Organisations
Contrats aidés : salariés invisibles
Alain Pellé, secrétaire général du SMA CFDT (Syndicat mouvements et associations), nous alerte sur l'invisibilité des salariés bénéficiant de contrats aidés...
Depuis le 1er janvier 2010, le « contrat unique d’insertion » (CUI) est entré en vigueur, destiné à se substituer aux divers systèmes de contrats aidés générés au fil du temps par l’empilement des dispositifs d’accès à l’emploi en faveur des jeunes, des seniors, des chômeurs de longue durée, des bénéficiaires du RSA etc.
« Contrat d’avenir », « contrat d’accompagnement dans l’emploi », « adulte-relais »… : nous connaissons depuis longtemps l’infinie variété de ces contrats dits d’insertion. A priori le CUI traduit une volonté d’harmoniser le statut des salariés embauchés dans le cadre de ces dispositifs. Plus exactement, le « contrat unique » revêt une double forme : pour le secteur non marchand, c’est-à-dire principalement les collectivités locales et le secteur associatif, il s’agit d’une nouvelle version du contrat d’accompagnement dans l’emploi (CAE) ; pour le secteur marchand, d’un CIE (contrat initiative emploi) réformé. Notons par ailleurs que l’unicité de ce contrat « new look » demeure relative puisqu’il coexiste avec celui, maintenu, des « adultes-relais ».
Un gouvernement en panne d’imagination ou un ministre en peine de notoriété résistant généralement mal à la tentation de laisser sa marque dans l’Histoire sous la forme d’un acronyme plus ou moins abscons, nous verrons combien de temps durera cette vertu simplificatrice. En attendant, il importe d’appréhender, à travers un prisme syndical, la nouvelle réalité juridique ainsi créée et d’examiner si le contrat unique représente une réelle avancée. Hélas, force est de constater qu’il laisse perdurer nombre de questions et d’ambiguïtés : les personnes en CUI semblent destinées à souffrir de la même invisibilité que leurs prédécesseurs et risquent d’éprouver les mêmes difficultés pour exister en tant que salariés à part entière…
- De manière symptomatique, la loi de finance 2011 entérine de drastiques coupes dans les subventions allouées à ces emplois : 60 000 contrats en moins dès cette année, 200 000 à l’horizon 2013… Soit l’État n’est pas convaincu de l’efficacité de ces dispositifs d’insertion, soit il y voit d’abord une variable d’ajustement comptable, bien commode en période de lésine budgétaire. Les chômeurs « rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières d’accès à l’emploi » (pour reprendre la définition légale et quelque peu imprécise des bénéficiaires du CUI) peinent manifestement à peser sur les arbitrages gouvernementaux. À une certaine invisibilité sociale se conjugue l’invisibilité politique.
Un monde flou, flou, flou
On pourrait ajouter à ce constat peu enthousiasmant un certain flou administratif et statistique puisqu’on ne parvient qu’avec peine à obtenir de Pôle Emploi ou des directions du travail des données un peu fines sur la réalité des contrats d’insertion et sur les pratiques auxquelles ils donnent lieu. Si à force de patience on parvient à grappiller des éléments quantitatifs globaux, on reste généralement sur sa faim dès lors que la curiosité nous pousse à disposer d’évaluations qualitatives. S’agissant d’acteurs censés superviser, voire piloter, les politiques d’insertion dans l’emploi, la carence est singulière et on peut légitimement s’interroger : les chiffres existent-ils ? Sait-on vraiment ce qu’on fait ? Se contente-t-on de remplir des quotas administrativement fixés, de gérer des flux et des stocks sans se soucier outre mesure d’évaluation et d’efficacité ? À moins qu’il ne s’agisse tout simplement de pudeur : les salariés en CUI disparaissent bienheureusement des statistiques du chômage, pourquoi chercher à en savoir davantage ?
Beaucoup d’aspects mériteraient pourtant que la curiosité institutionnelle s’exerce avec un peu plus d’acuité. Sans vouloir se montrer trop déplaisant, on doit rappeler que les contrats aidés ont toujours présenté un risque d’instrumentalisation. Ils sont en partie dérogatoires au droit commun, notamment pour ce qui touche à leur durée : les règles spécifiques qui leur sont applicables autorisent ainsi la conclusion de CDD pour deux ans, trois ans, voire plus… Les conditions de rupture (ou d’indemnisation en cas de rupture irrégulière par l’employeur) sont aussi particulières.
- De plus, les salariés en CUI ne sont pas pris en compte dans le calcul de l’effectif de l’entreprise, ce qui permet de s’exonérer des obligations liées aux différents seuils sociaux, particulièrement en matière d’institutions représentatives du personnel : cela revient souvent à leur dénier le droit à la représentation collective (on pourrait d’ailleurs se préoccuper de la constitutionnalité d’une telle exclusion !). On connaît ainsi des associations de deux cents salariés (majoritairement en CUI), dépourvues de comité d’entreprise et de CHSCT, l’effectif légal permettant à peine l’élection de deux délégués du personnel… Invisibilité sociale, invisibilité politique, invisibilité juridique et civique.
Chasseurs de primes
Il y a trop fréquemment pour les employeurs un effet d’aubaine, les embauches réalisées dans ce cadre ne pesant guère sur les budgets, du fait d’exonérations et de subventions (sur la base du SMIC) couvrant une large part des coûts salariaux. Que penser de microstructures dont l’unique permanent est en CUI, alors que l’investissement bénévole des dirigeants est à l’évidence incapable de garantir un minimum d’encadrement ou de tutorat ? Quid de postes de responsables de service ou de directeurs, grassement rémunérés, occupés par des salariés bardés de diplômes et en contrat aidé ? La litanie des incongruités constatées par nos équipes pourrait s’égrener longtemps. Ce qui frappe, ce n’est pas l’existence des détournements de la lettre et de l’esprit des contrats d’insertion, c’est leur fréquence et, plus que tout, l’effarante inertie des interlocuteurs publics lorsque nous leur signalons de tels manquements.
Une embauche en CUI nécessite la signature d’une convention tripartite entre l’organisme prescripteur (généralement Pôle Emploi mais aussi, par délégation, les missions locales), l’entreprise (ou organisme) d’accueil et le salarié « bénéficiaire ». Cette convention détaille les engagements en termes d’encadrement, de formation, de VAE… C’est bien sur le respect effectif de ses obligations par l’employeur que le débat porte : nous rencontrons régulièrement de ces « salariés bon marché » ne bénéficiant d’aucun soutien pédagogique ou accompagnement professionnel dans leur poste. Dans l’esprit du législateur, la création du CUI garantit une plus grande rigueur dans le suivi et l’évaluation de ces conventions. Les différents acteurs publics devraient donc déployer plus de zèle et de vigilance. Si l’on se souvient du laxisme et de la désinvolture avec lesquels l’administration a traité les obligations similaires explicitement prévues dans le défunt CAE en matière de formation, il y a néanmoins de quoi nourrir un certain scepticisme sur sa motivation à encadrer sérieusement le CUI.
Un enjeu syndical
Dans un tel contexte, le rôle des représentants du personnel s’avère déterminant, les salariés concernés se trouvant dans une situation trop vulnérable pour exiger seuls le respect des engagements pris. Le comité d’entreprise et les délégués du personnel disposent légalement d’un droit spécifique à l’information sur les conventions de CUI conclues par l’entreprise. Il est donc important que les élus et les équipes syndicales se saisissent systématiquement de ces questions, afin de veiller à ce que les salariés en insertion bénéficient effectivement des contreparties auxquelles ils ont droit.
Les problématiques propres à ces salariés sont trop souvent méconnues : elles constituent fréquemment un point aveugle dans les diagnostics syndicaux. Pourtant, lutter contre l’instrumentalisation de ceux qui peuvent assez vite ressembler à des salariés au rabais, c’est contrecarrer la précarisation des statuts et des conditions de travail qu’elle pourrait favoriser. La question des contrats aidés ne peut demeurer dans l’angle mort de notre action revendicative ; accroître notre représentativité et notre légitimité dans le monde du travail exige que nous ne négligions pas d’en essarter les marges. Il nous incombe de veiller à ne pas les condamner à l’invisibilité syndicale.