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29 / 11 / 2011 | 10 vues
Michel Debout / Membre
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Prévenir ou combattre le suicide ?

La France n’a pas de culture préventive même si elle a été le berceau de Pasteur, le premier chercheur à démontrer le rôle de l’environnement dans le bien-être des hommes.

La santé publique s’est développée de façon récente, elle reste le parent pauvre des disciplines hospitalo-universitaires. Le premier plan anti-cancer affichant une réelle volonté des pouvoirs publics, associant médecins, soignants, chercheurs, malades, familles, a été élaboré sous la présidence et avec l’appui déterminant de Jacques Chirac, il y a quelques années seulement.

Pour ce qui est de la prévention du suicide, nous sommes toujours en attente d’une même volonté politique et d’une véritable mobilisation de la société elle-même. Il faut remonter à 1993 pour qu’un avis du Conseil économique et social recommande aux autorités de notre pays de considérer le suicide comme un grave problème de santé publique et sa prévention comme une ardente obligation.

  • En 2000, sous l’impulsion de l’Union Nationale pour la Prévention du Suicide (UNPS), la Ministre de la Santé, Dominique Gillot, a établi le premier plan national de prévention du suicide pour une durée de cinq ans ; on attendait donc le deuxième plan en 2006 mais il vient seulement d’être rendu public le 10 septembre 2011 ! Pourquoi tout ce temps perdu dès lors que Roselyne Bachelot avait réuni dès l’été 2008, un comité d’experts pour lui permettre d’élaborer ce document.

Au-delà de cette perte de temps, pour laquelle nous n’avons aucune explication tangible (problèmes de budget ?), le plan de prévention a changé de nature en se transformant en un « plan d’actions contre le suicide ».

J’ai souvent exprimé au cours des quatorze années pendant lesquelles, j’ai présidé l’UNPS que nous n’étions pas contre le suicide mais pour sa prévention.

Il ne s’agit pas d’une querelle de mots mais d’une divergence de fond.  Il ne s’agit pas d’une querelle de mots mais d’une divergence de fond. La charte éthique publiée par l’UNPS, qui rassemble le plus grand nombre de professionnels, de familles de suicidant, et de suicidés se fonde d’ailleurs sur cette même approche.

  • Être contre le suicide, c’est la posture développée il y a des siècles par l’Église chrétienne, faisant de cette mort l’attentat contre Dieu, suppliciant le corps des suicidés et jetant l’opprobre sur leurs familles. À cette époque, les corps morts étaient traités comme l’étaient les possédés du démon (les sorciers) et en s’attaquant à leurs cadavres, on pensait extirper le mal suicidaire qui se trouvait en eux.

Nora Berra ne propose évidemment pas de revenir à ces pratiques moyen-âgeuses, mais en voulant combattre le suicide, comme si cet acte pouvait exister en dehors de la personne qui le réalise, elle le définit comme un mal en soi, plus soucieuse de vouloir « l’attaquer » que d’en comprendre les causes personnelles et sociales et ainsi d’inscrire ses pas dans ceux d’une politique réellement préventive.

Refus d'un observatoire du suicide et des conduites suicidaires

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que son plan refuse la constitution, réclamée depuis le rapport du CES, repris pendant dix ans par l’UNPS, et défendu plus récemment à travers « l’appel des quarante-quatre », d’un « observatoire du suicide et des conduites suicidaires » condition sine qua non de construire une véritable prévention.

Jean-Claude Delgenes, directeur de Technologia, reprenant cette initiative dans une lettre ouverte au Ministre Xavier Bertrand, s’est vu répondre par une fin de non recevoir. Cette position est parfaitement regrettable.

Bien plus le plan de Nora Berra ne fait pas allusion à la crise économique et sociale que subissent les Français depuis 2008, qui provoque détresses personnelle et sociale ; de même son texte n’évoque-t-il ni le chômage, ni les plans sociaux ou les licenciements, qui déstabilisent par milliers des salariés, connaissant alors l’isolement, le surendettement et trop souvent le désespoir.

La volonté ministérielle est-elle de ne pas faire de lien entre les fais sociaux et le nombre de suicides, ce qui, au pays d’Emile Durkheim constitue un véritable contre-sens ?

Cette façon de ne pas vouloir observer la réalité se retrouve dans la volonté affichée de faire du suicide des enfants (8-12 ans) l'une des priorités du gouvernement, alors que les  statistiques de mortalité publiées par l’INSERM, retiennent le chiffre de 10 suicides pour l’année 2008. C’est la démonstration que le suicide des enfants, au-delà de la tragédie qu’il représente et dont il faut se préoccuper, reste heureusement marginal par rapport aux autres catégories d’âges qui sont de loin les plus concernées (11 000 morts par an la même année).

  • S’il y avait eu une priorité à retenir, c’était celle de la prévention du suicide des adultes marqués par la crise, comme je le propose depuis février 2009.

Cette position du gouvernement s’inscrit dans la politique du bouc émissaire : chaque préoccupation émergente suppose la dénonciation d’un coupable ! On a ainsi entendu prétendu éradiquer la racaille, chasser les roms, enfermer les délinquants sexuels et dénoncer les fraudeurs de la sécurité sociale.

L’approche de la question du suicide est de la même veine mais cette politique finit par dresser les catégories de Français les unes contre les autres, alors que dans cette période d’isolement, de perte de confiance, nos concitoyens ont d’abord besoin d’un message de solidarité.

Certains responsables associatifs qui prétendent défendre la prévention du suicide se sont inscrits dans les pas de la ministre, je pense à la nouvelle présidente de l’UNPS et au président de la fédération nationale SOS Amitié, mais nous restons très nombreux, professionnels, bénévoles, représentants des familles, à poursuivre notre engagement pour une véritable prévention se dotant des outils nécessaires, l’observatoire, et se préoccupant des résultats obtenus, parce que pour nous, cet acte humain souvent tragique ne sera jamais une fatalité.

Dans le respect des personnes et de leur choix, dans la volonté de leur tendre la main et non de les rejeter, notre conviction restera que prévenir le suicide est possible et nécessaire. Nous saisirons l’occasion de la campagne présidentielle pour demander à chaque candidat, les propositions qu’il souhaite mettre en œuvre sur cette question qui nous préoccupe tous.
                       
La prévention du suicide, un tabou français, M. Debout G. Clavairoly, à paraître début 2012.

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