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17 / 10 / 2018 | 18 vues
Rémi Aufrere-Privel / Membre
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Congrès international des cheminots à Singapour : une forme de « radicalisation moderne » qui pourrait éloigner des réalités ferroviaires

« Renforçons le pouvoir des travailleurs des transports » est le thème du congrès 2018 de l'ITF, première confédération syndicale mondiale pour les salariés des transports, qui s'est ouvert ce dimanche 14 octobre 2018, dans la cité-État aseptisée propre et moderne de Singapour.

L'ouverture des travaux a semblé surprendre quelques délégués ne connaissant que peu le fonctionnement de l'État singapourien présenté par certains dirigeants chinois de la fort mal nommée « République populaire » comme l'une des réussites d'un système où, somme toute, l'opposition politique est réduite à sa portion congrue malgré le départ en retraite du « père » de la Nation singapourienne, Lee Kwan Yew, il y a déjà quelques années.
  • Pour ma part, il s'agit de mon troisième séjour ici. Le premier date de 1994 et c'était pour la réunion de coordination des organisations syndicales affiliées à la CISL (depuis devenue CIS) pour des programmes de soutien (réunion d'organisations syndicales donatrices) pour l'émergence de syndicats indépendants, notamment en Indonésie avec le SBSI et Mokthar Pakpahan (1992-2003) distingué comme l'une des personnalités parmi les plus influentes au monde par certains journaux nord-américains (Most 100). À l'époque déjà, j'avais été invité par les camarades singapouriens pour séjourner dans leur club de vacances et de golf dans l'île-État. J'avais rencontré le secrétaire général du syndicat unique qui était ministre du gouvernement de Lee Kwan Yew. De ce côté-là, rien n'a changé et nous avons donc écouté en toute cordialité syndicale le SG du syndicat qui cumule avec la responsabilité de ministre et appointé auprès du bureau du premier ministre. Voilà pour un cliché rapide de Singapour et le syndicalisme moderne « indépendant » du pouvoir. Mais si vous en parlez à des Singapouriens essentiellement de la majorité chinoise, ça marche très bien merci...
Revenons aux idées et débats concernant les salariés des transports ferroviaires.

Un premier texte présentant le ton de cette conférence est donné par la présentation analytique (en point 4.2) :

« Les conséquences des politiques de privatisation ont été négatives, la privatisation étant synonyme d’injection de capitaux privés dans un but lucratif. Dans de nombreux pays, elle a entraîné une dégradation des services et la fermeture de lignes ou réseaux tout entiers. Pour les travailleurs, la privatisation entraîne des pressions sur les salaires, le temps de travail, la formation, les retraites et les autres avantages sociaux. De nombreuses fonctions sont externalisées et les travailleurs sont contraints de travailler à temps partiel ou sous contrats zéro heure. S’il est vrai que de nombreux syndicats ont réussi à braver ces changements et sont toujours en position de force, d’autres ont eu moins de réussite et voient leurs effectifs et leur influence politique décliner. La première réaction pourrait être de vouloir endiguer ces privatisations et restructurations mais il est néanmoins important que les syndicats prennent conscience de la situation et mettent au point des stratégies pour organiser les travailleurs touchés par une restructuration. L’organisation des travailleurs des sociétés ferroviaires restructurées et privatisées doit devenir l’une des priorités des syndicats des cheminots pour renforcer l’influence syndicale et mettre en œuvre des campagnes stratégiques qui pèseront du poids industriel et politique nécessaire sur les futures évolutions du secteur ».
  • Côté syndicalisation ferroviaire, la situation tend à s'améliorer très modestement selon les chiffres d'adhérents pour 2018. Entre 2014 et 2018, les affiliés cheminots sont passés de 1 105 847 à 1 113 187. Mais il faut préciser que le chiffre était de 1 428 690 en 1998. On peut donc dire que la chute semble connaître une stabilisation dans les effectifs syndicaux du ferroviaire.
  • La répartition des syndiqués ITF sur la planète montre un effet très grossissant pour l'Europe qui détient à elle seule plus de 52 % des effectifs, suivie par la région Asie-Pacifique avec plus de 30 %, puis, très loin derrière, l'Amérique Latine, les Caraïbes et l'Amérique du Nord, avec un peu plus de 5 % chacune. Enfin, l'Afrique et le monde arabe suivent faiblement avec moins de 4 % et 3 %. Ces effectifs reflètent aussi le développement et l'existence de réseaux ferroviaires dans le monde, l'Afrique et le monde arabe consacrant peu au ferroviaire (hors transports de fret dans quelques pays africains, par exemple).

Parmi les motions déposées, une première motion déposée par le syndicat RMT connu pour un ancrage politique sur la gauche du Parti Travailliste anglais (et donc de Jérémy Corbin) voire de certains groupuscules d'extrême gauche.

Cette motion tente d'engager un mouvement de renationalisation des chemins de fer au Royaume-Uni et dans le monde entier. Derrière une revendication qui peut paraître audacieuse voire excessive pour de nombreux dirigeants politiques libéraux et conservateurs, il ne faut pas manquer d'indiquer le cas singulier en Europe des chemins de fer britanniques.

Reconnaissons que le chemin de fer anglais fonctionne mieux aujourd'hui mais il revient de très loin, après les années de grand déclin lié aux politiques ultra-libérales des années Thatcher et de celles qui ont suivi.

Les Britanniques ont vécu deux décennies particulièrement pénibles quant à l'abaissement des niveaux de sécurité et de qualité. Mais depuis plusieurs années et la reprise du contrôle du réseau ferroviaire par l'État, la qualité et la réduction des retards et des accidents est assez remarquables. Sauf que les tarifs imposés aux voyageurs ont littéralement explosé et de nouveaux problèmes de retard ont vu le jour ces derniers temps. Un mouvement important des voyageurs qui se coalisent pour protester contre cette hausse de prix la plus importante de toute la planète montre une colère réelle des clients du rail, surtout de la part de ceux qui doivent utiliser le rail britannique au quotidien.

Ces coalitions-associations d'usagers revendiquent ni plus ni moins que la « renationalisation » des chemins de fer du Royaume-Uni et ce mouvement sort largement du cadre habituel des groupes d'extrème-gauche voire du syndicat RMT et du syndicat ASLEF eux-mêmes.

Dès lors, cette idée présentée comme très « gauchiste » voire très décalée partout ailleurs en Europe devient presque logique en Grande-Bretagne.

Évidemment, la comparaison précise avec d'autres pays européens pourrait paraître excessive mais c'est peut-être un nouveau départ vers d'autres idées favorables à de nouvelles formes de contrôle public.

Une seconde motion déposée par le syndicat français CGT cheminots semble surtout être un élément de soutien pour la candidature de l'un de ses membres pour la présidence du comité des cheminots ITF dans ce congrès. Sa trop grande précision a provoqué son renvoi en bureau. Manifestement, le zèle déployé par cette organisation n'a pas connu le succès escompté, du moins au niveau administratif et du fonctionnement habituel de l'ITF. Ce défaut de préparation est surprenant ou montre une méconnaissance des rouages habituels de l’ITF. Cette motion participe partiellement au même esprit que la motion déposée par les Britanniques de RMT, sans avoir le même degré de crédibilité, vu la situation un brin différente de celle de la France.

Un représentant russe est aussi intervenu sur la privatisation de même qu'un délégué indien. À noter qu’Alexander Kirchner (président du syndicat allemand EVG) a probablement mis le doigt sur le plus important des défis : analyser avec plus de précisions pour comprendre et agir avec intelligence et ciblage sur les processus pour développer la syndicalisation du contexte concurrentiel. Un langage constructif que partage pleinement la CFDT pour aller au-delà des discours habituels et rhétoriques contre la privatisation qui apparaissent trop souvent en dehors de la réalité vécue par les nouveaux cheminots des entreprises ferroviaires privées et publiques qui sont toutes dans le « marché ferroviaire », malgré le discours syndical mondial et européen.

Un délégué coréen a expliqué un combat syndical contre l’extrême fragmentation engagée par le gouvernement dans les années 2003-2005. Il a précisé 74 jours de grève et aussi un « chemin vers la paix » faisant sans doute référence aux propos du Président sud-coréen dans les discussions historiques relatives à une Corée divisée.

L'un des moments « politiques » de la conférence des cheminots a été l’élection du président du comité cheminots de l’ITF, Oystein Aslaksen (syndicat conducteurs norvégiens) syndicaliste expérimenté et brillant, ne se représentant pas, ainsi que l’élection des vice-présidents et représentante (deux candidates Inde et Botswana).

Assez exceptionnellement, nous avions pris connaissance de l’existence de quatre candidats (CGT France, ASLEF Grande-Bretagne, AIRF Inde, La fraternidad Argentine). Cette pluralité n’est vraiment pas habituelle.

L’auto-présentation des candidats a été intéressante. D’abord par ordre alphabétique, le candidat de la CGT, très axé sur la combativité et son parcours personnel employant le « je » à dessein, en appuyant sur le côté défensif de « tous » les cheminots (en opposition au candidat britannique, leader d’un syndicat de conducteurs de trains).

Un langage très « anti-privatisation » basique avec peu de prospective et de perspectives, hormis celle (certes essentielle) du combat permanent qui séduit en général les bases syndicales et sert bien les effets simples de communication.

La prise de parole du candidat argentin Julio Sosa a essentiellement été axée sur l’intérêt de défendre les syndicats hors d’Europe et sa candidature, retirée le jour d’avant, semble être revenue sur demande de certaines organisations d’Amérique Latine et d’Asie, voire de certains dirigeants de l’organisation internationale, pour faire respecter la plus juste représentation de tous les cheminots de toute la planète au sein de ce comité. De même qu'un rappel sur sa grande ancienneté en tant que dirigeant syndical argentin présent depuis plusieurs décennies aux réunions et activités ITF.

Enfin, l’intervention de Simon Weller, candidat porté par le syndicat ASLEF britannique, qui a porté sur des éléments de réflexion et stratégiques forts sur le thème de la « conduite du changement » devant être mené par les syndicats contre la libéralisation tout en menant de nombreuses réflexions et actions sur la modernisation du ferroviaire, sans omettre d’engager une vraie analyse et retour d’expériences au sein du secteur ferroviaire pour comprendre les échecs et les réussites des combats syndicaux. Ce discours progressiste et intellectuellement clair est paru le plus moderniste tout en s’inscrivant dans des combats syndicaux classiques en pensant des perspectives nouvelles pour le ferroviaire.

L’élection se déroulant sur un seul tour, à la majorité simple, le résultat n’est pas forcement révélateur d’alliances ou d’enthousiasmes particuliers. Le représentant cheminot CGT a été déclaré élu président, ce qui n’a pas manqué d’étonner certains participants vu que la motion de son syndicat avait été rejetée pour renvoi en bureau en début de réunion.

Le représentant argentin a été élu vice-président vu la volonté d’autres syndicats de porter un représentant non-européen à la vice-présidence. Le responsable britannique d’ASLEF a aussi fait les frais de cette situation. Certains observateurs ne manqueront pas de remarquer que cette élection peut signifier une forme de « radicalisation moderne » qui pourrait éloigner ce comité ITF des réalités ferroviaires quand des intervenants insistaient sur l’analyse attentive de la situation et l’absolue nécessité de mener le changement et non de le subir par les habituelles et rituelles manifestations-rassemblements syndicaux trop limitées dans leur portée pour « conduire le changement » par revendications et négociations.

La représentante indienne a été élue représentante du comité cheminots face à une excellente dirigeante syndicale africaine expérimentée et portée par trop peu de suffrages vu la faiblesse du continent en matière de mandats.

Hormis ces débats, les interventions ont permis de comprendre des situations de quelques pays qui connaissent généralement les conséquences de la privatisation-libéralisation partout dans le monde. Le mot d’ordre « anti-privatisation » est ainsi apprécié différemment selon les syndicats et les pays, certaines organisations ayant bien intégré à la fois la nouvelle situation des transports ferroviaires dans leur pays et les demandes des voyageurs-usagers-clients et autorités publiques. Force est de constater que ceux qui utilisent des slogans anti-concurrence ne sont pas toujours ceux qui la subissent. Mais c’est toujours l’exercice des discours syndicaux assez convenus pour montrer une détermination sans faille, même quand la réalité est celle d’un dialogue social réel mais difficile en deçà du ton du verbe employé en réunion ITF.

Concrètement, que reternir de cette conférence cheminote pour l’utilité du mouvement syndical ? Des contacts bilatéraux pour construire et agir sur des réseaux ferroviaires opérés par des grands groupes de transports multimodaux et leurs nombreuses filiales et des informations sur réussites et échecs des actions syndicales.

À travers sa conférence cheminots, l'ITF semble faireface par la diversité des syndicats qui la composent. Mais il faut remarquer une évolution pour l’élection de responsables inscrits dans des orientations politiques plus dures face aux difficultés à faire vivre le dialogue social (quand il existe). Certaines organisations syndicales affiliées pourront s’interroger sur la capacité de l’organisation internationale à peser plus positivement sur le monde des transports ferroviaires, au-delà des incantations au combat social et aux diverses démonstrations, journées mondiales et autres rassemblements et expressions rituelles.

Ce sont parfois les mêmes qui gèrent leurs actions nationales en prenant comme base la codétermination et le dialogue social très dynamique alors qu’ils apprécient ou relativisent l’élection de responsables internationaux et les discours « sur le tonneau ».

Ce sont là des contradictions habituelles pour des participations à des congrès mondiaux et européens mais elles n’engagent pas le multilatéralisme syndical dans des perspectives très concrètes, hors une communication combative.

L’avenir de l’ITF, y compris idéologique, ne doit pas et ne peut pas ressembler, de près ou de loin, à celui de la Fédération syndicale mondiale (organisation regroupant ce qui reste des syndicats officiels des pays communistes). Ce rapport peut paraître caricatural aujourd’hui mais certains propos rapprochent des discours plus « politisés » que véritablement syndicaux. Un débat logique dans ce qui devient la seule organisation syndicale internationale des transports relativement représentative qui doit prendre toute la mesure des défis actuels et à venir.

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