquier ? Le groupe BPCE explique qu’il s’agit entre autres de maintenir une « empreinte territoriale » en zone rurale. Concrètement, après la suppression d’agences de pleine compétence sur le territoire notamment rural, il s’agit pour la Caisse d’Épargne de ne pas laisser filer les clients, d’augmenter ses parts de marché sans pour autant investir et payer le coût de fonctionnement d’une implantation.
Dès 2017, FO banques fustigeait la politique menée par le groupe BPCE qui annonçait alors 400 fermetures d’agences sur le territoire et le non-remplacement d’un tiers des départs en retraite, soit 3 000 suppressions de postes. Les choses ne se sont pas améliorées. Pour Mireille Herriberry (secrétaire fédérale de la section FO banques de la fédération FO des employés et cadres (FEC-FO)), la création du CIL est « scandaleuse » et « bien pire que de l’ubérisation ».
Dans son projet « banquier et entrepreneur », la Caisse d’Épargne de Bretagne-Pays-de-la-Loire (CEBPL) argue effectivement de la difficulté de recruter et de rendre les salariés mobiles dans le groupe. « CEBPL a donc trouvé la solution ; elle proposera notamment ces nouveaux statuts de CIL aux salariés actuels qui souhaiteraient préserver leur sédentarité », s'indigne Mireille Herriberry. Pour la militante, aller ainsi à la pêche aux recrutements « en interne » démontre que la direction n’écarte pas le fait que des salariés soient amenés à démissionner et à devenir CIL pour protéger leur sédentarité et la localisation de leur poste actuel.
La conquête à moindre frais
Pour Bruno Aguirre (secrétaire général du syndicat national FO (SNP-FO) pour la branche Caisse d’Épargne et coordonnateur de l'organisation au sein du groupe BPCE), le projet expérimental de CIL est « inadmissible et contesté par tous les syndicats ».
Alors que le Crédit foncier a été liquidé et que cela a induit une suppression massive d’emplois, la situation au sein du réseau Caisse d’Épargne est désormais plus que préoccupante, explique-t-il. « En quatre ans, il y a eu des milliers de suppressions d’emplois et des centaines de suppressions d’implantations d’agences sur le territoire » indique-t-il. À titre d’exemple, dans le secteur du Var et des Alpes-Maritimes (Caisse d’Épargne Côte-d’Azur) où il exerce, il précise que « 250 emplois sur 1 600 ont été supprimés en quatre ans et une vingtaine d’implantations sont passées à la trappe. Le nombre de chargés d’accueil est passé de 256 à 60 au sein de la Caisse d’Épargne Côte-d’Azur ».
Paradoxe, « la Caisse n’a jamais fait autant de bénéfices. En 2013, son résultat net s’élevait à 35 millions d’euros. En 2017, 2018 et 2019, il dépassait chaque année les 80 millions d’euros », poursuit-il. Parallèlement, il remarque que « la Caisse perd des clients. La politique consiste désormais à traiter les clients qui rapportent le moins par l’outil numérique. Les conseillers en poste dans les agences sont censés se concentrer sur les clients qui rapportent le plus ». Cette politique et ses résultats financiers correspondent à la recherche lancée par la Caisse d’Épargne de Bretagne-Pays-de-la-Loire. La CEBPL qui occupe « seulement » 10 % du marché bancaire sur son territoire (contre une part de marché de 20 % pour la caisse de Côte-d’Azur) est « dans une stratégie de conquête à moindre frais », indique Bruno Aguirre.
La fonte des vrais emplois
Si la CEBPL a obtenu du groupe l’autorisation de son expérimentation des CIL en décembre, les syndicats du comité de groupe BPCE ont demandé une réunion extraordinaire sur cette question. La réponse a été négative, fulmine Bruno Aguirre inquiet de ce que le prochain plan stratégique du groupe BPCE sera pour 2021-2024. Les salariés craignent que le projet de CIL ne se généralise dans le réseau Caisse d’Épargne et ne fasse tâche d’huile au sein du groupe.
Cette crainte surgit dans un contexte plus que morose au sein du secteur bancaire, lequel subit des suppressions massives d’emplois ces dernières années. En Europe, plus de 600 000 emplois ont disparu en dix ans, sans compter les annonces faites en 2019 affectant plusieurs banques (HSBC, Société Générale, Deutsche Bank et Unicrédit) et induisant la suppression de plus de 40 000 emplois. À l’échelon français, les emplois bancaires ont déjà payé un lourd tribut. Si, en 2011, on en comptait encore 383 000, en 2018, il n’en restait que 362 000. Concrètement, 21 000 avaient été supprimés.