Réduire ou augmenter la dépense publique : ni un tabou ni une panacée
Quels objectifs raisonnables d’évolution de la dépense publique le gouvernement pourrait-il retenir à l’issue du débat national ? Telle est la question abordée dans une tribune commune que j'ai signée avec avec Louis Gallois et Louis Schweitzer (*) dans Le Monde ces dernières semaines, qui reste d'actualité et que nous livrons pour nourrir les réflexions, à partir de nos expériences respectives et des travaux de l’association Services publics.
Cinq remarques à ce sujet
Premièrement, c’est une mauvaise méthode que d'a priori fixer un objectif de réduction du volume global de la dépense publique. Celle-ci n’est ni bonne ni mauvaise en elle-même. Elle est l’instrument d’une action publique qui s’exerce à différents niveaux (État et collectivités territoriales) et dans différents domaines (défense, sécurité, éducation, santé, culture et autres fonctions collectives).
Elle a des conséquences économiques très différentes, selon que l’on considère les dépenses de production du service public, qui contribuent, dans la comptabilité nationale, à l’accroissement de la richesse nationale et les dépenses de transfert (subventions et prestations sociales), qui redistribuent cette richesse.
Il est légitime de s’interroger sur l’utilité de ces dépenses, de chercher à en améliorer l’efficacité et de comparer la situation de la France à celle des autres pays. Mais a priori se fixer un objectif de limitation ou de réduction de leur volume global est une approche simpliste qui peut déboucher sur des décisions erronées.
Deuxièmement, s’agissant des dépenses de production du service public, la situation de la France n’a rien d’exceptionnel. Les pays scandinaves, la Belgique et les Pays-Bas dépensent plus que nous sur ce terrain. Le Canada, l’Allemagne et le Royaume-Uni sont en dessous mais pas très loin. L’instauration d’une limite à ces dépenses ne s’impose nullement mais cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à agir sur elles en jugeant de leur opportunité et en cherchant à en améliorer l’efficacité.
L’enveloppe budgétaire n’est pas un sanctuaire
Les comparaisons internationales sont à utiliser avec prudence mais elles peuvent se révéler utiles pour guider des choix qui seront d’autant mieux acceptés qu’ils s’inséreront dans le cadre d’une vision concertée à long terme.
Elles nous montrent notamment que, pour les dépenses d’éducation, la France est à peu près dans la moyenne internationale mais qu’elle dépense moins pour l’enseignement primaire : il en découle une moins bonne correction des inégalités de départ. Notre pays est en revanche au-dessus de la moyenne pour les dépenses de souveraineté (un choix politique qu’il faut, à notre sens, assumer) et les dépenses d’administration générale (c’est un terrain potentiel d’économies).
Il est légitime de vouloir faire le meilleur usage possible de la dépense. On comprend que les organisations syndicales soient promptes à voir derrière toute réduction de crédit un recul du service public mais la révision d’une enveloppe budgétaire ne saurait être considérée à tous les coups comme la violation d’un sanctuaire.
Revisiter périodiquement les « niches », fiscales ou autres
Troisièmement : dans le domaine des transferts sociaux, la France a fait des choix de société qui, selon nous, restent valables, ce qui n’interdit évidemment pas de revoir certaines modalités de leur mise en œuvre.
Notre pays est en tête du classement international du volume des dépenses, pour deux raisons principales. La première est mécanique. En France, les prestations de retraite sont versées par des régimes à caractère obligatoire, dont les dépenses sont comptabilisées comme publiques, alors qu’ailleurs une partie plus ou moins forte de ces prestations, tout aussi importantes en volume, sont dispensées par le canal de régimes privés d’assurance.
La seconde tient au fait qu'avec les prélèvements fiscaux et les prestations sociales, la France a mis un dispositif de redistribution en place, qui lui permet d’assurer une correction notable des inégalités de revenus : d'un à huit au départ, elles ne sont plus que d'un à quatre à l’arrivée.
Il est permis de remettre ces choix en cause. Nous ne le faisons pas pour notre part mais on ne peut pour autant ignorer les questions lourdes qui se posent, notamment sur l’âge de la cessation d’activité et l’harmonisation des régimes de retraite, l’organisation de l’assurance chômage, l’efficacité de la lutte contre la pauvreté et le réalisme ou la nocivité de l’idée de revenu universel.
« Ce n’est pas le mot d’ordre simpliste de la baisse des prélèvements qui est sorti du grand débat mais des propositions visant à une plus grande justice fiscale »
Quatrièmement : dans le domaine des transferts économiques où, on le souligne moins souvent, la France a également un niveau élevé de dépense, nous pensons qu’il est possible d’agir dans trois directions. D’abord, dégager les lignes de force (l’aide à la recherche, l’innovation et la transition écologique), aujourd’hui brouillées par l’extrême diversité des actions engagées au gré des politiques successives, menées parfois sous la pression de tels ou tels intérêts. Ensuite, remettre des situations acquises en cause et périodiquement revisiter les « niches », fiscales ou autres, aménagées au fil du temps. Enfin, simplifier les dispositifs, en remplaçant les aides en espèces peu efficaces par des allègements de charges, par exemple.
Contraintes
Cinquièmement, les contraintes financières qui pèsent sur l’action publique ne peuvent évidemment pas être ignorées. Elles sont de deux ordres. D’abord la contrainte de la soutenabilité des prélèvements obligatoires, qui structure à la fois le fonctionnement de l’économie et notre conception de la justice sociale. Pourtant, ce n’est pas le mot d’ordre de la baisse des prélèvements qui est prioritairement sorti du grand débat mais plutôt des propositions, parfois contradictoires, visant à une plus grande justice fiscale.
Ensuite, la contrainte d’équilibre budgétaire. Il n’est évidemment pas question d’enlever aux responsables de Bercy la tâche ingrate de veiller à l’élaboration d’un budget qui tienne la route. Depuis un quart de siècle, des normes européennes sont appliquées dans ce domaine. On ne peut en contester le principe, même si, comme nous le pensons, on estime qu’elles devraient être assouplies.
La dépense publique n’est pas un prélèvement indu sur la richesse de la Nation. La réduire ou l’augmenter n’est ni un tabou, ni une panacée. Cela ne doit pas être le préalable mais le résultat de choix politiques.
Les auteurs
- Jacques Fournier, ancien secrétaire général du gouvernement (de 1982 à 1986), président de Gaz de France (de 1986 à 1988) et président du conseil d'administration de la SNCF (du 24 août 1988 au 5 mai 1994)
- Louis Gallois, président du conseil de surveillance de PSA Groupe.
- Louis Schweitzer, président d’honneur de Renault.