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01 / 12 / 2016 | 62 vues
Eric Yahia / Membre
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SAP : un membre du conseil de surveillance élu au comité d’entreprise

Un membre du conseil de surveillance de la société mère du groupe SAP a été élu au comité d’entreprise de l’UES SAP France. Il figurait en tête de la liste CFDT des candidats titulaires.

La CGT@SAP a demandé l’annulation de son élection et celle du troisième collège auquel il appartient.

Lors de l’audience du 5 décembre 2016, le tribunal d'instance de Courbevoie jugera si un administrateur d’un groupe multinational peut être éligible au comité d’entreprise d’une filiale de ce groupe.

Pour la CGT@SAP, l’administrateur salarié n’a en outre pas été élu par les salariés qu’il est cependant censé représenter au conseil de surveillance de SAP SE (société européenne).

SAP SE : une société à directoire (« board ») et conseil de surveillance (« supervisory board »)

SAP est un groupe mondial éditeur de logiciels (plus de 70 000 salariés pour plus de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires). La société mère est immatriculée en Allemagne, sous le statut de société européenne. Ses organes de direction et d’administration sont équivalents à ceux d’une société anonyme avec directoire (« board ») et conseil de surveillance (« supervisory board »). Le premier assure la direction opérationnelle des activités ; le second définit la stratégie du groupe et en contrôle les activités.

Les statuts de SAP SE fixent la composition du conseil de surveillance à 18 membres, dont 9 pris parmi les salariés du groupe. Parmi ces 9 membres, un poste est réservé au pays où l’on compte le plus grand nombre de salariés après l’Allemagne. En l'occurrence, le poste revient à la France qui compte plus de 2 000 salariés, toutes filiales SAP confondues.

Pour désigner la personne qui allait représenter les salariés des filiales françaises, SAP a commencé par organiser une élection au sein de ces sociétés. Mais un désaccord entre SAP et la CFE-CGC a fait capoter le processus électoral. Ce syndicat exigeait que l'élu au conseil de surveillance puisse conserver ses autres mandats de représentants du personnel. SAP s'y opposait dans son projet de protocole électoral, reprenant les termes de l'article L225-30 du Code du commerce.

Prétendant ensuite qu’il n’y avait pas de loi française encadrant une telle élection, SAP s’est orienté vers une désignation par le comité d’entreprise de la société européenne : 25 membres, dont une seule salariée de SAP France.

Le CE de la SE (équivalent d'un comité d’entreprise européen) a imposé que les candidats dépendent d’une organisation syndicale représentative ou qu’ils disposent d’une liste de 100 signatures soutenant leur candidature.

La CGT@SAP : pour l'élection et contre la co-gestion 

La CGT@SAP a été la seule à défendre par deux fois (au tribunal d'instance et en Cour d’appel) le droit des salariés à élire leur représentant au conseil de surveillance. Aucun syndicat ne l’a accompagnée dans ce sens. Les autres syndicats représentatifs se sont satisfaits d’un processus confidentiel de désignation d’un administrateur salarié. Les juges du fond français se sont déclarés incompétents. Ils ont malheureusement fait droit à une clause de compétence judiciaire qui imposait que tout litige portant sur cette élection soit portée devant le tribunal de Mannheim, en Allemagne.

Le salarié de SAP France, membre du conseil de surveillance de SAP, censé représenter les 2 000 salariés de France ne détient pas son mandat de leur choix. Peut-il alors représenter les salariés ? La CGT@SAP pense que non.

  • Comme membre du conseil de surveillance, le salarié administrateur reçoit une rémunération de 150 000 euros (en plus de son salaire) pour les réunions plénières et commissions auxquelles il est convoqué en Allemagne.

Par ailleurs, le comité d’entreprise de SAP France se réunit plus de quarante fois par an. Les ordres du jour sont tellement surchargés que la direction établit des plannings minutés (le secrétaire les validant presque toujours). Les élus sont tellement débordés qu’ils n’ont même plus le temps de travailler les sujets efficacement. Pour la CGT@SAP, il n'est pas raisonnable de cumuler ces deux fonctions.

Au-delà du droit, plusieurs questions...

En France, la loi est claire. L’article L225-30 du Code de commerce dispose qu’un mandat d’administrateur élu par les salariés « est incompatible avec tout mandat de délégué syndical, de membre du comité d'entreprise, de membre du comité de groupe, de délégué du personnel ou de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société. Il est également incompatible avec tout mandat de membre d'un comité d'entreprise européen (s'il existe) ou, pour les sociétés européennes au sens de l'article L. 2351-1 ». En droit positif  français, l’administrateur de société, même s'il est élu par les salariés, est donc bien assimilé à un employeur.

L'une des propositions internes de la CGT émises dans une « charte pour les administrateurs salariés » demande l’abrogation de ce texte. En effet, quand un salarié est élu par ses collègues et qu’il est chargé de les représenter dans un organe de direction, il semble pour certains que son assimilation à un employeur n’a plus de sens.

Mais le cas de SAP est bien différent. La direction de SAP a fait désigner, selon le processus qui lui convenait, un administrateur au conseil de surveillance.

Première interrogation : les exigences variables de SAP 

Début 2015, SAP exigeait, dans le protocole électoral qui devait régir l’élection de l’administrateur du groupe représentant les salariés de France, que le cumul des mandats soient interdits. Cette exigence s’imposait à tous les syndicats.

Plusieurs mois plus tard, oubliant son exigence initiale, SAP laisse perdurer les cumuls et ne réagit pas à la candidature au CE d’un administrateur en place et délégué syndical par ailleurs.

Seconde interrogation : le salarié administrateur, élu au CE, choisit le conseil juridique du CE pour se défendre

Le cabinet JDS est le conseil juridique attitré et conventionné du CE de l’UES SAP France depuis plusieurs années déjà. Le salarié, dont l’éligibilité est contestée, a choisi ce cabinet pour le défendre dans la contestation de son élection par la CGT@SAP. Or, la CGT@SAP (via son représentant syndical) est membre du comité d’entreprise autant que lui. Quand bien même le salarié prétend agir « en son nom propre », il nous semble qu’il y a un conflit d’intérêts entre deux clients du cabinet JDS. 

Tout se passe comme s’il s’agissait d’une affaire personnelle alors qu’elle implique le salarié administrateur mais aussi le syndicat qui l’a présenté en tête de liste. Défendu par son syndicat, tout conflit d’intérêts entre membres du comité d’entreprise aurait disparu !

Dans le cadre des activités économiques et sociales du comité d’entreprise de l’UES SAP France, nous avons constaté la qualité des consultations du cabinet JDS. 

Dès lors, comment peut-il ignorer les devoirs relatifs aux conflits d’intérêts qui régissent la profession d’avocat ? L’alinéa 2 de l’article 4.1 du règlement intérieur national de la profession d’avocat, qui reprend d’ailleurs l’article 7 du décret n° 2005790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, semble très clair.

Article 4 : les conflits d’intérêts 

4.1 Principes

L’avocat ne peut être ni le conseil ni le représentant ou le défenseur de plus d’un client dans une même affaire s’il y a conflit entre les intérêts de ses clients ou, sauf accord des parties, s’il existe un risque sérieux d’un tel conflit.

Sauf accord écrit des parties, il s’abstient de s’occuper des affaires de tous les clients concernés lorsque surgit un conflit d’intérêt, lorsque le secret professionnel risque d’être violé ou lorsque son indépendance risque de ne plus être entière.

Il ne peut accepter l’affaire d’un nouveau client si le secret des informations données par un ancien client risque d’être violé ou lorsque la connaissance par l’avocat des affaires de l’ancien client favoriserait le nouveau client.

Lorsque des avocats sont membres d’un groupement d’exercice, les dispositions des alinéas qui précèdent sont applicables à ce groupement dans son ensemble et à tous ses membres. Elles s’appliquent également aux avocats qui exercent leur profession en mettant en commun des moyens, dès lors qu’il existe un risque de violation du secret professionnel.

Aurions-nous mal interprété ce texte ?

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