TVA Sociale : attention danger !
Ces derniers mois, de nombreuses prises de positions laissent entrevoir un retour de la TVA sociale. Celle-ci consiste à réduire les cotisations sociales patronales (et éventuellement salariales), en les compensant par une hausse de la TVA.
Ce n’est pas une idée neuve, déjà en 2012, un projet similaire avait été proposé visant à relever le taux de TVA de 19,6 % a 21,2 % et supprimer des cotisations patronales de la branche famille de la sécurité sociale. En mars 2024, Bruno Le Maire a remis cette idée à l’ordre du jour. Il proposait une baisse des cotisations sociales pouvant aller jusqu’à cinq points, financée par une hausse équivalente de la TVA. Il affirmait vouloir rapprocher le salaire net du brut pour « valoriser le travail et redonner du pouvoir d’achat aux salariés ».
Le 13 mai 2025, Emmanuel Macron, a relancé à son tour ce débat, appelant à réfléchir à un système « moins dépendant du travail et davantage de la consommation » pour financer notre modèle social.
L’idée de la « TVA sociale » est défendue de longue date par le patronat. Le 20 mai 2025, le président du MEDEF réaffirmait sa proposition : augmenter la TVA de 1 point (hors produits de première nécessité) permettrait, selon lui, de dégager environ 10 milliards d’euros pour financer la protection sociale, tout en réduisant les cotisations patronales. Il présentait cette mesure comme une réponse à la perte de compétitivité et au déficit public.
Plus concrètement, à l’approche du projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale prévu pour 2026, le Premier ministre François Bayrou a sollicité l’avis du Haut Conseil du financement de la protection sociale, du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie et du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge pour établir un rapport sur le financement de la protection sociale. Le Premier ministre attend de ces consultations des propositions visant à revoir le mode de financement du modèle social français.
Cette démarche trouve également un écho dans les recommandations émises par la Cour des comptes dans son rapport publié en octobre 2022 sur la Sécurité sociale. La Cour soulignait « l’intérêt d’une révision en profondeur de la structure des recettes de la Sécurité sociale de ses différentes branches ». Ces déclarations et initiatives successives s’apparentent en réalité à des ballons d’essai visant à imposer une mesure économiquement désastreuse et socialement régressive.
Aussi est-il important d' expliquer les dangers que constitue la mise en place de la TVA dite sociale
Un choc de compétitivité pour l’économie française ?
Pour les défenseurs de la TVA sociale, l’économie française aurait besoin d’un choc d’offre visant à améliorer la compétitivité des entreprises. Ils prétendent que la TVA sociale améliorerait le financement de la Sécurité sociale en pesant moins sur le travail.
L’instauration d’une TVA sociale aurait le mérite de « réduire les coûts de production » pour les entreprises, en assurant parallèlement à la hausse de la TVA une « baisse des cotisations sociales ».
L’intérêt d’une telle proposition est d’améliorer la compétitivité des exportations françaises qui profiteraient de la baisse des cotisations sans être soumises à la hausse de la TVA. Elles pourraient ainsi « baisser leurs prix ».
Les importations, non soumises à la baisse de cotisations, seraient quant à elles assujetties à une augmentation de la TVA. Les prix importés augmenteraient.
Les entreprises domestiques produisant pour le marché intérieur pourraient « maintenir des prix stables » (pour elles, la hausse de la TVA serait compensée par une baisse de cotisations).
Au total, les prix relatifs des biens étrangers par rapport aux biens produits en France s’amélioreraient, autrement dit les biens étrangers deviendraient relativement plus chers et donc moins compétitifs. C’est ce que les économistes appellent une « dévaluation fiscale » assimilables à une dévaluation du taux de change de la monnaie.
Loin d’être une solution miracle, la TVA sociale est surtout un tour de passe-passe
Ce raisonnement fait implicitement une série d’hypothèses très incertaines qui masquent son caractère anti-social :
1) Les entreprises doivent répercuter la baisse de cotisations sur leurs prix, ce qui permettrait de maintenir les prix malgré la hausse de TVA. Ce mécanisme est loin d’être
évident. Les estimations réalisées suite à l’instauration du CICE (1) (qui était déjà un transfert de cotisations vers la TVA) ont permis de répondre à cette question. Le CICE n’a pas amélioré la compétitivité des entreprises françaises car ces dernières n’ont pas répercuté la baisse de cotisations sur leurs prix. Il a été démontré que le CICE a surtout
permis de redresser les marges (les profits) des entreprises et non d’y abaisser les prix. Ainsi, les évaluations n’ont pas permis de démontrer l’impact du CICE sur la balance
commerciale. Une étude a même montré que les exonérations de cotisations ont pesé négativement sur les exportations françaises, ayant eu notamment pour effet pervers de créer une incitation à réduire la qualité des produits exportés.
2) La hausse de la TVA devrait être inflationniste en relançant l’inflation importée en France. C’est effectivement un risque mais une nouvelle fois un retour en arrière s’impose : en 2009, le gouvernement abaissait le taux de TVA sur la restauration de 19,6% à 5,5 %. L’accord prévoyait que les restaurateurs traduisent cette réduction de la fiscalité par une diminution des prix, par l’augmentation des salaires et par des créations d’emplois. En réalité, les entreprises ont plutôt eu tendance là encore à augmenter leur marges (2) de sorte que la baisse de la TVA a très peu bénéficié aux consommateurs. A l’inverse, on peut imaginer qu’une partie de la hausse de la TVA soit à la charge des producteurs étrangers obligés de rogner leurs marges pour conserver les parts de marchés.
3) Les entreprises peuvent répercuter l’inflation importée sur les prix mais devront dans un second temps faire face aux revendications salariales. Le « succès » du choc de compétitivité n’est garanti que dans la mesure où les salaires ne rattrapent pas la hausse de l’inflation, autrement dit si on casse la boucle prix-salaires. Dans le cas contraire, la hausse des salaires annule tous gains pour les entreprises, dont les prix finissent par rattraper ceux des biens étrangers. Pour résumer : la TVA sociale a pour objectif de réaliser un choc de compétitivité en baissant les salaires réels alors même que les salariés ont déjà subi une perte de pouvoir d’achat sur la période 2022-2023. La hausse des salaires, c’était la grande crainte exprimée par l’économiste Gilbert Cette dans une note récente qu’il a rédigée pour défendre la TVA sociale (3) : « les effets favorables sont progressivement gommés par des mécanismes d’indexation des salaires sur les prix et des prix sur les coûts de production ».
En toute logique, il préconise alors d’accompagner la TVA sociale « de réformes atténuant et retardant l’indexation salariale, et par exemple celle du salaire minimum (le SMIC) ».
4) Une riposte des partenaires commerciaux de la France annulerait tout gain de compétitivité. La TVA sociale repose donc sur l’hypothèse que les autres pays ne
réagissent pas. Ce qui est pour le moins douteux dans le contexte actuel marqué par les tensions commerciales.
5) La mise en place d’une TVA sociale provoquerait un choc dépressif sur l’activité économique, en pesant directement sur la demande intérieure. La relance de l’inflation
réduirait le pouvoir d’achat des ménages, en particulier des plus modestes qui consacrent une part importante de leurs revenus à la consommation. Cette contraction de la demande se traduirait par une baisse de la consommation, principal moteur de la croissance en France, entraînant un ralentissement de l’activité dans de nombreux
secteurs, notamment les services et le commerce. Autrement dit, loin de stimuler la production, la TVA sociale risquerait de plonger l’économie française dans la récession.
La TVA, un impôt injuste et inégalitaire
La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) occupe une place prépondérante au sein de la structure fiscale.
Avec un rendement de 206 milliards d’euros en 2024, elle représente à elle seule 16% du total des prélèvements obligatoires. Pourtant, la TVA est particulièrement injuste car elle frappe tous les ménages, indépendamment du niveau de leur revenu et donc de leur capacité contributive.
C’est une fiscalité régressive pesant davantage sur les ménages situés en bas de l’échelle de revenus, ces derniers consacrant une part plus grande de leur revenu à la consommation plutôt qu’à l’épargne (qui est nulle pour les ménages les moins aisés).
D’après les estimations réalisées par le Conseil des prélèvements obligatoire en 2015, la TVA représente 12,5 % du revenu disponible des ménage du 1er décile de la population (les 10 % des ménages les plus pauvres), contre 4,7 % du revenu des ménages appartenant au dernier décile (les 10 % des ménages les plus riches).
Depuis une dizaine d’années, la structure fiscale française connaît une transformation progressive qui déplace le poids des prélèvements obligatoires des entreprises vers les ménages.
Cette évolution s’est traduite par une baisse continue des prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises (exonérations de cotisations patronales, baisse de la CVAE, de l’impôt sur les sociétés), tandis que la part des impôts assis sur la consommation – comme la TVA – ne cesse de croître. Cette dynamique conduit à faire reposer une part croissante du financement des services publics sur les revenus des ménages, notamment les plus modestes.
Une étude de l’OFCE (2023) confirme ce mouvement : selon ses auteurs, « les réformes fiscales opérées depuis 2013 ont globalement allégé la charge sur les entreprises tout en renforçant celle supportée par les ménages, en particulier via la fiscalité indirecte et les prélèvements sociaux ».
Le déficit de la Sécurité Sociale atteint 22 milliards d’euros
D’après la Cour des comptes, le déficit de la Sécurité sociale4 devrait atteindre 22,1 milliards d’euros en 2025, contre 15,3 milliards en 2024 et 10,8 milliards en 2023. Cette trajectoire est présentée comme « une fuite en avant » alimentant la dramatisation habituelle autour du « trou de la Sécu ». Elle sert opportunément d’appui aux pourfendeurs de notre modèle social pour le remettre en cause.
Pourtant, rapportés au PIB les déficits ne sont pas excessifs : 0,4 % du PIB en 2023, 0,5 % en 2024 et 0,7 % en 2025…
Pour comparaison, le déficit de l’Etat était de 154 milliards d’euros en 2024, soit plus de 10 fois supérieur pour des dépenses et des recettes inférieures. Le déficit de la Sécurité sociale est donc marginal par rapport à l’espace qu’il occupe dans les médias et les discours politiques. Il n’a jamais été excessif : au cours des trente dernières années, il n’a dépassé 1 % du PIB que trois années : en 1993, 2010 et 2020.
Les administrations de Sécurité sociale intégrant notamment les comptes de la CADES, affichent même un excédent depuis 2019 (hors Covid). En 2024, les comptes étaient globalement équilibrés (+0,1 %) alors que le déficit public était de 5,8 %.
Certains formulent néanmoins le souhait d’utiliser la TVA sociale pour réduire le déficit. Pour cela, la hausse de la TVA doit être supérieure à la baisse des cotisations. Une modalité envisagée consiste à utiliser la TVA sociale pour restructurer les exonérations sur les bas salaires, ce qui contribuerait à réduire le déficit public mais réduirait le gain de compétitivité et accentuerait l’effet récessif sur l’activité.
En réalité, le déficit des régimes de base repose sur une privation de recettes. C’est le constat établi par la Cour des comptes elle-même dans son rapport sur la Sécurité sociale publié en mai 2025 (5).
La Cour estime que les allègements généraux de cotisations patronales sont coûteux pour les finances publiques. Entre 2014 et 2024, ils ont presque quadruplé passant de 20,3 milliards d’euros à 77,3 milliards d’euros. En outre, elle juge que la Sécurité sociale en pâtit puisqu’elle subit une perte importante de recettes et ce malgré les mécanismes de compensation. Dans son édition de 2024, la Cour des comptes avait notamment pointé les exonérations de cotisations sur les compléments de salaires (intéressement, participation, primes partages de la valeur…), montrant que les pertes de recettes sur ces seuls compléments étaient supérieures au déficit de la Sécurité sociale !
Enfin elle ajoutait que les effets sur l’emploi des exonérations de cotisations sont « complexes à chiffrer ». Elle y reprend notamment le changement de paradigme déjà souligné dans le rapport Bozio - Wasmer, selon lequel les exonérations de cotisations ne seraient plus aussi efficaces qu’avant pour créer des emplois.
Pour résumer la Cour des comptes dresse un bilan sévère des politiques menées ces dernières années !
La fiscalisation progressive de la protection sociale
La part des cotisations sociales a régulièrement décru ces dernières années, au fil des diverses mesures d’allègements qui se sont succédé. Les cotisations sociales ne représentent plus que 49 % des recettes des régimes de base de la Sécurité sociale en 2025, contre plus de 95 % en 1980.
A l’inverse, la part des taxes et impôts est passée de moins de 5 % en 1990 à 48 % en 2025.
Les cotisations, constituant la fraction différée du salaire, ont ainsi été progressivement remplacées par la CSG (20 %), ainsi que d’autres impôts, taxes et contributions sociales (18 %), y compris la TVA (8 %), la taxe sur les salaires (3%), les taxes sur le tabac (2 %), les alcools (0,6 %), le forfait social (1 %). En particulier, la part de la TVA affectée à la Sécurité sociale a fortement augmenté ces dernières années, passant de 10 milliards d’euros en 2017 à 49 milliards d’euros en 2024.
Elle a donc été multiplié par cinq en sept ans, réduisant d’autant les recettes du budget de l’Etat allouées au financement des services publics.
Cette modification du financement n’est pas seulement « technique ». Elle préfigure une répartition des recettes fondée sur la nature des risques qu’elles financent. D’un côté le cotisations sociales doivent être réservées aux prestations dites contributives (exemple : pension de retraite, remboursements soins de santé), c’est-à-dire ouvrant droit au strict différé des montants cotisés sur le modèle de l’assurance privée actuarielle.
Les prestations dites non contributives (exemples : RSA, prime d’activité), ouvertes à tous, doivent être financées par l’impôt conduisant de fait à l’étatisation de la Sécurité sociale.
Enfin, cette structure de financement remet en cause le droit de la Sécurité sociale, en particulier la cotisation comme fait générateur des droits ainsi que le droit de regard et de gestion confiés aux travailleurs et à leurs représentants.
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(1) Pour rappel, la transformation du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en allégements généraux de cotisations en 2019 a conduit à la baisse de 6 points de cotisations maladie compensée par l’affectation d’une fraction de TVA
(2) Youssef Benzarti et Dorian Carloni, « Qui a bénéficié de la TVA dans la restauration en 2009 ? »
(3) https://www.telos-eu.com/fr/economie/le-bon-moment-pour-une-devaluation-fiscale.html
(4) Régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale et fonds de solidarité vieillesse (ROBSS + FSV)
(5) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-05/20250526-RALFSS-2025_0.pdf