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04 / 07 / 2013 | 11 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Procès de l'amiante: Indignation et colère

Alors que les victimes de l’amiante attendent depuis 16 ans que leurs plaintes aboutissent à un procès pénal, le dessaisissement de la juge Bertella-Geffroy, en charge de l’instruction de ces dossiers, a été ressenti avec beaucoup d’indignation et de colère par les personnes concernées et les associations qui les défendent.

La revue de la Mutualité Fonction Publique nous a autorisés à reprendre le dossier réalisé par Jacqueline de Grandmaison ces dernières semaines sur ce dossier qui n'en finit pas.

« Les acteurs concernés demandent aujourd’hui que des moyens soient attribués aux magistrats, que le Parquet change d’attitude sur les affaires de santé publique et que la loi sur les « délits non intentionnels » soit revue.

Chantal Pakosz est l’une de ces « veuves de Dunkerque » dont les époux sont décédés à cause de l’amiante. Fin 2004, elles ont commencé à défiler régulièrement devant le Palais de Justice de la ville afin de demander justice pour leurs maris et que les « empoisonneurs ne restent pas impunis ».

Le mari de Chantal travaillait à Sollac Dunkerque : « Il y avait fait toute sa carrière dans différents services où, partout, l’amiante était présente. À 54 ans, on lui a diagnostiqué un mésothéliome  (1), chimiothérapie, huit mois de souffrance jusqu’à son décès en 2004  », raconte-t-elle.

Conseillée par des proches, Chantal se rend à l’association nationale de défense des victimes de l'amiante (ANDEVA)  (2) et entame une procédure en faute inexcusable de l’employeur. Elle gagne son procès mais n’est pas soulagée pour autant : « Cela ne me rendait pas mon mari mort à cause de son travail et les coupables étaient toujours en liberté.

Ils ne veulent pas d’un procès pénal en France, on n’arrête pas de nous mettre des bâtons dans les roues. Quand une maman vole un peu de nourriture pour ses enfants, elle est punie. Quand on est responsable de la mort de dix personnes par jour on ne l’est pas  ! Alors on va se battre jusqu’au bout  ».

Juge dessaisie, instruction en panne


Tandis que les procès au pénal n’ont encore, en effet, jamais abouti en France, le dessaisissement de la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy, en charge de l’instruction des dossiers de l’amiante, a fait l’effet d’une provocation supplémentaire. « C’est comme si on assassinait nos maris une deuxième fois. Mon mari, ils lui ont tout enlevé : sa vie, voir ses enfants évoluer, ses petits enfants naître et grandir… Seule l’ANDEVA, avec son soutien et les contacts que l’association procure m’a sauvée. On essaie de vivre encore », s'indigne Chantal.

Yveline Ardhuin partage la même colère face à la mise à l’écart de la juge. Son mari, également employé à Sollac, est décédé en 2010, à 55 ans, d’un cancer broncho-pulmonaire dû à l’amiante, après quatre ans de traitements très lourds et de souffrances atroces.

Il avait quand même eu le temps d’avoir droit au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), mais son épouse fait partie de ceux auxquels on ose demander un remboursement partiel de cette indemnisation. « Je suis indignée. Non seulement on perd un être cher mais en plus il faut se battre. Tout ce que je demande, c’est que les responsables de la mort de mon mari reconnaissent leurs torts et soient punis, comme en Italie ».

On pouvait effectivement espérer que le procès pénal de Turin, où deux hauts responsables d’Eternit ont été condamnés à 16 ans de prison, contribuerait à faire avancer les choses en France. Il n’en est rien pour l’instant.

Pour l’ANDEVA, il faudrait aller encore plus loin.

  • François Desriaux, son vice-président, explique : « Sans minimiser l’importance du procès de Turin, qui a eu le mérite de remonter très haut puisque les condamnés sont deux gros propriétaires de l’industrie de l’amiante, notre ambition est de ne pas se limiter aux entreprises mais de prendre en compte les responsabilités de l’État, des autorités sanitaires, du lobbying organisé des industriels : comment se fait-il qu’il y ait eu un tel lobbying et qu’il ait rencontré un succès entraînant la France à prendre tant de retard ? »

Sur le dessaisissement de la juge Bertella-Geffroy, l’ANDEVA a fait connaître son point de vue dès l’annonce de cette décision : « Sur le plan strictement juridique, la règle des dix ans ne s’applique pas au cas de la juge dans la mesure où la loi sur le statut des magistrats a été votée avant qu’elle soit à ce poste-là et que la loi n’est pas rétroactive ».

L'ANDEVA considère en outre « que le fait que la juge soit déchargée de ses fonctions, sans que la transition ait été préparée au préalable, constitue un dysfonctionnement majeur de l'institution judiciaire qui se traduira par un retard supplémentaire d'au moins un an dans l'instruction de l'affaire de l'amiante […] Cela est d'autant plus grave que l'ampleur du dossier est considérable et qu'un temps très long sera nécessaire aux nouveaux magistrats pour simplement prendre connaissance des dizaines de milliers de pages du dossier, avant de pouvoir faire des actes d'instruction.

Le souhait exprimé par la ministre que cette décharge de fonctions « n’ait aucune incidence sur la conduite des dossiers » est donc un vœu pieux ». Sachant que cela fait 16 ans que des plaintes ont été déposées, « on est en droit de se demander quand, enfin, on saura si les responsables de la catastrophe sanitaire vont être envoyés ou pas devant un tribunal correctionnel. Que ce soit le pouvoir politique, exécutif, ou l’institution judiciaire, il semble que personne n’a envie qu’il y ait un procès de l’amiante », ajoute François Desriaux.

Changer la loi


L’ANDEVA, comme les victimes qu’elle rassemble, demande donc que des magistrats reprennent rapidement les dossiers suivis par la juge Bertella-Geffroy et ensuite que le Parquet change d’attitude sur les affaires de santé publique, en instruisant et poursuivant toutes les complicités qui ont existé, avec les moyens suffisants pour mener à bien cette tâche.

François Desriaux insiste aussi sur la nécessité de changer la loi pénale sur les délits non intentionnels : « En 2000, la loi Fauchon a considérablement restreint la possibilité de poursuivre ou faire condamner les responsables indirects de délits non intentionnels. Si on arrive à un procès, si on arrive à des condamnations (ce qui fait beaucoup de « si ») on n’obtiendra que des condamnations symboliques, des amendes et des peines avec sursis, et non des peines lourdes et des années de prison, comme en Italie. Si tout cela ne change pas, cela risque d’entraîner des désastres sanitaires, avec le risque de tuer des milliers de gens parce que, en toute connaissance de cause, on se sera abstenu de prendre des mesures de prévention, voire on aura manœuvré pour qu’on ne les prenne pas ».

Des précédents qui peuvent en effet induire d’autres drames de santé publique alors que d’autres produits toxiques font déjà des ravages dans certaines industries.


Cest bien aussi pour éviter cela que « les veuves de Dunkerque» et d’ailleurs se mobilisent avec courage. 


(1) Cancer de la plèvre caractéristique d’une exposition à l’amiante.
(2) ANDEVA : Association régionale de défense des victimes de l'amiante du Nord-Pas-de-Calais.

  

ANDEVA a pour objet de :

  • promouvoir la solidarité et l’entraide entre toutes les victimes de l’amiante,
  • défendre leurs droits : la reconnaissance en maladie professionnelle,
  • une juste indemnisation des préjudices par les tribunaux ou le FIVA ,
  • le droit à la cessation anticipée d’activité, un suivi médical de qualité,
  • renforcer la prévention pour éviter de nouvelles victimes,
  • oliger les responsables à rendre des comptes devant la Justice,
  • obtenir que l’amiante soit interdite dans tous les pays de la planète.

« L’indépendance et des moyens »
Trois questions à Marie-Odile Bertella-Geffroy, juge d’instruction


Comment avez-vous ressenti la décision de la Ministre de la Justice de vous dessaisir, compte tenu de votre implication notamment dans les dossiers amiante ?

Je m’y attendais étant donné les obstacles organisationnels mis à l’avancement de la poursuite des dossiers sur l'amiante que je traite depuis la centralisation au pôle santé de tous ces dossiers, c’est-à-dire depuis 2004-2005. Mais compte tenu de la personnalité de Madame Taubira, je gardais malgré tout l’espoir de pouvoir terminer mes procédures.


Au-delà de votre cas, que pensez-vous du fonctionnement de la justice au niveau des suites données aux procédures pénales dans les dossiers sur l'amiante ?

Par l’intermédiaire de mon syndicat FO magistrats, j’avais demandé à la Garde des Sceaux, dans une lettre du 25 février 2013, qu’au-delà de mon cas personnel, la question du fonctionnement de la justice dans le traitement des procédures pénales de santé publique fasse l’objet d’une étude qui devait concerner l'action de toutes les instances judiciaires intéressées.

Dans ces catastrophes sanitaires qui font des centaines ou des milliers de victimes, le fonctionnement de la justice et la législation française ne sont pas adaptés.

En Italie, c’est la Cour de Cassation qui a adapté la loi italienne aux catastrophes collectives alors que notre code pénal ne prend pas en compte cet aspect collectif.

Que faudrait-il selon vous pour arriver à un procès tel que celui qui s'est tenu à Turin ?

Des moyens suffisants en greffiers, enquêteurs et en juges d’instruction, mais surtout l’indépendance de la justice vis-à-vis du politique. En effet, en Italie il n’y a plus de juge d’instruction depuis 1989, mais en contrepartie, les procureurs sont totalement indépendants du Ministère de la Justice : ils ont leurs propres moyens et une totale liberté de saisine de telle ou telle enquête. Leur carrière est totalement gérée par le conseil supérieur de la magistrature.
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