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Au service des politiques françaises de développement : ambitions pour une offre de financement
Dans son discours d’ouverture de la conférence des ambassadeurs en août, le Président de la République a souligné la nécessité de faire évoluer la politique de développement et a appelé au renforcement de l’Agence Française pour le Développement (AFD) qui en est le principal outil. Il a ainsi exprimé sa confiance et son ambition pour l’AFD. Il a précisé que cela se ferait en prenant appui sur la puissance financière combinée de la CDC et de l’État.
Une occasion pour sortir l’AFD de l’impasse stratégique et financière dans laquelle elle se trouve depuis plusieurs années.
Selon ce discours, l’AFD est fondée pour exprimer son ambition. Il n’est pas question que l’AFD soit reléguée au rang de satellite de la CDC mais plutôt qu’elle prenne appui sur la surface financière de la caisse pour redonner du sens à son action.
La lettre de mission adressée à Rémy Rioux, nommé préfigurateur de la réforme, a saisi le sens de ce discours politique en lui donnant une dimension stratégique. C’est une occasion pour sortir l’AFD de l’impasse stratégique et financière dans laquelle elle se trouve depuis plusieurs années. Il ne s’agit pas d’une évolution à la marge : une rupture est attendue. Elle ne se limitera pas à la seule question des fonds propres et devrait conduire à repenser l’intégralité du dispositif français de financement du développement y compris d’intervention en outre-mer.
La nouvelle AFD pourra enfin disposer de l’envergure nécessaire pour porter haut les ambitions de la France à l’international en matière d’aide publique au développement notamment dans les pays les moins avancés (PMA) et les États en crise, de développement durable et de lutte contre les changements climatiques, de diplomatie économique et enfin de promouvoir un développement durable outre-mer. Sur la base de ces constats, la présente note contient un ensemble de propositions en vue d’alimenter la réflexion sur la réforme en cours de préfiguration.
Pour un plus grand engagement dans les pays les moins avancés
À l’occasion de son discours à l’assemblée générale des Nations-Unies, le Président de la République a redit l’engagement de la France à augmenter son aide publique au développement de 4 milliards d'euros à partir de 2020, en s’appuyant sur une AFD renforcée par l’adossement à la CDC. L’extension des compétences de l’AFD au volet de la gouvernance lui permet désormais d’intervenir en renforcement des capacités des partenaires institutionnels dans ses projets. Cette nouvelle compétence devra conduire l’agence à redéfinir ses stratégies d’intervention dans les PMA et d’identifier les réformes institutionnelles à mettre en œuvre pour assurer une plus grande efficacité et durabilité de ses interventions.
- Une approche recentrée sur les conséquences
La réforme de la politique d’aide au développement appelée de ses vœux par le Président de la République doit conduire à s’interroger sur les modalités d’intervention de l’AFD. L’intervention dans les pays les plus pauvres nécessite de renouer avec des projets au temps long afin d’assurer l’efficacité et la durabilité de notre action. Les objectifs ambitieux de plan d’affaires de ces dernières années ont eu pour effet de favoriser les projets à mise en œuvre rapide, moins consommateurs de ressources, au détriment des projets intégrés qui nécessitent davantage de moyens en supervision et en appui aux maîtrises d’ouvrage mais qui sont pourtant les plus porteurs de conséquences. L’accroissement de la capacité d’intervention de l’AFD devrait procurer les moyens d’une présence renforcée dans les pays pauvres prioritaires où les questions de gouvernance justifient un accompagnement plus long.
- Renforcer la présence sur le terrain
Le réseau des agences, qui constitue la force et la richesse de l’AFD par rapport aux autres bailleurs, pourra être renforcé pour une proximité plus grande avec les bénéficiaires de l’aide et une efficacité à la hauteur de nos ambitions. L’expertise des cadres d’interventions régionaux (CIR) expérimentés dans les pays étrangers pourra être étendue au bénéfice des DOM afin de favoriser une meilleure intégration des territoires dans leurs environnements respectifs et améliorer la synergie entre les différentes implantations. Un modèle de développement durable spécifique plus respectueux des spécificités locales pourra ainsi être promu. L’articulation des approches de l’AFD et de la CDC dans les DOM, dans un contexte harmonisé permettra la mise en œuvre de politiques publiques plus efficientes.
Pour une intervention coordonnée de la France dans les États en crise
De plus en plus de pays sont confrontés à des situations de crises humanitaires et de conflits. Il convient dans ces contextes d’apporter une réponse appropriée, à la mesure des drames, et de préparer le retour à la trajectoire développementale par la mise en place d’une séquence judicieuse d’interventions ciblées allant des mesures d’urgence jusqu’à la relance des moteurs de l’économie. La nature coopérative des interventions de la communauté internationale doit justifier une forte dilution de la logique de diplomatie économique, au profit d’intérêts de retour à l’ordre et d’intérêts de long terme. Des moyens de fonctionnement accrus doivent permettre à la nouvelle entité de s’imposer dans ce secteur.
- Une meilleure complémentarité des interventions
L’actualité rappelle l’importance de l’action en faveur des populations des pays engagés dans des conflits. Une réponse concertée et coordonnée des acteurs français sous l’égide de l’AFD permettrait de mieux coordonner l’aide et de mieux amorcer la sortie de crise, en lien avec le MAE et tous les acteurs, coopération décentralisée et organisations de solidarité internationale (OSI), pour rationaliser la capacité française de réponse et en augmenter le spectre comme les effets. Les réseaux de l’AFD sur le terrain et leur expertise doivent permettre une meilleure intervention de tous les acteurs, institutionnels comme OSI. Le guichet ONG de l’AFD doit pouvoir être utilisé pour instaurer une complémentarité entre les projets qui y sont présentés et les interventions directes de l’agence sur le terrain.
Pour une AFD proactive sur les enjeux du développement durable et des grandes politiques globales
La question migratoire, la vie des océans, les biens transfrontaliers, le climat, les maladies infectieuses et les grands trafics appellent une action collective renforcée. Les solutions en appellent toutes à des mécanismes financiers. Certes, la contribution aux politiques globales se présente souvent comme ancrée dans l’engagement des nations et ces politiques doivent guider les stratégies, géographie par géographie. Il convient toutefois d’avoir un segment spécifique, « bi-multi », comme l'illustre le cas du climat. La tenue de la COP 21 à Paris en décembre souligne l’implication et les ambitions de la France en matière de lutte contre le changement climatique. Il convient de mettre fin à la dispersion qui prévaut. Certes, l’accréditation de l’AFD au Fonds Vert et l’intégration des mesures d’atténuation ou de lutte contre les changements climatiques dans les projets financés par l’AFD sont des progrès substantiels. Il est primordial d’articuler plus fortement ces contributions avec les processus de décision stratégiques ou financières des fonds multilatéraux (en particulier le Fonds Vert et le Fonds pour l’Environnement Mondial, voire le PNUE). À cette fin, les agences doivent pouvoir être consultées et alimenter directement les bureaux des administrateurs représentant la France, de façon à la fois à être elles-mêmes en prise directe sur l’information et l’évolution des pratiques et assurer un retour de terrain.
Pour une diplomatie économique plus cohérente
L’AFD veillera à ce que la diplomatie économique ne trouble pas son mandat en faveur du développement.
Contribuer au rayonnement économique de la France fait partie des missions confiées à l’AFD, dans un contexte où la situation de l’emploi reste préoccupante dans notre pays. La rationalisation des dispositifs français à l’international (AFD / COFACE / Business France / Bpifrance / Expertise France) sera de nature à clarifier le rôle de chaque opérateur, à développer des alliances et à renforcer la présence de la France et des entreprises françaises. Elle repose sur une clarification de la notion d’intérêts économiques français qu’il importe de conduire au plus près du terrain des collectivités françaises et ultramarines, en harmonie avec le principe de partenariats différenciés. C’est ainsi que les diligences de diplomatie économique doivent être proportionnées aux enjeux. L’AFD veillera à ce que la diplomatie économique ne trouble pas son mandat en faveur du développement, sous peine de brouiller son image et de mettre en péril sa réputation.
- Rationnaliser le dispositif
La dispersion des outils (création d'Expertise France en dehors de l’AFD) et leur fractionnement (le FEXTE reste anecdotique au regard de l’outil FASEP) privent l’AFD de moyens qu’elle aurait pu internaliser. Dans la perspective d’une plus grande efficience du dispositif de promotion de l’offre française à l’étranger, la réforme devra envisager de regrouper de manière pertinente l’ensemble des outils liés à la diplomatie économique au sein de l’AFD. Cette mesure donnera à l’agence les moyens d’atteindre les objectifs ambitieux qui lui ont été fixés en matière de retour pour les entreprises créatrices d’emplois et de valeur ajoutée en France. Ces objectifs ne pourront être atteints sans une réflexion sur les modalités d’un investissement de long terme pour permettre une relation plus affinitaire entre les milieux économiques des pays d’intervention et les intérêts français. L’instauration de liens institutionnels forts avec Business France et Bpifrance (en dehors de l’outre-mer) est de nature à faciliter en toute transparence l’accès des entreprises françaises et notamment les PME aux marchés financés par l’AFD.
- Élargir le champ d’intervention
La nouvelle AFD pourra intervenir dans un champ géographique plus large grâce à son adossement financier et technique à la CDC. De nouveaux pays pourront ainsi être abordés avec un mandat de croissance verte et solidaire ainsi que d’appui au rayonnement économique français, notamment en Europe orientale. À terme, l’objectif pourra consister à permettre une intervention de l’AFD dans l’ensemble des pays ne faisant pas partie de l'OCDE. Une coopération renforcée entre la CDC (et/ou Bpifrance) et Proparco, en préservant l’identité de cette dernière, permettra d’accroître substantiellement les capacités de financement du secteur privé. L’efficacité de l’AFD se trouvera renforcée grâce à une production financière plus importante et une meilleure couverture de ses charges.
Pour un rôle renforcé outre-mer
L’outre-mer est une géographie historique d’intervention de l’AFD. Cette dernière pourra dans le dispositif cible valoriser cette expertise et représenter l’offre publique de financement en faveur des collectivités et des opérateurs économiques. Le financement et l’appui-conseil aux différents échelons de collectivités ainsi que le financement sous diverses formes du secteur privé, de manière directe ou au travers de la représentation de Bpifrance, font partie de ses compétences. Les dispositifs d’appui aux politiques publiques en matière de développement outre-mer gagneraient en efficacité s’ils étaient rassemblés sous une même bannière. Le dispositif serait plus lisible localement et son efficacité serait renforcée par la mise en commun des moyens de la CDC et de l’AFD.
Par son expertise dans ces domaines, l’AFD pourra dans les départements et territoires d'outre-mer promouvoir une approche du développement plus respectueuse de l’environnement et dotée d’une meilleure intégration régionale avec les pays voisins, en usant de manière plus efficace des synergies avec les agences qui s’y trouvent.
Le modèle de développement basé sur le rattrapage et essentiellement tourné vers la métropole a montré ses limites, notamment en matière de durabilité et d’intégration régionale. Seuls des modèles spécifiques de développement durable, prenant appui sur l’analyse de l’environnement régional spécifique, sont susceptibles de mettre fin à la situation désolante de l’emploi et de redonner des perspectives à ces sociétés. Pour y contribuer, il convient de créer des liens économiques avec les pays et territoires voisins (par exemple, la Réunion et Mayotte dans l’Océan Indien dont le développement a peu bénéficié aux Comores et à Madagascar). Pour y parvenir, les politiques à mettre en œuvre ont plus de lien avec celles accompagnées dans les pays voisins qu’avec celles de la métropole. Les interventions dans les départements et collectivités d’outre-mer ne pourront être génératrices d’un développement régional et contribuer à limiter les écarts de revenus que si elles sont pensées dans un cadre spécifique.
Pour plus d’efficience
Des économies d’échelle peuvent être rendues possibles par l’accroissement du volume des interventions. Ce changement de palier peut comporter des difficultés mais il est d’abord porteur d’efficience, en complément des pistes déjà esquissées. Les économies éventuellement dégagées devront être réinjectés dans le développement de la nouvelle agence.
- Une meilleure capitalisation des connaissances
La caisse comporte de nombreux pôles d’expertise, tels la CDC climat (remplacé début septembre par Institute For Climate Economics (I4CE), association dont l’AFD est membre fondatrice) ou la direction de la recherche, qui permettent d’envisager un pôle de recherche tourné vers une gamme élargie de politiques publiques et d’assurer une meilleure circulation entre les expériences capitalisées sur les divers terrains, tout en permettant de la partager avec un plus grand nombre d’acteurs.
- Vers un affranchissement des contraintes de Bâle III
La mutation institutionnelle de l’AFD sera l’occasion de reconsidérer la pertinence de son statut d’établissement de crédit et de sa soumission aux normes de Bâle III. Ces normes se sont révélées de moins en moins pertinentes compte tenu de la spécificité son activité. La KFW qui inspire la réforme en cours n’y étant pas soumise, la sortie de l’AFD de Bâle III, si elle est expliquée, ne sera pas mal interprétée par les marchés des capitaux sur lesquels se finance l’agence. Ces contraintes destinées à protéger les déposants ont peu de sens pour un établissement tel que l’AFD et représentent une entrave à son efficacité par la stérilisation d’une partie de ses fonds propres en provisions.
- Se sortir de l’annualisation des objectifs et des moyens
L’intégration de l’AFD dans le périmètre de la CDC sera propice à la révision du mode de comptabilisation de ses objectifs et de ses moyens. Les objectifs annuels d’engagements se révèlent plus inadaptés à chaque nouvel exercice, compte tenu de la nature des projets à instruire. La plupart de ceux-ci aboutissent plusieurs mois après l’identification. L’expérience montre que nombre de projets instruits trop rapidement pour respecter des objectifs de fin d’année se traduisent par des annulations ou par une signature de convention et des versements tardifs. La mise en place d’objectifs pluriannuels améliorera la prévisibilité de l’action de l’AFD, facilitera son appropriation par les bénéficiaires des financements et renforcera l’efficacité des projets.
Pour un nouveau pacte social
Si l’esprit de partenariat qui préside à la mise en place de la nouvelle AFD est une valeur durable, au cœur du projet de service public, la perspective d’une rupture avec les méthodes de dialogue social prévalant au sein de l’AFD peut permettre, si la représentation du personnel reste satisfaisante au sein de la nouvelle institution, de mener une réflexion globale sur le pacte social.
Une composante importante du pacte social d’une entreprise publique réside dans la possibilité de façonner et de défendre les politiques publiques que les agents servent. L’implication des partenaires sociaux, comme celle de la société civile, voire des élus locaux, vise à améliorer la cohésion collective autour des enjeux de développement durable.
Aujourd’hui plus que jamais, ceux-ci paraissent justifier une mobilisation importante. Enfin, cette réforme sera favorablement accueillie par le personnel à condition qu’elle soit accompagnée de progrès sociaux concrets.