Temps de travail à Thales : des négociations dévoyées
Depuis plusieurs années, plusieurs directions d’entreprises du groupe Thales pratiquent une nouvelle méthode pour résoudre les problèmes de charge : la fermeture des sites sur 4 semaines, au mois d’août. Retour sur une ineptie économique et une régression sociale.
La direction de Thales Systèmes Aéroportés annonce en décembre 2013 son intention de fermer les trois sites de l'entreprise quatre semaines pendant l'été 2014. Malgré le désaccord massif exprimé par les salariés, ce diktat a été confirmé par le PDG de TSA, Pierre-Éric Pommellet. Les négociations annuelles obligatoires 2014 se sont révélées être un simulacre de négociations avec les partenaires sociaux. Alors que cette fermeture était présentée initialement comme une « régulation » de la sous-charge, il s'avère qu'aucune démonstration n'en a été faite.
À Thales Avionics, la direction persiste et signe, malgré un calendrier peu favorable à la fermeture de deux semaines en août, elle reprend en 2014 les mêmes idées qu’en 2013, la fermeture estivale des établissements.
À Thales Training & Simulation, en janvier 2014, après une tentative de passer en force, la direction a signé un accord sur le temps de travail : « La période de prise du congé payé principal est fixée entre le 1er mai et le 31 octobre de chaque année. La direction demande que soient prises pendant cette période 3 semaines de congés payés ». En novembre 2014, la même direction, se déjugeant par rapport à janvier, a présenté un projet de fermeture de 4 semaines en août 2015.
Dans ces entreprises, l’essentiel de l’activité repose sur la recherche et le développement avec des cycles de 12 à 24 mois. Il n’y a aucune justification économique ou fonctionnelle à cette interruption estivale. Connaissant l’opposition du personnel et de leurs représentants, on peut s’interroger sur les raisons de ces provocations locales, à l’opposé du dialogue social retrouvé au niveau du groupe.
Rappelons ainsi quelques phrases tirées du préambule de l’accord de groupe sur l’exercice du droit syndical chez Thales, signé en 2006 et contenant plusieurs fois l’expression « dialogue social » :
Le rapport social 2013 : « Le groupe Thales soutient et encourage un dialogue social de qualité (...) C’est dans le cadre de ce dialogue social constructif que trois accords de groupe ont été conclus en 2013 ».
Le dialogue social est donc basé sur le respect et l’échange en vue d’arriver à un « consensus », un compromis, une entente, un accord, un contrat entre des intérêts différents mais pas divergents. À l’inverse, le monologue illustre le refus de rechercher ce compromis et d’imposer ses oukases.
L’attitude des dirigeants des filiales va dans le sens opposé de ces grandes déclarations : elle relève plus du seigneur envers ses serfs que d’un rapport fait de respects et de recherche de ce fameux consensus. Elle n’est pas de nature à favoriser la paix et la stabilité sociale : il remet en cause la stabilité basée sur la bonne intelligence des parties en présence dans l’entreprise.
Bref, un ensemble de comportements, de faits, de situations qui s’appliquent aux relations dans l’est du continent plutôt qu’en Europe occidentale. Il s’agit bien d’une négation de ce qui est présenté dans la communication officielle comme l'un des marqueurs du groupe.
La fermeture serait nécessaire pour faire face à la sous-charge. Celle-ci est liée à la médiocrité des prises de commandes ; la fermeture de l’entreprise ne fera pas venir plus rapidement les commandes.
Alors que certaines entreprises concernées travaillent avec l’Australie ou Singapour, la fermeture interviendrait pendant l’hiver austral soit en dehors des vacances dans l’autre hémisphère. Pas sûr que ce soit de nature à établir des relations de confiance avec ces clients-là. Sans compter un mois sans avancement pour l’entreprise. Pendant ce temps, les concurrents ne ferment pas et n’arrêtent pas leur production. Ils ne manqueront pas de présenter cet argument dans leurs offres commerciales. Sans compter les pénalités attachées à certaines prestations.
Il est courant de mettre en avant les « plannings tendus », la « nécessité d’optimiser l’occupation de la plateforme système pour tenir les jalons » ; « le partage renforcé des ressources matérielles » entre les différents métiers : ceci conduit les salariés à intervenir en dehors des horaires d’ouverture de l’entreprise. Mais ces besoins opérationnels vont se trouver pénalisés par une fermeture de 4 semaines qui provoquera un arrêt brutal de toute activité : où est la cohérence ?
Les directions invoquent la nécessité de gérer les congés pour éviter la désorganisation, « oubliant » par là-même que ce sont les chefs de service qui valident les congés : la hiérarchie ne ferait-elle pas son travail ?
Sous le prétexte supposé de petites économies, les directions créent et accroissent le mécontentement des salariés, sans aucune possibilité pour eux de pouvoir faire valoir leur point de vue, leurs intérêts ou leurs droits. Qu'obtiendront-elles par ces décisions ? Un sentiment croissant d'injustice face à ce cynisme incompréhensible. Accompagnées de politiques salariales médiocres, elles sapent la confiance dans les projets industriels, la crédibilité dans les choix économiques, la stratégie.
Il est encore temps pour ces dirigeants de revenir à une gestion rationnelle des relations sociales. Mais le veulent-ils seulement ?
La direction de Thales Systèmes Aéroportés annonce en décembre 2013 son intention de fermer les trois sites de l'entreprise quatre semaines pendant l'été 2014. Malgré le désaccord massif exprimé par les salariés, ce diktat a été confirmé par le PDG de TSA, Pierre-Éric Pommellet. Les négociations annuelles obligatoires 2014 se sont révélées être un simulacre de négociations avec les partenaires sociaux. Alors que cette fermeture était présentée initialement comme une « régulation » de la sous-charge, il s'avère qu'aucune démonstration n'en a été faite.
À Thales Avionics, la direction persiste et signe, malgré un calendrier peu favorable à la fermeture de deux semaines en août, elle reprend en 2014 les mêmes idées qu’en 2013, la fermeture estivale des établissements.
À Thales Training & Simulation, en janvier 2014, après une tentative de passer en force, la direction a signé un accord sur le temps de travail : « La période de prise du congé payé principal est fixée entre le 1er mai et le 31 octobre de chaque année. La direction demande que soient prises pendant cette période 3 semaines de congés payés ». En novembre 2014, la même direction, se déjugeant par rapport à janvier, a présenté un projet de fermeture de 4 semaines en août 2015.
Dans ces entreprises, l’essentiel de l’activité repose sur la recherche et le développement avec des cycles de 12 à 24 mois. Il n’y a aucune justification économique ou fonctionnelle à cette interruption estivale. Connaissant l’opposition du personnel et de leurs représentants, on peut s’interroger sur les raisons de ces provocations locales, à l’opposé du dialogue social retrouvé au niveau du groupe.
La revendication par le groupe du « dialogue social »
La revendication par la direction du groupe du « dialogue social » se fait tant en interne qu’en externe, pour favoriser l’attractivité du groupe, aussi bien en France qu’à l’international. On peut penser que c'était une façon de créer une culture interne, pour assurer un « liant » entre les salariés. Enfin, cette revendication était probablement le fruit d’une vraie volonté de dirigeants du groupe.Rappelons ainsi quelques phrases tirées du préambule de l’accord de groupe sur l’exercice du droit syndical chez Thales, signé en 2006 et contenant plusieurs fois l’expression « dialogue social » :
- « Les relations sociales dans le groupe Thales s'inscrivent dans une tradition de pratique constante du dialogue social. L'environnement économique et social en évolution constante, la modification, l'émergence ou la disparition de certains métiers ainsi que les nécessaires adaptations d'organisation nécessitent de soutenir et faciliter la représentation du personnel afin de favoriser le dialogue social. Ceci passe par la reconnaissance des organisations syndicales représentatives ainsi que des instances de représentation du personnel à être des interlocuteurs privilégiés de la direction sur les orientations économiques et sociales des entreprises du groupe. La direction reconnaît ainsi le rôle positif des organisations syndicales représentatives et des institutions représentatives du personnel dans le fonctionnement et le développement économique et social ainsi que l'amélioration de l'organisation du travail des entreprises du groupe. La direction veille à ce que les instances de concertation et de dialogue tiennent compte de l'organisation du groupe et mettent en adéquation les lieux de décision et de représentation du personnel. La qualité du dialogue social repose sur la volonté de chacun des partenaires de respecter les principes énoncés par le Code du travail et, au-delà, de veiller à une application loyale des droits et devoirs respectifs. Afin de promouvoir l'exercice du droit syndical dans le groupe Thales, dans l'intérêt d'un dialogue social constant, les parties signataires du présent accord définissent les moyens nécessaires à la réalisation dans des conditions satisfaisantes des missions des représentants du personnel, tant au niveau des entreprises qu'au niveau du groupe. Cet accord instaure des règles permettant de développer avec les représentants du personnel, les organisations syndicales et la direction, un dialogue approfondi couvrant les aspects de la vie économique et sociale du groupe ».
Le rapport social 2013 : « Le groupe Thales soutient et encourage un dialogue social de qualité (...) C’est dans le cadre de ce dialogue social constructif que trois accords de groupe ont été conclus en 2013 ».
Mais qu’est-ce que le dialogue social ?
L’Organisation internationale du travail (OIT), pour sa part, le définit ainsi : « Le dialogue social inclut tous types de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs selon des modalités diverses, sur des questions relatives à la politique économique et sociale présentant un intérêt commun (…) L’objectif principal du dialogue social en tant que tel est d’encourager la formation d’un consensus entre les principaux acteurs du monde du travail ainsi que leur participation démocratique. Les structures et les processus d’un dialogue social fécond sont susceptibles de résoudre des questions économiques et sociales importantes, de promouvoir la bonne gouvernance, de favoriser la paix et la stabilité sociale et de stimuler l’économie ».Le dialogue social est donc basé sur le respect et l’échange en vue d’arriver à un « consensus », un compromis, une entente, un accord, un contrat entre des intérêts différents mais pas divergents. À l’inverse, le monologue illustre le refus de rechercher ce compromis et d’imposer ses oukases.
L’attitude des dirigeants des filiales va dans le sens opposé de ces grandes déclarations : elle relève plus du seigneur envers ses serfs que d’un rapport fait de respects et de recherche de ce fameux consensus. Elle n’est pas de nature à favoriser la paix et la stabilité sociale : il remet en cause la stabilité basée sur la bonne intelligence des parties en présence dans l’entreprise.
Bref, un ensemble de comportements, de faits, de situations qui s’appliquent aux relations dans l’est du continent plutôt qu’en Europe occidentale. Il s’agit bien d’une négation de ce qui est présenté dans la communication officielle comme l'un des marqueurs du groupe.
Une ineptie économique
Les arguments économiques avancés sont peu convaincants.La fermeture serait nécessaire pour faire face à la sous-charge. Celle-ci est liée à la médiocrité des prises de commandes ; la fermeture de l’entreprise ne fera pas venir plus rapidement les commandes.
Alors que certaines entreprises concernées travaillent avec l’Australie ou Singapour, la fermeture interviendrait pendant l’hiver austral soit en dehors des vacances dans l’autre hémisphère. Pas sûr que ce soit de nature à établir des relations de confiance avec ces clients-là. Sans compter un mois sans avancement pour l’entreprise. Pendant ce temps, les concurrents ne ferment pas et n’arrêtent pas leur production. Ils ne manqueront pas de présenter cet argument dans leurs offres commerciales. Sans compter les pénalités attachées à certaines prestations.
Il est courant de mettre en avant les « plannings tendus », la « nécessité d’optimiser l’occupation de la plateforme système pour tenir les jalons » ; « le partage renforcé des ressources matérielles » entre les différents métiers : ceci conduit les salariés à intervenir en dehors des horaires d’ouverture de l’entreprise. Mais ces besoins opérationnels vont se trouver pénalisés par une fermeture de 4 semaines qui provoquera un arrêt brutal de toute activité : où est la cohérence ?
Les directions invoquent la nécessité de gérer les congés pour éviter la désorganisation, « oubliant » par là-même que ce sont les chefs de service qui valident les congés : la hiérarchie ne ferait-elle pas son travail ?
Un recul social
Sans cesse, le groupe Thales vante sa politique en matière de responsabilité sociale d’entreprise, en matière de qualité de vie au travail, en matière de politique environnementale et sociétale etc. Mais c’est à l’ouverture de la semaine de la qualité de vie au travail que l’équilibre vie professionnelle/vie privée est attaqué avec des incidences importantes sur la vie familiale ; elles pénalisent les salariés :- qui ont déjà réservé leurs vacances (la direction compte-t-elle les rembourser ? Payer le supplément pour le changement ou l’annulation de réservation ? il sera répondu que cela relève de la vie privée mais ces décisions créent une contrainte supplémentaire de l'entreprise qui empiète sur cette vie privée) ;
- qui ont fait d’autres choix de vie que de partir au mois d’août, la période la plus chère de surcroît ;
- qui ne peuvent partir à ce moment-là (situation du conjoint pas toujours compatible avec les dates choisies par les directions, garde d’enfants dans le cadre de familles recomposées ou séparées…) ;
- qui sont sous-traitants (sociétés de service, restauration, nettoyage) ;
- qui sont embauchés en cours d’année et ne bénéficient pas des 5 semaines.
Sous le prétexte supposé de petites économies, les directions créent et accroissent le mécontentement des salariés, sans aucune possibilité pour eux de pouvoir faire valoir leur point de vue, leurs intérêts ou leurs droits. Qu'obtiendront-elles par ces décisions ? Un sentiment croissant d'injustice face à ce cynisme incompréhensible. Accompagnées de politiques salariales médiocres, elles sapent la confiance dans les projets industriels, la crédibilité dans les choix économiques, la stratégie.
Il est encore temps pour ces dirigeants de revenir à une gestion rationnelle des relations sociales. Mais le veulent-ils seulement ?
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