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Réforme de l’assurance-chômage : le sacrifice des cadres
Muriel Pénicaud, Ministre du Travail, a présenté les grandes lignes de la réforme de l'assurance-chômage à travers un gros lapsus associant sa réforme à la « précarité ». Une formule révélatrice des intentions du gouvernement qui fait payer l’essentiel de l’addition aux cadres qui n’avaient pourtant rien demandé...
Rupture flagrante du principe d'égalité
Dès le 1er novembre, il est prévu de réduire les indemnités des allocataires dont le salaire mensuel brut est supérieur à 4.500 € de 30 %, à partir du septième mois. L’exécutif se justifie en faisant valoir que le taux de chômage des cadres est très faible et qu’il leur est plus facile de retrouver un emploi. Cet argument démagogique ne correspond pas à la réalité des chiffres. On dit que les cadres sont « trop indemnisés » alors que l'indemnisation correspond en réalité à une « assurance-chômage » pour laquelle ils sont les premiers cotisants. C’est révoltant ! Sur le plan financier, les cadres financent le régime de Pôle Emploi à 42 % pour n’en consommer que 15 %. Les cadres sont donc ceux qui cotisent le plus et les premiers à voir leurs allocations réduites. Un cadre de 52 ans qui cotise depuis le début de sa carrière et qui gagne 4.500 € bruts par mois aura ainsi moins d’allocations qu’un cadre ayant un salaire de 4 000 € bruts et trois ans d’ancienneté. Sur le plan médiatique, les cadres dont la rémunération est corrélée à la compétence, à l’investissement, à la profitabilité etc. sont une fois de plus donnés en pâture à l’ire populaire, comme symbolisant l’élite. En réalité, ceux d’entre eux qui se retrouvent au chômage sont très loin de faire partie d’une caste qui se protège toujours.
Impasse sur la réalité du travail des cadres
Affirmer que les cadres connaissent le plein emploi afin de légitimer la dégressivité est faux et dangereux. Certes, les chiffres de l’emploi des cadres sont « moins mauvais » que pour les autres catégories d’emploi. Pourtant, leur situation est loin d’être idyllique. D’abord, une fois au chômage, les cadres recherchent naturellement des postes équivalents à celui qu’ils occupaient précédemment. Or, plus ces postes sont spécialisés, plus ils sont rares. Les cadres ont ainsi moins d'occasions de retrouver un emploi rapidement. Par ailleurs, si un cadre est peut-être mieux « armé » pour ne pas rester au chômage, les processus de recrutement pour ce type d’emploi sont souvent beaucoup plus longs avec de nombreux entretiens. Ensuite, même si la Ministre du Travail ignore ce qu’est un « burn-out », les salariés qui en sont victimes éprouvent par la suite de grandes difficultés à se repositionner car ils doivent d’abord se reconstruire psychiquement.
Perte d'employabilité dès 50 ans occultée
Il reste une question essentielle que personne ne semble aborder : à quel âge devient-on « senior » en France ? Muriel Pénicaud considère « qu’un certain niveau d’indemnisation n’incite pas à un retour à l’emploi ». Le gouvernement semble indiquer qu’il faut atteindre 57 ans pour être discriminé sur le marché de l’emploi. En réalité, c’est dès 50 ans que les salariés éprouvent de fortes difficultés pour retrouver un emploi. Ainsi, la probabilité qu'un chômeur retrouve un poste chute fortement avec l'âge après 50 ans. Comme l’illustre une récente enquête du centre d'études de l'emploi et du travail (CEET) : « un homme âgé de 51 ans a 7 % (6 % pour une femme) moins de chance de quitter le chômage qu'un homme âgé de 50 ans ». Si le chômage a légèrement baissé malgré le ralentissement de la croissance, le taux de chômage des plus de 50 ans est reparti à la hausse au premier trimestre 2019. La Ministre du Travail devrait s'inquiéter de ces chiffres alors que la France détient la palme du taux d’inactivité des « seniors » (54,9 % contre 63 % pour la moyenne des pays de l’OCDE).
Action à charge contre les cadres
En définitive, des dizaines de milliers de cadres vont pâtir de cette réforme alors qu’ils subissent déjà des règles qui leur sont défavorables (comme, par exemple, le plafonnement des indemnités ou la règle de carence supplémentaire de cinq mois avant d'être indemnisés par Pôle Emploi). Même si les cadres gagnent bien leur vie, ils éprouvent les mêmes difficultés que les autres quand ils sont au chômage et ces difficultés sont proportionnelles à la baisse de leur revenu. Quand ils atteignent la cinquantaine, les salariés vivent souvent dans l’angoisse de perdre leur emploi, si ce n’est déjà fait, avec des charges extrêmement lourdes puisque, à cet âge-là, ils cumulent à la fois la responsabilité d’enfants à éduquer, de parents âgés, de remboursement d’emprunts pour se loger etc. sans pouvoir économiser le moindre euro. Baisser leur indemnisation de 30 % va injustement accroître leurs difficultés financières. Les forcer à reprendre n’importe quel emploi va forcément dégrader la qualité de leur recherche, leurs marges de négociation et, potentiellement, leur santé.
Il faut malheureusement craindre que la situation ne s’aggrave, notamment avec la prochaine réforme des retraites qui fragilisera encore davantage la population des salariés âgés. En marche vers la précarité !