Pour l’unité syndicale
À la publication des ordonnances, Véronique Descacq (secrétaire générale adjointe de la CFDT) et Marylise Léon (secrétaire nationale) voyaient « une occasion manquée pour la modernisation des relations du travail » et le secrétaire général de la CFDT s’affirmait « déçu ».
C’est surtout une magnifique occasion pour le patronat français de « mettre au pas » les organisations syndicales et les représentants du personnel pour maximiser un peu plus ses profits.
Dès la publication des ordonnances, les postures des deux principales organisations syndicales du privé ont été sans surprise. Pour la CGT, « le gouvernement vient de confirmer les craintes que nous pouvions avoir », « cette loi sur le droit du travail, comme les précédentes, n’améliorera pas le chômage, va augmenter encore la précarité et développer la pauvreté comme c’est déjà le cas en Allemagne ou en Angleterre ». La CGT affirme faire « tout pour unir les salariés, les travailleurs indépendants, les privés d’emploi, les retraités, les jeunes lycéens et étudiants avec l’ensemble des autres organisations syndicales afin de gagner des réformes de progrès social ».
Mais, concrètement, elle rassemble autour d’elle des organisations de fonctionnaires (FSU en particulier), non concernés par la réforme ou Solidaires, qui est certes présente dans quelques secteurs mais est loin d’être une organisation de masse ou, en tout cas, d’un poids électoral certain dans le privé.
Non sans amertume, la CFDT a reconnu que les réponses du gouvernement n’étaient pas à la hauteur de ses revendications : « La CFDT a contribué à limiter au maximum les éléments de dérégulation et de remise en cause des droits des salariés » ; « la CFDT demandait les moyens d’un dialogue social constructif, efficace et à armes égales. Le gouvernement n’a pas entendu sa demande et a privilégié la flexibilité au détriment de la justice sociale. À l’inverse, il a légitimé les attentes les plus conservatrices d’une partie du patronat qui ne comprend pas que le dialogue social est un atout pour l’entreprise ». La CFDT traduisait cette analyse en vote dans différentes instances consultatives : vote négatif à la commission nationale de la négociation collective (CNNC), au Conseil supérieur de la prud’homie (CSP), au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes (CSEP). La CFDT a demandé à ses syndicats de réagir auprès des élus locaux, des préfets, des chambres patronales et dans les entreprises. Mais elle reste au milieu du gué, prétend continuer à négocier sur les décrets d’application et n’appelle pas à une action nationale.
Ainsi, CGT et CFDT partagent, avec des mots différents, une analyse similaire voire proche sur le contenu des ordonnances, tout en divergeant sur les moyens de les combattre.
Pourtant, en mars 2010, la France a connu l'un des plus importants mouvements de masse depuis mai 1968, après 1995. Ce mouvement n’a pas débouché sur la victoire mais il a mis dans la rue des millions de salariés qui n’avaient jamais participé à une manifestation. De ce point de vue-là, cela a été une réussite parce que les huit principales organisations syndicales (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC, Unsa, Solidaires et FSU) avaient su se regrouper. C’est donc cette voie qu’il conviendrait de retrouver aujourd’hui : l’unité syndicale.
Il ne s’agit pas de gommer les différences entre organisations, pas plus que de venir à une confédération unique, comme au Royaume-Uni ou en Allemagne. Mais face à une attaque contre les représentations du personnel (fusion des instances, financement des expertises et référendum à l’initiative de l’employeur) d’une telle importance, face à une réforme qui ne profitera qu’au patronat dont c’est le seul but, la seule issue serait qu'un dialogue entre les principales organisations syndicales du privé s'instaure. La CGT doit sortir de son attitude sectaire, quitter son positionnement individualiste et abandonner son postulat « pas d'issue en dehors de nous ». La CFDT doit sortir de cette attitude conciliatrice et négatrice des affrontements. Une partie des salariés (notamment les cadres) pourrait prendre conscience de la gravité des événements et de l'enjeu si la CFDT entrait dans le mouvement. Ce qui est possible pour les fonctionnaires ne serait pas possible pour le privé ? La négociation ne peut être l’alpha et l’oméga de l’action syndicale ; la négociation sur certains points ne peut aboutir que si elle s’accompagne d’un rapport de forces et d’un affrontement face au patronat. À un moment (et nous y sommes), salariés et patronat n’ont pas les mêmes intérêts. Au-delà de leurs désaccords tactiques et stratégiques, la CGT et la CFDT ont un intérêt commun : faire progresser le statut social des salariés.
Seule une action coordonnée et de masse peut faire fléchir à la fois le patronat et le pouvoir, celui-ci s’estimant entièrement légitime du fait des scrutins de juin. Mais ceux-ci ne donnaient pas les pleins pouvoirs et la disparité des votes des premiers tours ne donne pas blanc-seing. Mieux : si l'on compare les différents scrutins politiques et les scrutins en entreprise, la représentativité issue de ceux-ci est sans appel. Les organisations syndicales de salariés (en particulier CGT et CFDT) ont à elles-seules plus d’adhérents que tous les partis politiques confondus ; du fait de ces deux raisons, elles ont toute légitimité à contester les réformes actuelles.
Mais cette contestation ne peut se faire uniquement dans le cadre feutré de rencontres avec le gouvernement ou ses représentants. Le rapport de forces sera d’autant plus en faveur des salariés que leurs organisations sauront faire front commun.
Laurent Berger déclarait dans Le Monde : « L’important dans une mobilisation syndicale, c’est son débouché. Celui de la CFDT est de renforcer la présence syndicale dans les entreprises. C’est dans les entreprises que nous allons nous mobiliser en redoublant d’efforts pour démontrer l’utilité du syndicalisme ». C’est bien en s’appuyant sur cette présence syndicale dans les entreprises que peut s’organiser la riposte. Tous les jours, dans les entreprises qui font face à des plans sociaux (Vivarte et Nokia) ou en restructuration, les différentes organisations, malgré la concurrence électorale, se rencontrent et font face ensemble aux désorganisations.
Il est donc nécessaire que les dirigeants des deux principales organisations mettent un terme à leurs egos, débattent et organisent une action commune pour défendre et « démontrer l’utilité du syndicalisme ». C’est la condition nécessaire pour sortir de la spirale « toujours plus » pour le patronat, de rééquilibrer le rapport de forces en faveur des salariés, de restaurer l’image du syndicalisme et d’assurer son avenir.
Le temps n’est plus aux atermoiements ; l’unité syndicale est vraiment urgente.