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17 / 12 / 2013 | 752 vues
Christian Grolier / Membre
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Le droit de retrait dans la fonction publique est à utiliser avec prudence et intelligence

Le droit de retrait est une procédure qui suscite beaucoup d’interrogations concernant ses conditions d’application mais il n’a pas encore fait l’objet d’une étude générale approfondie.

Ce droit complexe, de plus en plus invoqué ces dernières années, peut aboutir à une double conséquence : d’un côté à protéger l’agent ou, à l’inverse, le mettre en posture réellement délicate.

En 1995, ce principe était introduit dans la FPE ; en 2000, on l'a retrouvé dans la FPT, puis étant un droit existant déjà dans le privé et formalisé dans le Code du travail, il était également d’actualité dans la FPH. Le Code du travail définit les principes, la démarche et les règles particulières de santé et de sécurité.


En l’absence de texte, on peut donc penser que tout agent public bénéficie du droit de retrait car il a été jugé qu’il s’agissait d’un principe général du droit dont s’inspire le Code du travail.

Les dispositions sont : « aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un agent ou d’un groupe d’agents qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d’eux ».

Malgré le peu de textes relatifs à ce dossier, il reste un sujet significatif car on peut trouver dans la FP :

  • 2 arrêts du conseil d’État,
  • 27 décisions de cours administratives d’appel,
  • 19 jugements de tribunaux administratifs.

Ce droit de retrait est davantage considéré comme un droit de désobéir, c’est-à-dire désobéir à un ordre pour préserver sa santé. Il est donc nécessaire de délimiter les droits de retrait.
  • Le droit de retrait ne se manifeste pas nécessairement suite à un ordre donné.
  • L’agent peut cesser les fonctions habituelles sans désobéir à un ordre particulier.


Cette faculté de retrait est davantage un droit à part entière qu’une exception à une obligation.

  • « La doctrine considère le droit de retrait comme une atténuation à l’obligation d’obéir ».

Donc, on constate une confusion entre droit de retrait et obligation d’obéir.

Aujourd’hui, il ne s’agit pas de la reconnaissance du droit de retrait mais plutôt de la mise en œuvre de celui-ci.

En effet, pour qu’il soit valablement exercé, il doit exister un danger grave et imminent pour la santé ou la vie et c’est juste l’appréciation du danger qui peut alors poser problème. À cela, il s’agit d’ajouter un ensemble de formalités et d’informations dont il faudrait déterminer si elles constituent ou non une condition d’exercice du droit de retrait. 

L’existence d’un danger grave et imminent, une condition parfois difficile à appréhender

  • Un danger grave est celui susceptible de porter atteinte à la vie ou à la santé de l’agent : décès, incapacité physique totale ou temporaire. Depuis 2004, l’état moral de l’agent a été reconnu par la jurisprudence judiciaire alors qu’auparavant, seule l’atteinte physique était prise en considération.
  • Un danger imminent est celui qui implique la « survenance d’un événement dans un avenir proche quasi immédiat », « susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché ».

Les principales interrogations se situent au niveau de la qualification du danger : quelle forme doit-il avoir pour légitimer le droit de retrait ? Alors qu’il semble plus aisé d’appréhender la question de la perception du danger et de l’absence d’existence d’un danger.

La forme du danger

  • L’accident est le premier type de danger. Tout se joue dans les qualifications que les agents disposent en rapport avec les risques encourus.
  • Des enseignants ont fait valoir leur droit de retrait suite à des agressions au sein d’un collège. Motif : situation de dégradation des conditions de travail qui présentait un danger imminent. Le danger disparaît et le droit de retrait cesse à partir du moment où l’autorité prend des mesures de nature à faire cesser le danger.

En revanche, les retraits dit « protestataires » ne peuvent être justifiés au regard des textes. Le cas d’une profession qui cesse le travail suite à une agression déterminée ne peut se concevoir (ex : professeurs suite à une agression). Il s’agit ici d’un exercice illégal du droit de grève. La nuance entre retrait et grève peut se faire avec le CHSCT qui se prononce systématiquement sur la réalité et la persistance de l’existence d’un danger grave et imminent.

Cependant, un autre aspect semble se détacher. En effet, ces instances n’étant pas paritaires, les OS désignent des représentants qui peuvent manquer d’objectivité ne voulant pas se désolidariser de leurs revendications. 



On peut se demander à partir de quand le danger peut être considéré comme avéré ? Faut-il attendre que l’agent soit victime d’une agression ?


La difficulté vient alors d’apprécier la situation, de juger du risque éventuel encouru, de qualifier le risque de grave et immédiat. Par exemple, un convoyeur de la Banque de France seul dans le fourgon lors d’un convoi escorté par la gendarmerie ne crée pas un danger grave et imminent. Au contraire, le risque d’agression d’un agent en raison de « l’attitude excessivement vindicative » de ce dernier a justifié son droit de retrait accepté par l’administration.

Mais un risque avéré d’agression ne doit pas conduire un agent à ne rien faire. Les premières circulaires relatives au droit de retrait dans la FP explique : « la notion de danger imminent doit s’entendre comme une menace susceptible de provoquer une atteinte sérieuse à l’intégrité physique de l’agent dans un délai très rapproché. Elle concerne plus spécialement les risques d’accident puisque l’accident est dû à une action soudaine entraînant une lésion du corps humain ». Les maladies sont a priori hors du champ car elles ne cadreraient pas avec la notion d’immédiateté. Toutefois, il existe une confusion : ce n’est pas l’invalidité ou la mort qui doit se réaliser rapidement mais le fait générateur.

L’exposition à certains dangers peut ainsi revêtir un caractère d’immédiateté même si l’atteinte à la santé ou la vie peut ne pas être instantanée. Par exemple, un malade porteur du virus HIV admis dans un hôpital ne présente pas le caractère d’un danger grave et dès lors que l’établissement en raison même de sa mission est apte à faire face aux risques de contagion pour ses agents et à mis en place des mesures de protection. Autre exemple, un agent  qui est conduit à travailler de façon inhabituelle dans un lieu amianté peut se prévaloir du droit de retrait (mais une brève exposition n’a pas probablement pas de conséquence sur la santé).

Si la survenance de la maladie est lointaine, chaque exposition qui contribue à ce risque est grave et immédiat. Le juge judiciaire admet que le risque de maladie professionnelle justifie le droit de retrait (milieu empoussiéré, enfumé par le tabac...).

Le droit de retrait a été qualifié dans une circulaire pour les salariés du privé et elle est applicable à la FP : elle rajoute que la notion de danger immédiat n’exclut pas celle de risque à effet différé. 

Une certitude, la cause du retrait peut ne pas être extérieure à l’agent et résulter de son état de santé. 

* Le harcèlement moral peut conduire à des interrogations similaires à celles soulevées par la maladie. Mais la Cour administrative n’a pas reconnu le droit au retrait car si le harcèlement moral n’est pas constitué, cela ne permettait pas de conclure à l’existence d’un danger grave et imminent. Il est nécessaire de qualifier le harcèlement moral. Pour ce faire, trois éléments sont à prendre en compte :

  • la réitération de comportements vexatoires,
  • ceux-ci ont pour objet ou effet de dégrader les conditions de travail de l’agent,
  • cette dégradation est susceptible de porter atteintes aux droits et à la dignité de l’agent, de compromettre son avenir professionnel, d’altérer sa santé physique ou mentale : dépression, suicide…


Seule cette dernière permet la reconnaisance du droit de retrait. Comme dans la maladie, on pourra douter de l’immédiateté mais dès lors que la réitération existe, le harcèlement est constitué donc l’immédiateté du danger peut être réelle. Un agent poussé à bout peut être à la limite de la dépression ou de la tentative de suicide.

  • Le harcèlement moral pourrait donc bien justifier le droit de retrait. 


Mais aucune jurisprudence administrative ne statue en ce sens. De plus, même si le harcèlement moral est avéré, cela ne justifie pas forcément le droit de retrait.

Mais le harcèlement justifie le droit de retrait dès lors que l’agent connaît une dégradation de ses conditions de travail suite aux vexations qui engendrent une détérioration importante de sa santé.

  • Le harcèlement sexuel peut lui aussi justifier le droit de retrait à partir du moment où les faits ont été réitérés : l’immédiateté du danger apparaît alors.


Les faits en cause conduisent à sérieusement altérer la santé de l’agent ; le droit de retrait est alors reconnu.

  • La surcharge professionnelle résultant d’un surcroît d’activité se prolongeant sans moyens supplémentaires ou un climat délétère. Exemple : les suicides survenus chez France Telecom.  

 

L’analyse du danger

Elle est subjective selon les textes « si un agent a un motif raisonnable de croire à l’existence d’un danger, même si celui-ci n’est finalement pas avéré, il pourra cesser le travail ». Certaines jurisprudences ont été rendues dans ce sens, en prenant en compte les qualifications et expériences professionnelles de l’agent qui lui permettaient d’émettre un tel avis. 

L’absence de danger parallèle


L’agent doit également s’assurer que la cessation de son travail n’entraînera pas un autre danger grave et imminent pour autrui. Donc, le droit de retrait n’existe pas pour les fonctions qui par leur nature même exposent à un tel danger comme les missions assurant la sécurité des personnes et des biens : sapeurs-pompiers, police, surveillants pénitentiaire…). On peut imaginer qu’il utilise son droit de retrait si seules les conditions de sécurité pour qu’il puisse assurer sa mission n'étaient pas assurées (arme ne fonctionnant pas, par exemple).

Finalement, l’exercice du droit de retrait est-il subordonné à une condition de fond ou faut-il également une condition de forme ?

L’obligation d’information, condition du droit de retrait ?

L’agent doit immédiatement aviser l’autorité administrative du danger (l’information est donnée oralement ou à l'écrit) puis le signalement est formalisé dans la FP par le biais du registre spécial mentionné à l’article 5-3. L’agent n’a pas à demander une autorisation d’exercer ce droit. Circulaire de 2011 de la FP : « L’exercice du droit de retrait impose préalablement ou de façon concomitante la mise en œuvre de la procédure d’alerte telle qu’elle résulte de l’article 6, alinéa 1 ».

Cependant, selon la Cour de Cassation, on ne peut sanctionner un agent qui a légitimement exercé son droit de retrait sans avoir informé son employeur. Même si le salarié doit immédiatement aviser l’autorité administrative selon l’article 5-6, alinéa 1 du décret de 1982, aucune sanction ne peut être prise contre un agent qui s’est retiré d’une situation de travail avec un motif raisonnable. De plus, dans cet alinéa, aucune obligation d’information de droit de retrait n’est mentionné tandis que l’agent a l’obligation d’alerter de la situation de danger. La procédure d’alerte et le droit de retrait sont donc séparés. L’agent est passible de sanction s’il ne signale pas la situation de danger. L’obligation d’information ne constitue pas une condition du droit de retrait mais une conséquence.

Les effets du droit de retrait

Conséquences à l’égard de l’administration

  • Elle doit procéder à une enquête avec éventuellement un membre du CHSCT.
  • Le membre du CHSCT doit consigner dans le registre la nature du danger, son origine, le lieu, la date et la signature.
  • Elle doit prendre des mesures qui seront consignées dans le registre.
  • En cas de divergence : saisine du CHSCT et de l’inspecteur du travail. Ce dernier peut préconiser des mesures pour remédier aux problèmes. D’autres experts peuvent être sollicités : inspecteurs vétérinaires, médecin de prévention… Un rapport sera alors rédigé et transmis à l’administration et au CHSCT avec des préconisations. L’administration doit dans les 15 jours adresser une réponse motivée à l’auteur du rapport, avec mesures et calendrier. Le ministre peut être saisi à son tour s’il n’y a pas de suivi d’exécution.

Si le CHSCT n’établit pas le danger, l’agent doit reprendre le travail.

Conséquences à l’égard de l’agent

  • L’agent peut demander réparation du préjudice subi si l’administration a refusé à tort son droit de retrait.
  • L’agent doit reprendre son travail dès que la situation de danger a cessé. Si le droit de retrait n’est pas justifié, l’agent s’expose à une retenue sur salaire, une sanction disciplinaire et une procédure pour abandon de poste.

En conclusion, le droit de retrait n’est qu’exceptionnellement reconnu aux agents. Pour indication, c’est dans l’Éducation nationale que ce droit est le plus invoqué puis dans l’administration locale, hospitalière, la Poste, France Telecom, la Banque de France. Ce sont essentiellement des agents d’exécution qui ont fait valoir ce droit. Le danger le plus souvent invoqué résulte d’agressions, d’accidents, de harcèlement moral, sexuel ou une ambiance de travail délétère.

Il n’existe pas de différence entre les jurisprudences judiciaires et administratives sur le droit de retrait : les conditions sont identiques dans les textes.

Les agents doivent utiliser ce droit avec prudence et intelligence car, sur 48 contentieux devant le juge administratif, seuls 2 ont vu le droit de retrait accepté, ce qui représente moins de 5 %.

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