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12 / 07 / 2011 | 7 vues
Laurent JEANNEAU / Membre
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Quel devenir pour les forfaits jours ?

Le forfait jours à la française allait-il remis en cause par les juges suprêmes ? Retour sur cette décision pragmatique (Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107 P+B+R+I). Ce dispositif concernant prés de 1,5 millions de salariés, la décision de la Cour de cassation sur cette question était attendue.

Le contexte de l'arrêt du 29 juin 2011

Le forfait jours est un dispositif d’organisation du temps de travail réservé aux cadres et non-cadres autonomes dans l’organisation de leur emploi du temps. Il consiste à décompter le temps de travail non en heures, mais en jours ou en demi-journées, sur l’année.

Autre particularité de ce forfait : les dispositions concernant la durée légale hebdomadaire de travail, les heures supplémentaires, les durées maximales journalières et hebdomadaires de travail, ne s'appliquent pas aux salariés au forfait jours.

En revanche, ces salariés bénéficient du repos quotidien (11 heures par jour) et hebdomadaire (24h+11h heures consécutives par semaine).

Depuis 2001, les organisations syndicales ont déclaré à plusieurs reprises (réclamations collectives présentées par la CFE-CGC [(réclamation n° 9/2000, réclamation n° 16 /2003, réclamation n° 55/2009) et la CGT (réclamation n° 22/2003, réclamation n° 56/2009], que le dispositif du forfait jours n’était pas conforme aux textes européens et notamment à la charte sociale européenne. Le CEDS affirme sa position dans son dernier rapport publié en décembre 2010.

Selon lui, le forfait jour français n’est pas conforme :

  • à l'article 2 § 1 de la charte sociale européenne pour le motif que le temps de travail maximum (78 heures par semaine) pour les salariés soumis au régime de forfait annuel en jours est manifestement excessif et ne peut pas en conséquence être qualifié de raisonnable au sens de l'article 2 § 1 de la charte ;
  • à l'article 4 § 2 de la charte pour le motif que les heures de travail effectuées par les salariés soumis au système de forfait jours qui ne bénéficient, au titre de la flexibilité de la durée du travail, d'aucune majoration de rémunération, sont anormalement élevées.


C’est dans ce contexte que l’on attendait que la Cour de Cassation se prononce sur la compatibilité du forfait jours à la législation européenne. Dans l’affaire en question, le salarié remettait en cause son forfait jours pour le motif du non-respect de l’accord de la branche métallurgie du 28 juillet 1998 modifié par deux avenants des 29 janvier 2000 et 14 avril 2003. Ce texte autorisait le recours au forfait jours sous réserve que l’employeur établisse un document de contrôle des journées et demi-journées de travail, des temps de repos et congés ainsi que des modalités d’un suivi régulier de l’organisation et de la charge de travail. Il est important de souligner que l’accord de branche est antérieur à la loi du 20 août 2008, loi qui a considérablement « simplifié » les garanties apportées aux salariés en forfait jour. Mais avant de se prononcer sur le non-respect des dispositions conventionnelles, la Cour de Cassation s’est saisie de la question de la licéité des forfaits jours.

Le forfait jours oui, mais pas sans conditions !

Si, dans sa décision du 29 juin dernier, la Cour de Cassation (Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107 P+B+R+I)  ne remet pas en cause le dispositif, elle l’encadre plus précisément que ne le prévoit la loi actuellement en vigueur. En effet, pour que le forfait jours soit valable encore faut-il que ce dispositif soit prévu par un accord et que cet accord institue des garanties pour le salarié… Ce qui avait été « simplifié », pour ne pas dire plus, par la loi du 20 août 2008 (article L. 3121-39 CT) qui exigeait seulement que l’accord « détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions ».

Dans l’affaire en question, le dispositif de forfait jour instauré par l’accord de branche était conforme aux exigences de l’alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946 et des normes sociales européennes visées par l’article 151 du Traité FUE et les directives de l’Union européenne en matière de temps de travail du fait des garanties que l’accord de branche apportait aux salariés concernés. Les juges suprêmes ont, en effet, retenu que l’accord de branche prévoyait des mesures concrètes d’application des conventions de forfait en jours de nature à assurer le respect des règles impératives relatives à la durée du travail et aux temps de repos.

Selon les juges suprêmes, le forfait jours à la française est valable dès lors que l’accord qui l’institue offre des garanties suffisantes aux salariés. La question est alors de savoir quelles garanties seront jugées suffisantes par les juges ? Pour avoir une première piste de réponses, il suffit de reprendre les dispositions conventionnelles de la métallurgie qui ont été jugées suffisamment protectrices des droits des salariés pour ne pas remettre en cause la validité du forfait jour.

Ainsi, pour la Cour de Cassation, sont jugées suffisantes les garanties suivantes :

  • un contrôle du nombre de jours travaillés formalisé par un document de contrôle établi par l’employeur ou sous sa responsabilité, afin de décompter le nombre de journées ou de demi-journées travaillées, ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos prises, quelles que soient leur toute forme ;
  • un suivi régulier de l'organisation du travail de l'intéressé et de sa charge de travail par le supérieur hiérarchique.

 

  • Or, ces garanties conventionnelles ne sont rien d’autre que la retranscription des dispositions légales qui existaient avant leur abrogation par la loi du 20 août 2008 (ancien article L3121-45 CT).


Dans l’affaire qui nous concerne, il était légitime de retrouver ces exigences, l’accord ayant été conclu sous l’ancienne législation. Dans le cadre de la législation actuelle, l’employeur devra quand même décompter chaque année le nombre de journées  ou de demi-journée travaillées par chaque salarié (article D3171-10 CT), ce contrôle sera-t-il jugé suffisant par les juges ?

Un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l'organisation et la charge de travail de l'intéressé et l'amplitude de ses journées d'activité. Cette amplitude et cette charge de travail doivent rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé. Or, pour rappel, l’article L.3121-46 CT impose formellement un tel  entretien qui doit porter également sur l'organisation du travail dans l'entreprise ; l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ; la rémunération du salarié.

  • Avec cette décision, les partenaires sociaux ne devraient pas être si nombreux à devoir se mettre autour de la table des négociations car la plupart des accords sont antérieurs à la loi du 20 août 2008 (seulement 6 000 accords auraient été signés depuis selon le Ministre du Travail, tous ne comportant pas des dispositions sur le forfait jours) et prévoient, donc, déjà ce type de « garanties »… Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de contentieux individuels du fait d’application plus ou moins laxiste de l’accord par les entreprises, alors qu’un accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 incite les entreprises à prendre en compte les dangers liés à une organisation du travail (pathogène vis-à-vis des RPS) pour lutter contre les phénomènes de harcèlement et de violence au travail. Mais c’est un signal fort à l’attention des directions d’entreprise qui sont de plus en plus enclines à renégocier les accords sur l’aménagement du temps de travail.
« Les cadres au forfait jours doivent bénéficier d’une autonomie encadrée pour pouvoir avoir une vie en dehors du boulot, si, si ! »… Quid de l’utilisation d’internet et de la messagerie électronique à distance avec ou sans smartphones pendant le repos quotidien ou hebdomadaire ? Entre autonomie, liberté d’utilisation et nécessité d’encadrer ces dernières pour prévenir d’effets indésirables sur la santé, le cœur des DRH n’a pas fini de balancer !
  • L'accord d'entreprise prime sur l'accord de branche. La négociation d'accord d'entreprise est même possible en présence de clauses contraires dans des accords de branche...

Mais que devient le forfait jours si l'employeur ne respecte pas les garanties conventionnelles ?

Si un accord prévoit des mesures concrètes de protection des salariés au forfait jours, encore faut-il que l’employeur les respecte ! C’est ici que l’arrêt est intéressant… Car en bon latin, écrire est facile, mais appliquer l’est beaucoup moins…

Dans un arrêt du 10 janvier 2010 (Cass. soc, 10 janvier 2010, n° 08-43.201), la Cour de Cassation avait jugé que le défaut d’exécution par l’employeur des stipulations conventionnelles relatives aux modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés soumis au régime du forfait en jours ne remettait pas en cause la validité de la convention organisant ce régime mais ouvrait seulement droit à des  dommages et intérêts pour le salarié concerné, conformément à ce que prévoit l’article L. 3121-47 du Code du Travail : « Lorsqu'un salarié ayant conclu une convention de forfait en jours perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées, il peut, nonobstant toute clause contraire, conventionnelle ou contractuelle, saisir le juge judiciaire afin que lui soit allouée une indemnité calculée en fonction du préjudice subi, eu égard notamment au niveau du salaire pratiqué dans l'entreprise, et correspondant à sa qualification ».

Influencée ou pas par le CEDS et/ou par la médiatisation de l’affaire, plus probablement par l’obligation de résultat de l’employeur vis-à-vis de la préservation de la santé et de la sécurité des salariés (qu’elle rappelle avec force à chaque fois que l’occasion lui est donnée de le faire), la Cour de Cassation revient sur sa position dans sa décision du 29 juin dernier et juge que de tels manquements, dès lors qu’ils privent le salarié de toute protection de sa santé, privent également d’effet la convention de forfait en jours conclue avec celui-ci.(Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107 P+B+R+I) La sanction n’est pas sans conséquence pour l’employeur qui aurait « oublié » de mettre en oeuvre les garanties pourtant écrites.

  • En effet, si le forfait jours est invalidé, le salarié pourra alors demander le paiement des heures supplémentaires accomplies.


Pour rappel, la preuve des heures effectuées est partagée entre le salarié et l’employeur. (art. L3171-4 CT). Si les juges sont assez souples sur les éléments apportés par le salarié en appui de sa demande, (ex : un décompte d’heures de travail, rédigé par le salarié et calculé mois/mois, Cass. soc., 24 novembre 2010, n° 09-40928 FPPBR), ils ne vont pas jusqu’à retenir des éléments flous et invérifiables (ex : les fiches du salarié  faisant référence à des semaines sans préciser l’année. Cass. soc., 16 juin 2011, n° 09-69250 D).
Les employeurs sont donc avertis… 

En résumé, pour que le forfait jours soit valable, il faudra:

  • qu’un accord prévoie un minimum de garanties aux salariés sous forfait jour ;
  • que l’employeur applique les garanties accordées par cet accord.
Cette décision soulève cependant des questions sur la notion de garanties suffisantes notamment dans le cadre des accords postérieurs à la loi du 20 août 2008.
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