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02 / 06 / 2020 | 778 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Télétravail : comment éviter les pièges de cette formule pour en profiter sans s’exposer aux risques ?  

Miroir aux alouettes. Chacun connait ce piège composé de morceaux de bois garnis de miroirs dont les reflets attirent les oiseaux qui sont ainsi la proie des chasseurs. Le télétravail brille de mille feux depuis mars 2020 avec l’instauration de ces restrictions sanitaires qui ont été très utiles pour limiter les contaminations et la mortalité, les victimes les plus touchées étant celles qui ont poursuivi leurs activités et qui donc n’ont pu bénéficier de ce dispositif de travail à distance. Néanmoins une question se pose sur le long terme, ces lumières ne seraient-elles pas en partie trompeuses. Le télétravail porte sa part d’ombre qu’il faut découvrir pour ne pas en être victime. 

 

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La part d'ombre du télétravail




Cette obscurité concerne les activités professionnelles dont il faut saisir l’ensemble des risques pour s’en préserver mais aussi en premier lieu la partie plus personnelle de la vie des individus. Il peut devenir une source de déséquilibre. Les études statistiques en cours devraient montrer outre la montée des violences conjugales, la croissance des divorces en période de confinement.

L’étude menée par Technologia avec le magazine Challenges, France Info et France 2 auprès de 2600 élus du personnel et les entretiens effectués montrent les tensions survenues et rapportées en raison du télétravail au sein des couples. « Mon mari est toujours à la maison, depuis deux mois, être toujours ensemble, cela joue aussi sur notre désir et notre libido ! Il y a une forme de lassitude de l’autre ! »  Les familles comptant des enfants ont vu combien il était aussi délicat de mener de front l’ensemble des activités « Je n’en peux plus de travailler ainsi, j’adore mes enfants mais c’est dur de bosser avec eux ! Cela doit s’achever !» Le voisinage source de convivialité est devenu aussi source d’irritation « Impossible à croire mais mon voisin du dessous a entamé des travaux pour rénover son appartement en plein confinement ! C’est terrible ce bruit toute la journée et les mômes du dessus qui courent sur le plancher à point d’heures ». Vivement que je puisse retourner au travail ».  Les personnes ne peuvent plus aussi aisément échapper à leur quotidien.

Le télétravail quand il dure de fait accentue aussi les inégalités 

Le « déconfinement » a eu lieu le 11 mai 2020 ; mais pas pour tous les salariés, puisque qu’une grande majorité d’entre eux se trouvent maintenus en télétravail à ce jour, comme l’ont recommandé les autorités publiques en particulier pour les personnels porteurs de facteurs de vulnérabilité (voir la notification juridique sur l’Appli NosDroits en date du 8 mai 2020).

Le télétravail suscite des débats, certains le plébiscitent sur le plan professionnel, d’autres y sont plus frileux. Certains salariés y ont trouvé un confort de vie, et d’autres préfèrent se rendre au bureau. Si le télétravail offre des avantages : risque d’exposition à la contamination moindre y compris dans les transports en commun, réduction de l’impact carbone, gestion parfois plus aisée des diverses activités privées et professionnelles, gain de temps et possibilité accrue de concentration favorisant la productivité. 

Le télétravail expose néanmoins à de nombreux risques qui sont parfois occultés. Ces risques sont d’autant plus importants que la césure est grande avec le centre névralgique que reste le lieu de travail. Un télé travail sur une journée par semaine, semble sans risque et permettrait de faire jouer à plein l’ensemble des avantages de cette formule. A deux journées par semaine et au-delà, le cumul des inconvénients conduit à une grande prudence même si l’épidémie du virus Covid-19 va probablement marquer le début d’un grand tournant pour le télétravail. Jusqu’alors, sa pratique restait minime dans les entreprises (1 à 2 jours par semaine), voire inexistante dans certaines.  Avant la crise sanitaire environ 1,8 millions de personnes pratiquaient le télétravail au moins 1 jour par semaine en grande majorité des cadres (60 % à 70%). A la fin mars 2020 environ 5 millions de salariés ont expérimenté cette forme de travail pour une durée continue. Cette bascule dans le télétravail n’a pu être préparée. Bien que ressentie comme trop longue ce mode de travail est en phase d’être adopté à long terme, y compris à l’issue de cette crise sanitaire.


Tel est le cas par exemple au sein d’entreprises multinationales. 
 

  • PSA qui a indiqué qu’il souhaitait faire du télétravail la norme, et le travail au bureau l'exception. Ce qui signifie que leurs collaborateurs ne viendront plus qu'un jour à un jour et demi par semaine physiquement au travail, à l'exception des salariés employés pour les activités de construction d'automobile qui nécessitent toujours une présence physique.
  • Facebook a annoncé que la moitié des employés pourraient travailler de chez eux, de façon permanente, d’ici 5 à 10 ans. 
  • Twitter autorise ses salariés qui le peuvent, à travailler depuis le domicile de façon permanente, même lorsque les mesures de confinement pour endiguer le coronavirus seront entièrement levées.
  • Google, qui emploie plus de 100 000 personnes dans le monde, a également annoncé que ses salariés pourraient rester en télétravail jusqu’à la fin de l’année 2021.
     

De plus, d’autres entreprises ont annoncé qu’elles maintiendraient le télétravail jusqu’en septembre au minimum, comme Safran, Véolia, Publicis, l’Oréal ou Orange. Mais, les grands groupes ne sont pas les seuls à envisager ce mode de travail puisque selon une enquête menée par l'Association nationale des DRH, 74 % des responsables ressources humaines interrogés prévoient un développement durable du télétravail après la crise, majoritairement avec la mise à jour ou la mise en place d’une charte ou d’un accord.  Il s’agit d’un véritable bouleversement général de l’organisation du travail qui va nécessiter pour les entreprises de s’adapter tant au niveau du matériel, qu’au niveau des nouveaux risques pour santé encourus. En effet, si au départ, le télétravail a été mis en place dans l'urgence et a été envisagé avec une certaine « souplesse », il est désormais impératif de rappeler que les employeurs ont pour objectif de garantir aux télétravailleurs leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale.

Les risques physiques du télétravailleur 

Si les risques routiers de déplacement domicile-travail sont fortement réduits, l'installation d'un bureau à domicile peut révéler de mauvaises conditions ergonomiques préjudiciables à la santé du télétravailleur.
 

  • Ergonomie
     

Un bureau à domicile ne répond généralement pas aux mêmes normes de santé et de sécurité que celles qui s'appliquent dans l’entreprise, que cela soit en espace de travail suffisant, en implantation et choix des équipements et mobiliers adéquats.


Les conditions d’aération et d’éclairage satisfaisantes. Le télé travail peut de fait accentuer des inégalités entre les travailleurs. L’exiguïté du lieu, la présence d’autres personnes, les tensions éventuelles avec ces personnes, le bruit y compris celui des voisins sont autant de contraintes à prendre en compte pour organiser une activité de télétravail adaptée. 


Les risques de troubles musculo-squelettiques peuvent apparaître en raison d’une position trop statique assise prolongée, l’utilisation constante du clavier, de la souris et de l’écran de l’ordinateur, le travail permanent au téléphone, génèrent des contraintes posturales au niveau du dos, du cou, des épaules et du poignet.


La position assise immobile de longues heures favorise aussi l'apparition de pathologies comme les troubles circulatoires, le diabète, ou l'obésité, aggravée par le grignotage et/ou une restauration rapide, sans vraie pause-déjeuner.
 

  • Communication 


L’utilisation intensive du téléphone portable « peut-être cancérogène pour l’homme » à long terme et il y a parfois des effets directs pathologiques significatifs à court terme pour certaines personnes hypersensibles (nausées, vertiges, palpitations, effets visuels et nerveux). Cette utilisation expose particulièrement le travailleur à une source d’émission d’ondes dont il est très proche. Par ailleurs diverses études en cours laissent apparaitre des conséquences pour la vision d’une exposition trop prolongée aux écrans. L’enchainement de réunions en telé conférence pouvant s’étaler sur plusieurs heures conduit aussi très souvent à un stress récurrent et une fatigue chronique et si on n’y prend garde à l’émergence d’un syndrome d’épuisement professionnel en raison des phases de récupération insuffisantes et qui sont d’autant moins respectées chez certains travailleurs que l’on assiste à un brouillage des activités personnelles et professionnelles. Les observations sont en cours mais il apparait que les heures de travail tard le soir et la nuit deviennent plus fréquentes en particulier pour les femmes qui sont encore en charge majoritairement des enfants.    


Des risques électriques peuvent également exister, notamment par l’utilisation d’une installation électrique précaire et/ou provisoire (mauvaise utilisation de multiprises, rallonges, prises défectueuses).

Les risques psychologiques du télétravailleur 

Equilibre vie personnelle / vie professionnelle : l’absence d’intégration à l’entreprise peut être source de mal-être, notamment en raison des risques liés à une disponibilité constante auprès du téléphone ou de l’ordinateur portable, possiblement assortie d’une surveillance à distance des télétravailleurs via une géolocalisation et à une captation des données. Les télétravailleurs peuvent aussi être amenés à travailler au détriment de leur vie privée et de leur temps de repos. Les horaires de travail plus souples peuvent aisément finir par empiéter sur la vie privée. 


Dans certaines sociétés un constat a mis en évidence la difficulté pour maitriser et réguler la charge de travail transmise. Un contrôle peut s’établir en partie par l’employeur par le biais du VPN utilisé pour la connexion mais souvent le salarié utilise d’autres moyens pour son travail. L’étude réalisé par le cabinet Technologia avec le concours de Challenges, France Info et France 2 auprès de 2600 élus du personnel a montré qu’environ 1/3 des salariés étaient en fort sur engagement par le biais du télétravail (voir la Notification de l’Appli Nosdroits du mardi 26 mai 2020).
 

Harcèlement et violences verbales : le télétravailleur peut être victime de ce type d’agissements qui doivent faire l’objet de mesures de prévention tout comme les violences conjugales.


Dé-sociabilisation : le travail demeure une composante essentielle de l’identité des personnes. Le travail constitue un cordon ombilical avec les autres sur le plan social que l’activité à distance rend plus virtuel. Le télé travail à distance, qui induit de nouveaux lieux et temps de travail, peut nuire à la construction de la cohésion sociale, et favoriser l’isolement et l’affaiblissement des relations professionnelles, l’appauvrissement des individus, avec la diminution des communications réelles en face à face au profit de communications virtuelles par écran interposé.


L’éloignement du collectif de travail engendre des effets négatifs sur le sentiment d'appartenance et l’égalité des conditions d’emploi et des droits en matière de formation et de promotion : être insuffisamment encadré ou être oublié, ne pas être évalué, ne pas avoir accès aux mêmes informations et opportunités de carrière que ses collègues. De fait la personne en télétravail se prive souvent d’un accès à des informations importantes voire stratégiques ou de moments de réflexion, de formation, de créativité grâce à sa participation au sein d’un collectif. 


Par ailleurs l’atomisation du collectif du travail peut favoriser une perte de créativité et d’intelligence collective. Ce dernier aspect a été relevé chez bon nombre d’entreprises qui se gardent d’une généralisation trop hâtive par peur de perdre le contrôle de leurs employés ,  par crainte d’un pillage de leurs données au cours des transferts informatiques , par soucis de ne pas altérer leur réactivité et surtout pour préserver leur culture et leur créativité, un peu comme les banques ont perdu le contrôle de leur clients qui se rendent désormais auprès de distributeurs automatiques  de billets pour leurs diverses opérations. Au-delà des effets d’annonce, et des gains parfois importants réalisés en infrastructures, cette dynamique envers le télétravail reste fortement questionnée chez certains employeurs. Une fois le désastre économique et social surmonté, dans deux ans, seules les structures avec un lien fort pourront se permettre de le généraliser sans voir des compétences critiques quitter la société voire s’en aller chez des concurrents.  

Des télétravailleurs ravalés au rang de simples tâcherons ? 

Le télétravailleur est analysé sur la base de ses productions. Il y a quelques dizaines d’années, les travailleurs étaient encore souvent payés à la tâche effectuée à domicile : une fabrique de chaises ou de gants par exemple distribuait à domicile les produits de base qui étaient assemblés par les travailleurs avant d’être collectés. Chacun percevant une rémunération unitaire ce qui obligeait à un effort très soutenu pour obtenir une paye décente. Certains produits jugés non conformes n’étaient d’ailleurs pas pris en compte dans la rémunération Cette évolution de l’activité doit demeurer présente à l’esprit et redoutée sur ce versant comme un risque car le salaire mensuel rythme avec prévoyance et retraite et signifie de meilleures conditions de travail. Par ailleurs cette évolution est porteuse d’un retour vers une forme de néo taylorisme. Celui qui pense et qui ordonne via réseaux électroniques et ceux qui exécutent sans pouvoir vraiment participer à la décision première.
 

  • Un impact non négligeable sur les délocalisations


L’impact du télétravail est aussi sensible sur un autre aspect de l’emploi celui des délocalisations ! Si on peut télétravailler à partir de Lyon ou de Bordeaux pourquoi ne pas le faire depuis un autre endroit à l’étranger ? l’effet d’apprentissage massif du télétravail durant la crise a montré d’énormes possibilités de gains pour les donneurs d’ordre qui sauront jouer sur les écarts de rémunération entre les pays occidentaux et les pays en émergence. 


L’obligation d’assurer la sécurité et la santé des salariés passe donc par l’évaluation du risque professionnel, y compris pour les salariés en télétravail.


Quelles sont les mesures de prévention à rappeler aux télétravailleurs dans la déclaration unique de l’évaluation des risques (DUER) ?

Des règles claires de fonctionnement du travail à distance encadrées par une charte ou un accord.

Les partenaires sociaux devant réfléchir pour signer ce type d’accords, à partir de constats de terrain et de l’expression des salariés questionnés sur le sujet. 
 
Des règles de gestion du temps : l'employeur doit convenir de la durée du travail (compatible avec la durée légale), les cas et les limites de recours aux heures supplémentaires, et convenir des horaires durant lesquels le télétravailleur doit être joignable pour fixer un cadre respectant la vie privée. 


Des règles de fixation et contrôle de l’activité : la définition claire des tâches confiées, des limites des fonctions et des responsabilités, et des échéances est nécessaire.


La connaissance du responsable hiérarchique et des interlocuteurs de l’entreprise pouvant identifier les problèmes et discuter des solutions à envisager, notamment dans l’utilisation des outils informatiques, est aussi indispensable. Les outils doivent être sécurisés pour éviter les fuites de données et l’engagement de la responsabilité du télétravail.


Des réunions d’échanges périodiques entre l’employeur et le salarié en télétravail, et avec ses collègues doivent être organisées: l’organisation du travail et du temps de travail doit préserver ces moments d’échanges périodiques en face à face avec les collègues et hiérarchie.


Les bonnes pratiques de déconnexion doivent être rappelées pour préserver le temps de repos. De plus, un entretien annuel doit permettre d’évaluer les modalités du télétravail et de les modifier éventuellement.


L’ergonomie des postes de travail : toutes les recommandations ergonomiques pour l'installation d'un bureau à domicile doivent répondre aux mêmes normes de santé et de sécurité que dans les locaux d’une entreprise, ce qui implique d’abord un endroit dédié ou une pièce séparée, afin de limiter les conflits possibles entre vie professionnelle et vie privée et pouvoir se concentrer. 


Les entreprises doivent donc s’assurer que chaque salarié est équipé convenablement : ordinateur performant, grand écran, clavier et souris ergonomiques , bande passante. Pour assurer une communication fluide entre collaborateurs, il peut être également utile de fournir aux collaborateurs des casques audio et des webcams externes, afin de garantir une meilleure qualité de son et d’image lors des appels téléphoniques et visioconférences.


Prévention des risques à domicile : il est nécessaire d’évaluer les risques éventuels de l’espace de travail privé du salarié, avec son accord, car l'employeur ne peut pas imposer un contrôle des conditions de travail à son domicile, en vérifiant les points essentiels de son installation et en remédiant aux défauts constatés.


L’employeur doit prévoir des procédures d’appels téléphoniques pour les situations d’urgence, de déclaration des blessures qui peuvent se produire, en réunissant tous les éléments de présomption d'imputabilité de l'accident en télétravail.
Le suivi médical est obligatoire pour les salariés en télétravail avec les mêmes visites périodiques que pour les autres salariés.


Protection des télétravailleurs : le télétravail plusieurs  jours par semaine pose une redoutable question qui est celle de la représentation des salariés. L’étude évoquée plus haut a montré que 60 % des élus du personnel avaient souffert d’être coupés durant la crise sanitaire et le confinement des salariés et des fonctionnaires dont ils sont les ambassadeurs auprès des directions. Les élus ne disposent pas en général de moyens suffisants sur le plan électronique pour entrer en contact avec les salariés et assurer leur défense. De plus être coupés du terrain ne permet pas toujours à ces derniers de s’inscrire dans un dialogue adapté avec les dirigeants. Cette régulation sociale ne se menant pas l’écologie des relations sociales peut être altérée.

 
Formation des télétravailleurs : L’égalité des droits en matière de formation des télétravailleurs doit être respectée.
La DUER devra donc s’adapter, tous les ans, à cette nouvelle organisation de travail afin de préserver la santé physique et mentale des travailleurs à domicile qui tend à se généraliser.

 
Attention toutefois aux limites du « 100% télétravail » car les salariés ont besoin de rester en contact physique avec leurs collègues. Le télétravail a été d’une grande utilité pour favoriser la continuité du travail en période pandémique. Très certainement une grande partie de ceux qui ont découvert cette modalité d’exercice de l’activité en cette occasion voudront poursuivre sur cette voie. Que plusieurs millions de personnes accèdent à cette modalité de travail va modifier les relations au sein des univers professionnels et conduire à une forte mutation des modalités de management qui devra se baser sur la confiance, l’empathie, le soutien à distance. Les personnes en revanche devront pouvoir bénéficier aussi des apports d’un travail en présentiel. La formule étant certainement « plus de monde en télétravail mais pour des durées limitées ». Tout en sachant que des métiers, des fonctions et des personnalités demeurent inaptes au télétravail. Tout en précisant que la progression du virtuel doit inciter aussi à l’organisation de moments forts en présentiel. 

 

Contribution co-rédigée avec :

  • Stephanie Demellier, Juriste Sociale Appli NosDroits
  • Françoise Marechal, Avocate au barreau de Paris Médiateure Présidente de Technologia Juris Responsable Appli. NosDroits

 

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