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Lutte contre la concurrence sociale déloyale : une chance abyssale ?
La législation communautaire garantit aux travailleurs détachés le respect par leur employeur d’un « corpus » de règles (temps de travail, taux de salaire minimum etc.) de l’État membre d’accueil. Cela étant, le salarié détaché reste toujours affilié au système de sécurité sociale de son pays d’origine, ce qui permet à l’employeur de réaliser des économies.
Quid : Pourquoi une proposition de loi sur le détachement des travailleurs ?
Le méli-mélo juridique issu de la conjonction de la directive « détachement » avec la directive relative aux services dans le marché intérieur (dite « Bolkestein ») a servi « d’alibi » à de nombreuses fraudes et détournements consistant à utiliser le négoce de main-d’œuvre bon marché comme argument de concurrence.
Face à la prolifération de salariés « low-cost » causant des tensions sur le marché du travail et l'absence de dispositions concrètes en matière de contrôle au sein de la directive de 1996, la Commission européenne avait présenté en 2012 une proposition de directive d’application de la directive 96/7. La notion de détachement y est précisée, la coopération administrative entre les États membres et l’information des salariés et des employeurs se voient renforcées.
Courant 2013, cette proposition de directive avait fait l’objet de l’adoption au Sénat d’une proposition de résolution. En effet, les sénateurs ayant trouvé cette proposition de directive insuffisante, ils proposaient de la compléter par l’ouverture d’une liste de mesures de contrôle avec l’instauration d’une labellisation européenne des entreprises qui détachent correctement leurs travailleurs.
Quid : Quelle est donc l’objectif poursuivi par la proposition de loi actuellement en discussion devant l’Assemblée nationale ?La France veut « s’armer » pour lutter contre les abus et les fraudes complexes à la directive 96/71 afin de rétablir une concurrence équitable au sein du marché intérieur et renforcer les moyens de la lutte contre le travail illégal.
Pour ce faire, la proposition de loi prévoit notamment de renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre pour lutter contre la concurrence déloyale :- en étendant l’obligation de vigilance de l’entreprise bénéficiaire d’une prestation de service internationale ;
- en élargissant les cas dans lesquels un maître d’ouvrage ou un donneur d’ordre peut être tenu au paiement des salaires des employés des sous-traitants ;
- en étendant le devoir d’injonction du maître d’ouvrage en cas de travail dissimulé ;
- en permettant de sanctionner tout maître d’ouvrage ou donneur d'ordres qui poursuivrait, au-delà d’un mois, son activité avec une entreprise en situation d’irrégularité et cela alors même qu’il a été informé par écrit de la situation ;
- en établissant une liste noire d’entreprises et prestataires de services condamnés à au moins 45 000 euros d’amende pour travail dissimulé.
Autre « front d’attaque » de cette proposition de loi, la lutte contre le dumping social.
Les associations et les syndicats professionnels auront la faculté d’ester en justice et tout candidat à l’attribution d’un marché public aura l’obligation de détenir une attestation d’assurance décennale.
Début mai, la proposition de loi visant à lutter contre les fraudes et les abus constatés lors des détachements de travailleurs et la concurrence déloyale a été adoptée par les sénateurs.
Les principales mesures :
- Personne ne peut être détaché dans un pays dont il est ressortissant.
- Le Code du travail contiendra un nouveau titre relatif à la vigilance du donneur d'ordre en matière d'application de la législation du travail.
- Un dispositif unique de solidarité financière sera applicable au donneur d’ordres et au maître d’ouvrage en cas de non-paiement du salaire minimum à un salarié d’un sous-traitant, qu’il soit détaché ou non (ce dispositif s’applique également aux personnes qui recourent aux services d’une entreprise de travail temporaire).
- Un signalement sur internet des personnes physiques ou morales condamnées pour certaines infractions de travail illégal est instauré.
- Les organisations syndicales représentatives pourront agir en justice en faveur d'un salarié sans avoir à justifier d'un mandat de l'intéressé.
- La justice pourra prononcer à titre de peine complémentaire, à l’encontre d’une personne condamnée définitivement pour certaines infractions de travail illégal, l’interdiction de percevoir toute aide publique pendant une durée maximale de 5 ans. En clair, les entreprises délictueuses devront reverser aux organismes concernés l’intégralité des sommes perçues au titre d’aides publiques durant la période du contrat incriminé.
De plus, la proposition prévoit que tout prestataire étranger devra désigner un représentant en France qui sera chargé d’assurer la liaison avec les agents de contrôle.
De son côté, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre devra vérifier que le prestataire étranger a effectué sa déclaration préalable de détachement et désigné un représentant.
À noter qu’en cas de manquement, une sanction administrative de 2 000 € par salarié détachée (plafonnée à 10 000 €) pourra être appliquée.
Début juin, les discussions se sont poursuivies avec la réunion de la commission mixte paritaire pour proposer un texte sur les dispositions restant à débattre.
Petit bilan de l’accord ainsi élaboré qui prévoit notamment :
- la création de règles simples et rigoureuses, assorties d'une amende administrative, pour rendre effective l'obligation de déclaration préalable de détachement, en responsabilisant notamment les maîtres d'ouvrage et les donneurs d'ordre ;
- l'instauration d'un dispositif unique de solidarité financière, applicable au donneur d’ordre et au maître d’ouvrage, en cas de non-paiement du salaire minimum à un salarié d’un sous-traitant, qu’il soit détaché ou non ;
- l’indication du nombre de salariés détachés accueillis dans le bilan social des entreprises ;
- la suppression du seuil de 15 000 €, prévu pour la liste noire des personnes condamnées pour certaines infractions de travail illégal (extension de cette suppression à toutes les infractions de travail illégal).
La Commission mixte paritaire en a aussi profité pour supprimer la possibilité pour le juge de prononcer, comme peine complémentaire à l’encontre d’une personne condamnée pour travail illégal, le remboursement des aides publiques perçues les 5 années précédentes.
Le prochain rendez-vous est fixé au 12 juin pour l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire…