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La problématique des requalifications liées au droit du travail dans les boutiques d'opérateurs télécom
Au début du XXIème siècle, les opérateurs de téléphonie mobile et fournisseurs d'accès à internet ont développé des réseaux de boutiques à leur nom.
Orange, s'appuyant sur le réseau historique des agences France Télécom, a de plus passé des « contrats de partenariat » avec des PME pour que ces dernières représentent ses produits et services via la marque Mobistore. Le groupe Vivendi, majoritaire dans SFR, a développé des « contrats partenaires » avec différentes sociétés pour que celles-ci participent au maillage du réseau des espaces SFR. Enfin, Bouygues Télécom, via sa filiale RCBT, a passé des contrats de « mandataires » ou de « consignation-vente » avec, là aussi, quelques centaines de petites entreprises intégrées ainsi au réseau des clubs Bouygues Télécom. Tous ces contrats étaient conclus intuitu personae donc soumis au contrôle de l'opérateur sur un changement de gérant de la PME.
Or, la consolidation du marché des télécommunications, survenue avec l'arrivée du quatrième opérateur (Free) qui privilégie un mode de distribution par la toile, a entraîné une réduction du nombre de points de vente aux couleurs des trois premiers opérateurs.
Se pose alors l'épineuse question du coût social de la fermeture de ces boutiques. Certains contentieux commerciaux ont abouti au refus par les tribunaux du statut convoité d'agence commerciale en raison de l'impossibilité pour les boutiques de « négocier » les tarifs des abonnements et des téléphones au nom et pour le compte de l'opérateur. Il est d'ailleurs dommageable qu'aucune juridiction française n'ait jugé utile de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l'Union européenne concernant l'interprétation du terme « négocier », les différents pays européens ayant chacun des jurisprudences différentes bien que l'agence commerciale soit régie par une directive européenne de 1986.
Déboutés devant la justice commerciale, les gérants des sociétés voyant leur contrat résilié par l'opérateur qu'ils représentaient, ont en revanche été soutenus par les juridictions sociales qui leur accordent des requalifications en contrat de travail salarié ou en contrat de « gérant de succursale ».
Soutien des juridictions sociales
Cela a d'abord été le cas pour des « mandataires » du réseau des clubs Bouygues Télécom dès 2006 ayant obtenu leur requalification en salariés de RCBT par la Cour d'appel de Versailles. RCBT a renoncé à son pourvoi en cassation en 2007.
Les raisons de cette requalification ont été les suivantes :
- On sait qu'un salarié travaille contre rémunération sous l'autorité d'une personne qui donne des directives, contrôle l'application de celles-ci et dispose d'un pouvoir de sanction si ces dernières sont mal appliquées.
Or, les boutiques Bouygues recevaient chaque jour des instructions détaillées et un système de « visites mystère » contrôlaient la mise en place de celles ci. Les contrevenants étaient alors pénalisés sur leur rémunération. Le port de l'uniforme, la mise en avant de telle ou telle formule, le temps d'attente, tout était noté et pouvait donner lieu à sanctions.
- Ajoutons à cela que le stock et la clientèle appartenaient à l'opérateur et que les prix étaient imposés ; la société prétendument indépendante n'avait ainsi aucune maîtrise sur sa politique commerciale.
Puis, ça a été au tour de gérants d'espaces SFR, qui en raison de l'absence de « visites mystère » n'ont pu revendiquer la requalification en salariés mais ont toutefois obtenu la qualification de « gérant de succursale » prévue par l'article L.7321-1 du Code du travail.
En effet, est « gérant de succursale » toute personne dont la profession consiste essentiellement soit à vendre des marchandises de toute nature qui lui sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, soit à recueillir les commandes ou à recevoir les marchandises à traiter, manipuler ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise, lorsque ladite personne exerce sa profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise.
- Seule Orange semble épargnée par ces contentieux, ce qui laisse supposer une politique d'accompagnement négocié lors des déréférencements des points Mobistore.
Le coût de ces requalifications est loin d'être négligeable puisque la prescription quinquennale des salaires s'applique encore à ce jour (l'application du nouveau délai de trois ans prévu par la loi n° 2013-504 du 13 juin 2013 n'étant en réalité effective qu'à compter du 16 juin 2016, compte tenu des dispositions transitoires applicables), sauf pour les participations aux résultats de l'entreprise.
La fermeture des boutiques d'opérateurs s'accélérant en raison des restructurations du marché, les contentieux prud'homaux vont se multiplier en l'absence d'accord à l'amiable. Miroir Social vous tiendra au courant des futurs jugements, décisions et arrêts.
Jurisprudences actuelles
Bouygues Télécom: Cour d'appel de Versailles, 24 octobre 2006, RG 06/01817 ; Cour de cassation sociale, 18 octobre 2007, pourvoi 06-46217,
SFR: Cour de cassation sociale
12 février 2014 pourvoi 12-28160,
9 octobre 2013 pourvoi 12-21252,
1er février 2011 pourvois 08-45223 et 09-71850.
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