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La protection sociale, un objet social qui ne se réduit pas à une approche technique
Pour Philippe Portier, secrétaire général de la CFDT FGMM (métallurgie), « quand les bases de la technique sont maîtrisées, alors l’objet n’est pas aussi complexe que l’on veut parfois le présenter ». Il intervenait à l’occasion de la matinée-débat organisée le 10 avril par SMI Mutuelle qui visait à interroger syndicalistes, RH et experts sur la place de l’objet « protection sociale » au sein des branches et des entreprises dans le nouveau cadre du dialogue social.
La protection sociale pose des questions sociales de fond, comme c’est le cas dans la branche de la métallurgie où la remise à plat du socle doit contribuer à garantir l’égalité de traitement entre les cadres et les non-cadres. Mais avant de mettre un tel sujet de discussion sur la table, il convient que les négociateurs tant des salariés que des directions soient au niveau techniquement et ne laissent ainsi pas la main aux seuls experts des techniques assurantielles. Cela vaut au niveau des branches comme des entreprises.
Chez Total, avant de débuter la négociation du nouveau cadre de la protection sociale qui s’est appliqué au 1er janvier 2016, des groupes de travail ont commencé à plancher sur le sujet d’octobre 2014 à février 2015. « La négociation a ensuite été rapide puisque l’accord a été signé en juillet 2015. Les arbitrages sociaux sont d’autant plus faciles à prendre quand tous les acteurs maîtrisent les éléments factuels du dossier. Cette compétence technique des parties prenantes doit ensuite perdurer dans le cadre de la commission de suivi de l’accord », souligne Bruno Henri, représentant du Sictame UNSA de Total. Tout le monde s’accorde sur ce préalable des compétences techniques. « Quand j’étais DRS à CNP Assurances, filiale de la Caisse des dépôts, il y avait des actuaires du côté de la direction mais aussi des syndicats. C’était un bonheur que de négocier la protection sociale dans ces conditions. J’ai ensuite pris l’habitude de travailler en binôme avec le responsable des avantages sociaux sur les sujets de protection sociale », se souvient Michaël Lecomte, aujourd’hui en charge des relations sociales des usines Novartis. Selon Xavier Pignaud, avocat associé du cabinet Rigaud Avocats, « tout autant que les directions, les syndicats doivent avoir les moyens d’être conseillés en la matière ».
Des questions à baliser
Les questions sur l’égalité des traitements, sur la prise en charge des retraités, sur la proportionnalité des cotisations en fonction du salaire ou encore sur la responsabilité de rembourser telles ou telles prestations s’invitent régulièrement dans les débats de la protection sociale. « Au nom de la solidarité, une majorité de salariés doit-elle participer à financer une surcomplémentaire non responsable obligatoire qui va bénéficier aux seuls salariés concernés par les dépassements d’honoraires des spécialistes ? », s’interroge ainsi Bruno Henri. Encore faut-il être en capacité d’accompagner ces riches débats. L’appropriation technique par les deux parties est essentielle car le moindre changement peut entraîner un flot de questions de la part de salariés inquiets. « Certains syndicats étaient favorables à l’idée de sortir les familles de la couverture au regard de la typologie des salariés. Il nous a fallu peser pour préserver un socle familial au-delà des enjeux électoraux pour les syndicats », rapporte Michaël Lecomte alors qu’il était directeur des relations sociales chez Accenture, en France.
Prioriser les actions
De l’intérêt de s’organiser au mieux pour s’adapter à la baisse des ressources militantes consécutives aux ordonnances sur le code du travail. Ce nouveau cadre du dialogue social va mener les organisations syndicales à prioriser les actions alors que les effectifs des DRH sont aussi à la baisse. Reste que la protection sociale est considérée comme essentielle dans beaucoup d’ETI et incontournable dans les grandes entreprises. Selon Michaël Lecomte, « la protection sociale fait partie des arguments que l’employeur valorise au moment des recrutements et c’est un élément que les salariés de la plupart des grandes entreprises retrouvent dans leur bilan social individualisé ». En permettant aux entreprises de potentiellement déroger aux accords de branche en protection sociale pour « peu » de proposer des « prestations au moins équivalentes », les ordonnances Macron sont également source de changement. « En poussant le raisonnement jusqu’au bout, on pourrait envisager le scénario d’un accord d'entreprise qui serait moins intéressant pour les salariés que le socle imposé par la branche mais qui serait pour autant valable s’il proposait en contrepartie de meilleures prestations sur la prévoyance », estime Xavier Pignaud en guise de perspectives. Philippe Portier ne craint pas ce mouvement et il trouve d’ailleurs que les syndicats et les DRH « sont trop attentistes en matière de protection sociale ».
La loi sur le travail de l’ex-ministre Myriam El Khomri qui impose l’accord majoritaire peut aussi mener à modifier le rapport de forces dans un contexte de résiliation d’un contrat. « Si les signataires pèsent près de 30 % des suffrages sans avoir la majorité, il faut en passer par un référendum. Cela prend un temps qui est difficilement compatible avec le délai de la résiliation », alerte Xavier Pignaud. Ce problème ne se pose pas aux employeurs qui privilégient la décision unilatérale. « La négociation sociale n’est pas une finalité en elle-même » affirme d’ailleurs Jean-Charles Simon, candidat à la présidence du MEDEF, auteur de l’ouvrage Faut-il en finir avec le paritarisme ? et spécialiste de la protection sociale. « Dans beaucoup de PME, vous trouvez des salariés qui ne comprennent pas que l’on puisse leur imposer l’adhésion à une complémentaire de santé. Je suis pour le droit à la liberté pour l’employeur de proposer une complémentaire, de même qu’à celui du salarié de la refuser », lance celui qui reconnaît que son approche n’est pas la plus égalitaire. Encore une illustration du champ des questions auxquelles les acteurs de la protection sociale doivent être capables de répondre.
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