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L'économie sociale et la construction des politiques locales : vers l'élaboration de nouveaux outils de gouvernance
- d’une part, une dynamique d’économie sociale et solidaire assez spécifique, initiée par un mouvement de création de Scop au milieu des années 1970, avec un objectif initial d’industrialisation de l’intérieur du pays sur de modèle basque espagnol et qui s’est ensuite étendu à d’autres formes ;
- d’autre part, sur le plan de la gouvernance, un processus d’institutionnalisation territoriale, depuis la fin des années 1980, assez original, très participatif, ayant abouti à la mise en place d’un tissu d’institutions généralistes et sectorielles.
Mon objectif est de croiser ces deux dynamiques, en tentant de montrer en quoi ce territoire incarnait un exemple de régime territorial de l’économie sociale et solidaire, au carrefour de facteurs économiques, politiques et sociaux.
J’ai privilégié une approche diachronique, en soulignant l’évolution de l’économie sociale et solidaire sur ce territoire, partant d’une genèse très militante, dans laquelle l’expérience coopérative elle-même s’est constituée en mouvement social, pour ensuite amorcer un processus d’institutionnalisation. Pour reprendre les termes de mes collègues économistes, je dirais que l’économie sociale et solidaire résulte d’une alliance forte entre un degré de confiance territoriale et une forme de confiance organisationnelle, symbolisée par le choix de la coopérative.
Cette dynamique n’était pas isolée puisqu’elle a bénéficié à l’époque des ressources du mouvement coopératif français ainsi que du soutien du pays basque espagnol.
Dans les années 1990 et 2000, une nouvelle communauté de politiques publiques s’est constituée au Pays basque autour du développement territorial. Dès lors, les interactions avec l’économie sociale et solidaire peuvent être analysées sous trois angles.
Premièrement, les acteurs de l’économie sociale et solidaire jouent un rôle dans la genèse de ces nouvelles institutions de la gouvernance territoriale (Conseil de développement, Conseil des élus, Institut culturel, Office public de la langue basque, Établissement public foncier etc).
- Les associations et les coopératives sont représentées au Conseil de développement, mais une observation un peu plus fine met en évidence une circulation des militants du mouvement coopératif vers ces nouvelles institutions et notamment vers l’animation du premier Conseil de développement. En ce sens, ils assurent une fonction de médiation entre l’offre de participation institutionnelle en provenance de l’État, qui cherche à retrouver un rôle d’animateur sur ce territoire, et une société civile extrêmement mobilisée.
Un secteur associatif aux marges de la gouvernance territoriale
Deuxièmement, on peut également s’interroger sur la place de l’économie sociale et solidaire dans les préconisations et les démarches contractuelles concrètes qui sont issues de ces processus. Si les acteurs de l’économie sociale et solidaire n’apparaissent pas forcément en tant que tels dans les diagnostics territoriaux, ils peuvent être directement interpellés par les grands défis qui se posent à ce territoire. Le Pays basque apparaît très attractif, doté d’un capital territorial fort, mais qui masque en même temps des fractures sociales toutes aussi fortes : concentration de l’emploi sur le littoral, problème récurrent du foncier, notamment s’agissant du maintien du foncier à vocation agricole, soit autant de problématiques face auxquelles les acteurs de l’économie sociale et solidaire ont des initiatives à proposer.
- Néanmoins, le discours de l’économie sociale et solidaire unifié en tant que tel est plutôt porté par un secteur associatif aux marges de la gouvernance territoriale.
Le levier culturel
Enfin, en dépit de sa relative discrétion dans ces procédures, l’économie sociale et solidaire montre son caractère incontournable au détour d’une mesure ou d’un secteur. Il faut donc s’orienter vers des entrées sectorielles pour affiner l’analyse. Je cite l’exemple de la culture et de la langue, en montrant comment un secteur associatif, à la fois très militant et très structuré, a interagi avec un processus d’institutionnalisation à double détente, à savoir une politique culturelle suivie d’une dissociation des politiques culturelle et linguistique. Nous constatons que des structures associatives, souvent transfrontalières, entretiennent des rapports de participation critiques à ces institutions, qui inventent actuellement des instruments politiques relativement neufs. Face à cela, plusieurs associations, y compris issues du monde culturel, se sont transformées en coopératives ou en SCIC (projet de télévision dans une vallée de montagne qui a permis d’institutionnaliser une relation avec la communauté de communes).
Société coopérative européenne transfrontalière
Ce type de formule est en train de progresser en plusieurs endroits. L’objectif est donc à la fois de consolider leur dimension entreprenariale et de se repositionner par rapport aux pouvoirs publics. Une société coopérative européenne transfrontalière a également été faite entre les fédérations des écoles situées de part et d’autre de la frontière. Nous pouvons également citer l’exemple d’une structure de promotion transfrontalière de l’enseignement technique en langue basque, montée par les acteurs des mouvements coopératifs cherchant à valoriser à la fois la langue basque et l’enseignement technique.
Sur le plan méthodologique enfin, nous devons, au-delà d’une approche globale de l’économie sociale et solidaire, entrer dans les différents secteurs, en croisant les questions de gouvernance horizontale et verticale sur les territoires. Par exemple, telle coopérative viticole sur tel territoire ne participera pas forcément à tous les travaux de la gouvernance territoriale, mais elle sera elle même soumise, de par sa logique sectorielle, à des processus de régulation verticale, surtout au niveau européen.
Il faut donc parvenir à saisir cette multiplicité d’échelles de régulation, horizontales-territoriales et verticales-sectorielles.