Organisations
La réforme ferroviaire française pour les nuls : le cadre social (1)
Celles qui ne le sont pas non plus…
Le transport ferroviaire et les Français, cela a toujours été une histoire de transports moureux.
Les voyageurs, les chargeurs, les élus, les cheminots… Bref, tous les citoyens ont toujours eu une relation très exigeante par rapport au train. On trouve rarement des gens opposés au train (sauf concernant les projets du rail qui passeront dans leur jardin ! « NIMBY » agit aussi ici) (1).
On (pronom volontairement indéfini signifiant tous et personne) lui demande beaucoup, très souvent autant qu’à l’État, État fantasmé dans la République française. Le chemin de fer national doit servir tous, partout et en même temps. On lui demande d’être toujours efficace et le regard qu’on lui porte est celui d’une appropriation personnelle et collective quasi-totale.
Forcément, comme on lui demande beaucoup (et souvent trop), on est déçu et on proteste. Mais on estime que notre train est bon malgré tout.
Après ce rappel à la passion du train, à sa présence et participation très fortes dans l’histoire politique et sociale de la France, dans les moments heureux et les instants plus pénibles de l’histoire nationale, nous allons vous conter une histoire, ou plutôt l’histoire « moderne » (donc récente) de la construction d’un « nouveau cadre social » pour le chemin de fer français.
Dans cette histoire (vraie), comme dans tout roman, il y a des méchants et des gentils. Il y a des gentils qui deviennent méchants et inversement. Il y a parfois des personnages qui semblent être peu mais qui font (hors lumière du commun) beaucoup sans tomber dans le « complotisme ». C’est une histoire qui se situe dans l’espace et c’est bien cette passionnante géométrie car elle est en dehors de la platitude. Le train en France et en Europe se situe sur des montagnes russes.
Au final, cette histoire du « cadre social » est une petite partie de la vie individuelle et collective de millions d’individus.
Au commencement était l’ouverture à la concurrence dans le fret ferroviaire…
Dès les années 1960, le groupe SNCF a bien perçu l’intérêt de l’intermodalité, que ce soit pour le voyageur ou pour les marchandises. Des entreprises filiales de l’entreprise publique (constituée à la suite de la loi de 1937) (2) ont été créées pour assurer le transport « de bout en bout ».
À compter de la fin des années 1970 s’est opéré un vaste mouvement de libéralisation des échanges économiques en Europe. L'une des marques concrètes pour le transport a été la mort de la tarification routière obligatoire (TRO) qui était une grille tarifaire permettant de réguler le prix du transport de fret par la route.
Puis est arrivéa l’avalanche de décisions de la CEE (devenue UE) pour ouvrir au « marché » l’ensemble des services organisés en réseau et évidemment les services publics.
Bien sûr, ce sont les premiers méchants (les libéraux) qui ont placé cette libéralisation en usant abusivement du principe de liberté et d’affirmation d’une « concurrence libre et non faussée » pour opérer cette « ouverture ». Cette ouverture a été présentée assez faussement comme source de croissance et de baisse des prix pour tous.
Progressivement, le prix payé par l’usager final des transports est devenu irréel. Ainsi, le citoyen lambda (ni gentil ni méchant, lui) a pu prendre l’avion pour 30 francs et ensuite 5,99 euros ! Bref, le bonheur de la croissance par les prix bas devenait réalité.
Par son infrastructure lourde et son organisation obligatoirement cadrée pour respecter un très haut niveau de sécurité, par ses coûts totalement internalisés (donc impossible à comparer de façon impartiale avec d’autres modes de transport), le train est apparu toujours plus cher et toujours peu « flexible ».
Le chemin de fer est donc le dernier grand service public organisé en réseau à connaître les bienfaits de la « libéralisation heureuse » par les eurocrates, ni méchants ni gentils au départ de cette histoire, même si certains ont fait beaucoup de zèle pour respecter le contenu des traités européens (certains sont ainsi devenus méchants).
Tout a commencé par ce qui était le plus simple à toucher (3) : le transport de fret avec la directive européenne de libéralisation en 2004 (dir. 2004-440).
Il est assez ironique de constater que la création des entreprises ferroviaires privées en Europe a été à l’origine des sociétés appartenant et/ou contrôlées par des entreprises ferroviaires publiques historiques. La DB, groupe public ferroviaire allemand s’est employé avec ardeur à s’implanter dans le secteur de la logistique, de la poste et des filiales, comme Euro Cargo Rail en France, et la SNCF, fleuron public (celle du « Front Populaire » de la loi de 1937) notamment VFLI vrai faux-nez de cette libéralisation.
Le langage à vocabulaire multi-directionnel de la direction du groupe SNCF allie hypocrisie et cynisme avec la confusion et une franche opacité comme méthodes.Le méchant (visible) semble être les dirigeants de VFLI. Mais, comme dans le théâtre d’ombres, le « vrai méchant » est celui qui « tire les ficelles », le vrai patron : le président de la SNCF avec ses collaborateurs en départements financiers et stratégiques. Ils sont zélés et ils le prouvent au quotidien. Leur servilité à avancer vite et fort montre que le langage à vocabulaire multi-directionnel de la direction du groupe SNCF allie hypocrisie et cynisme avec la confusion et une franche opacité comme méthodes.
À compter de 2005, plusieurs entreprises ferroviaires ont été créées. Parmi elles, Euro Cargo Rail (société filiale d'EWS International), fondée en février 2005, rachetée par le groupe DB Shenker Rail en 2007, sans compter les quelques filiales privées du groupe SNCF.
2007 a été l’année de l’application du plan VERON à fret SNCF, avec pour objet principal la « réorganisation du pilotage opérationnel de la production ». Ce programme n'a pas permis pas à l’entreprise publique de résoudre le problême majeur de l’amélioration de la rentabilité (par la réduction des pertes). Cela a aussi été la période politiquement discutable des discours péremptoires et violents de l’un des responsables de la SNCF, Luc Nadal (un vrai méchant, celui-là), qui n’a pas hésité à menacer le haut encadrement de fret SNCF de privatisation de ce secteur (4).
2007 a marqué l’ouverture des travaux de la commission mixte paritaire nationale de la CCN du fret ferroviaire (privé puisque hors EPIC SNCF). L’UNSA et SUD rail ne sont pas présents les premiers mois de ses négociations n’ayant pas leur représentativité reconnue dans le secteur. La seconde organisation syndicale représentative (dans l’EPIC SNCF) « réformiste » à la SNCF a rejoint la négociation un bon semestre plus tard (SUD rail quelque temps plus tard).
Cette vraie première négociation collective de branche dans le ferroviaire a été particulièrement instructive. En effet, le 14 octobre 2008, l’accord sur l’organisation et l’aménagement du temps de travail (fret ferroviaire) a été signé par les syndicats CFE-CGC, CFTC et UNSA (5).
(1) « NIMBY » de l’anglais « not in my backyard » (« pas dans mon jardin »), soit « pas de ça chez moi ».
(2) Près de 1 000 sociétés filiales constituent le groupe SNCF. À compter des années 1960, la SNCF a développé son offre de messagerie avec l’innovation de la desserte En Surface et des entreprises routières (telles que la CCC, compagnie centrale de commionnage etc.) puis la création en 1970 du SERNAM (service national des messageries de la SNCF, service intégré à la SNCF et comportant en majorité des agents SNCF, hors services de livraison).
(3) Le fret ferroviaire n’était pas un sujet particulièrement évoqué dans l’opinion publique. Seuls les syndicats de cheminots et quelques associations environnementales (FNE…) et des élus directement concernés localement ont été sensibilisés, malgré les travaux très interessants de la conférence du Grenelle sur l’environnement notamment avec son groupe « transports et changements climatiques ».
(4) : « si vous n’acceptez pas la flexibilité dans le RH 077, j’irai créer ma filiale et travaillerai ainsi hors réglementation SNCF », a déclaré Luc Nadal à 200 cadres de fret SNCF en 2008. À la même période, l’avenir du fret SNCF faisait l’objet d’une « concertation spécifique de projet » à l’initiative de la direction de la SNCF à laquelle participaient les représentants des organisations syndicales de cheminotes. Cette CSP n’a abouti qu’à un constat de désaccord sur les évolutions.
(5) Accord de 2008 fret ferroviaire privé.