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“Comme l’artiste, le travailleur d’aujourd’hui se remet en question chaque jour”
Pourquoi le travail a-t-il repris sa place au panthéon des valeurs durant la dernière campagne présidentielle ?
Pierre Boisard: Le travail est toujours resté une valeur forte pour les Français. Tous les sondages, toutes les enquêtes montrent un grand attachement au travail, depuis vingt, trente, ans, même chez les jeunes. En revanche, un discours politique s’est développé sur l’idée que le travail était en voie de disparition. Deux visions convergent là et se mêlent selon des dosages divers : celle d’un épuisement de l’emploi du fait des progrès de productivité, et celle, hédoniste, qui promet le temps libre, les loisirs, voire l’oisiveté [lire le chapitre du Nouvel âge du travail sur le tournant des 35h, ndlr]. Cette vision des choses a connu son apogée dans les années 90. Les discours politiques de cette époque, y compris ceux du PS, ne parlent plus de travail. C’est sans doute en constatant le décalage avec la réalité des faits que Nicolas Sarkozy a repris cette valeur, qui était restée populaire en réalité.
Vous dites cependant que ce retour dans le discours politique, et médiatique, de la valeur travail ne tient pas compte des évolutions même du monde du travail ces dernières décennies.
Effectivement, nous sommes éduqués et nous éduquons nos enfants avec l’idée que le travail est nécessairement dur, physique, pénible. C’est également l’image véhiculée par la publicité, par les médias, et par le discours politique désormais : il faut se donner du mal pour garder son travail, c’est une discipline, une ascèse, beaucoup d’efforts. C’est une vision d’un autre siècle, celle du travail paysan, en décalage avec ce qu’est le travail aujourd’hui, qui est plus relationnel et intellectuel, et moins physique.