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28 / 04 / 2009 | 2 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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Vers des CHSCT sous influence des directions ?

Les conditions de travail riment de plus en plus avec risque juridique. Un juge peut en effet parfaitement décider de stopper un PSE s’il estime que la restructuration est de « nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés ». Le défaut de prévention des risques professionnels peut coûter cher à une direction négligente. Comme dans le cas de l’amiante ou encore à propos des suicides. Les dépressions peuvent être reconnues comme maladie professionnelle. Le risque n’est pas simplement financier. C’est au pénal que les contentieux peuvent se régler pour le motif que l’employeur a mis la vie d’autrui en danger.

En 2002, les 24 000 CHSCT avaient fait appel à des cabinets d’expertises agrées environ 200 fois. En 2008, le nombre de recours à l’expertise a été multiplié par six. La marge de progression reste très importante au regard de la multiplication des réorganisations et autres restructurations dont les conséquences sur les conditions de travail sont de plus en plus complexes à décrypter. Surtout que les CHSCT ne peuvent plus faire l’impasse sur le sujet de la prévention des risques psycho-sociaux. Si les rapports remis par les cabinets d’experts servent avant tout à trouver des terrains d’action concertés entre les directions et les représentants des salariés, ils sont autant d’éléments potentiellement recevables par les juges.

La question de l'agrément est officiellement posée

C’est dans ce contexte que la Direction Général du Travail (DGT) confirme que la procédure d’agrément des cabinets d’experts CHSCT va passer sur le grill pour voir si elle doit évoluer dans le giron du Ministère du Travail avec toujours une approche paritaire ou s’il faut entièrement l’externaliser. En la transformant par exemple en une accréditation délivrée par le Cofrac, le comité français d’accréditation.

Officiellement, c’est la directive européenne Bolkestein relative aux libertés d’établissement des prestataires de services dans le marché intérieur qui justifie cet « audit » sur les conditions de l’agrément des cabinets d’experts CHSCT. À charge pour le Ministère de justifier cet agrément à partir de janvier 2010 à tout prestataire européen désireux de se placer sur ce marché appelé à grossir. « Nous comptons bien entendu impliquer les partenaires sociaux dans la réflexion, comme nous l’avons déjà fait quand les agréments des laboratoires en charge du contrôle de la qualité de l’air ou encore des risques électriques se sont transformés en accréditations du Cofrac », explique Mireille Jarry, sous-directrice des conditions de travail à la DGT.

Vers une accréditation de la capacité à mesurer, pas à conseiller

 Le site du Cofrac indique que « l’accréditation s’appuie sur des critères et des procédures spécialement conçues pour évaluer la compétence technique... Les évaluations des candidats à l’accréditation sont menées sur la base des normes européennes ou internationales ». Voilà qui peut parfaitement s’appliquer pour mesurer l’exposition à l’amiante ou le débit d’air dans un local. Encore que concernant l’amiante (Lire le décryptage sur Otis), les mesures peuvent varier selon que la manipulation de l’objet incriminée se fasse par une ou plusieurs personnes. Mesurer le degré d’exposition au TMS devient un peu plus difficile. Que dire de la mesure des risques psycho-sociaux et du stress en particulier.

  • Il existe pourtant déjà une norme européenne (ISO 10075-1) sur « la charge de travail mental ». Elle inclus la « contrainte mentale » et « l’astreinte mentale ». Toute une série de directives européennes concernent aussi le stress.


« Les pouvoirs publics ont de plus en plus souvent tendance à exiger l’accréditation des organismes d’évaluation de la conformité (laboratoires, organismes d’inspection ou organismes certificateurs) pour l’exécution de contrôles réglementaires. Cette tendance s’est d’ailleurs renforcée depuis la parution du règlement européen du 9 juillet 2008 qui donne à l’accréditation un statut de service public. Ces accréditations réglementaires sont délivrées par le Cofrac sur la base des normes internationales complétées, si l’administration le demande, d’exigences réglementaires. L’ouverture d’un nouveau domaine d’accréditation nécessite de réaliser au préalable un document d’exigences spécifiques afin que les règles d’accréditation soient claires et connues de tous. Ce document est réalisé avec la participation de toutes les parties intéressées (demandeurs d’accréditation, leurs clients, pouvoirs publics...). Il arrive aussi quelques fois que le Cofrac soit amené à refuser d’ouvrir un nouveau domaine d’accréditation lorsque l’activité n’est pas accréditable (ingénierie, par exemple) », explique Daniel Pierre, le directeur général de cette association à but non lucratif (loi du 1er juillet 1901) qui emploie 80 permanents coordonnant un réseau d’environ 1 000 évaluateurs et experts et qui, à ce jour, a déjà accrédité plus de 1 600 laboratoires, près de 300 organismes d’inspection et une centaine d’organismes certificateurs.

Si le contrôle de l’ingénierie ne fait pas partie du champ de compétence du Cofrac, quid de l’ingénierie sociale ? Le transfert de l'agrément en accréditation n'est donc pas gagné. Une chose est certaine, le Cofrac accrédite exclusivement les activités de contrôle. Or si les missions des cabinets auprès des CHSCT visent bien à mesurer, elles comportent aussi une dimension conseil qui n'est pas accréditable. Les cabinets seraient alors contraints de créer des filiales distinctes entre l'activité "controle" et celle dédiée au "conseil".

  • Le Cofrac affirme facturer à prix coûtant. À combien reviendra une accréditation pour un cabinet d’experts CHSCT ? Le tarif sera fonction de la taille du cabinet. En attendant, la procédure d’agrément ministériel actuelle est gratuite.

Front uni de refus des syndicats

« La fin de l’agrément signifiera la mort de l’expertise CHSCT » - Yves Bongiorno, CGTLes cinq organisations syndicales (CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, CFDT) ont adressé un courrier vendredi dernier à la DGT pour rappeler leur attachement à un agrément ministériel. Elles voient dans la procédure d’accréditation un risque majeur de banalisation. « Il y a actuellement 70 cabinets agréés dont l’objectif vise avant tout à déboucher sur un compromis social. Une accréditation se traduirait à l’évidence par une multiplication des cabinets éligibles à des missions d’expertise auprès des CHSCT », déclare Bertrand Neyrand, assistant confédéral en charge de la santé au travail à la confédération FO. Des cabinets susceptibles de diluer les responsabilités de l’employeur ou de culpabiliser des personnes tout en étant capables de justifier d’une capacité à respecter des procédures normées. « Le patronat ne serait pas gagnant car la lisibilité de l’offre serait plus floue. Les contentieux sur le choix des prestataires se multiplieraient », estime Benoit Tassard, en charge des conditions de travail à la CFTC. Les contentieux pour mise en danger de la vie d’autrui ou encore pour défaut de protection des employeurs pourraient tout autant se développer à l’issue de missions d’expertise mal conduites. Yves Bongiorno de la confédération CGT lance : « la fin de l’agrément signifiera la mort de l’expertise CHSCT. Seul l’agrément est le garant d’un contrôle social. »

La représentation sociale en question

Aujourd'hui,  tous les dossiers de demande d’agréments passent pour avis auprès d’une commission paritaire du Conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT). Le Ministère du Travail délivre ensuite ou non l’agrément pour une durée de un à trois ans. En amont, ce sont des instructeurs de deux organismes paritaires que sont l’Anact et l’INRS qui passent les demandes en revue.

Un choc des cultures avec le Cofrac dont la structure n’a rien de paritaire mais dont les statuts prévoient une place, dans son troisième collège regroupant les « représentants d’intérêts publics », pour les associations de consommateurs, d’usagers et de protection de l’environnement aux côtés de l’État et des instituts nationaux.

« Je ne suis pas du tout persuadé que cette activité, qui comporte un important volet "conseil", puisse faire l'objet d'une accréditation » - Daniel Pierre, Cofrac
Le conseil d’administration du Cofrac a bien proposé, à la demande de la DGT, trois places aux organisations syndicales (les associations de consommateurs des organisations syndicales sont déjà représentées). Pas question pour les syndicats signataires du courrier à la DGT d’accepter ses strapontins. Ils demandent cinq places délibératives. Voilà qui conduirait le Cofrac à revoir ses statuts. Et ce n’est pas encore au programme. Daniel Pierre souligne : « il est clair que nous n'allons pas créer une section spéciale pour l'agrément des cabinets d'experts CHSCT. D'ailleurs, je ne suis pas du tout persuadé que cette activité, qui comporte un important volet "conseil", puisse faire l'objet d'une accréditation. »

Trois scénarios se dessinent

Dans le premier cas, l’État considère, sous la pression des syndicats, que la procédure d’habilitation des cabinets d’experts CHSCT doit continuer à rester au cœur de ses prérogatives vu l’enjeu représenté par l’amélioration des conditions de travail. Le tout, en sachant que tout le monde s’accorde à dire que les modalités de l’agrément actuel sont à améliorer pour garantir une meilleure équité, plus de transparence, plus de retour des premiers concernés tout en permettant de traiter un nombre grandissant de demandes (Lire "Expert CHSCT : un agrément qui doit évoluer").

Deuxième scénario : l’agrément ministériel se transforme en une accréditation du Cofrac avec toutes les questions que cela pose dans les nouveaux critères de choix des prestataires.

Si l'accréditation se révèle impossible, le ministère peut alors décider de transformer l'agrément en une simple habilitation comme celle qui s'applique d'ores et déjà aux IPRP (Intervenants en Prévention des Risques Professionnels) qui interviennent principalement pour le compte des services de santé au travail et des directions.

Le processus d'habilitation IPRP est régional puisque ce sont des représentants des Aracts (Agence régionale pour l'amélioration des conditions de travail), de la CRAM et des directions régionales du travail qui statuent sur les demandes. Ifas ou Stimulus, les principaux cabinets à intervenir auprès des directions sur les conditions de travail sont habilités IPRP à défaut d’être agréés expert CHSCT. L'habilitation est délivrée aux personnes morales pour une durée de cinq ans et à vie pour les personnes physiques.

  • Rien n'assure que les syndicats se montreront plus favorables à un tel transfert. Ils considèrent en effet que les conditions de l'habilitation IPRP, pour le moment délivrée à 1500 personnes physiques et morales, ne sont pas satisfaisantes. Notamment parce que les critères d’éligibilité varient selon les régions.


Enfin, dernier scénario, l’agrément ministériel passe à la trappe et il n’est plus besoin de justifier de quoi que ce soit pour démarcher les CHSCT. Une ouverture totale qui se traduirait par une augmentation encore plus forte des contentieux liés à des refus de financer des directions. Sans parler des risques de voir arriver en sous-marin des courants sectaires sous couvert de prestations d’accompagnement des risques psycho-sociaux. Une excellente porte d’entrée.

Y aurait-il une volonté ministérielle de dynamiser le marché tout en redistribuant les cartes en profitant de l’opportunité Bolkestein ? Car c’est un véritable marché que celui de l’amélioration des conditions de travail avec d’un côté des cabinets qui travaillent à la demande des CHSCT et dont les représentants les plus importants jouent la carte du réseau avec les organisations syndicales et de l'autre des cabinets qui travaillent à la demande des directions en associant plus ou moins les CHSCT (Lire "Collectif contre individuel : le choc des cultures chez les prestataires de la santé au travail"). Chacun son camp, encore que les frontières deviennent de moins en moins claires.

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