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09 / 07 / 2024 | 12 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Ryanair ou la difficile construction d’un syndicalisme européen de terrain (2017-2023)

Le dernier numéro de  " La Chronique internationale de l'IRES" (*) vient de paraître.

 

Au sommaire de nombreux articles sur l’actualité sociale, économique et politique à l’étranger, qui portent, entre autres:
 

  • sur la mise en place d’institutions du « dialogue social » au Sénégal depuis les années 2000 sous l’impulsion de l’Organisation internationale du travail (OIT).  Leur but est de promouvoir le « travail décent » et d’améliorer le « climat des affaires » dans un contexte de proximité entre le pouvoir politique et les syndicats. L’article s’interroge sur l’effectivité de ce dialogue social dans un marché du travail où l’informalité domine, avec un focus sur le secteur des transports.
  • sur une  analyse de la promotion par le gouvernement chinois de la négociation collective dans le secteur des plateformes de livraison de repas, afin d’améliorer la protection des travailleurs et de régler les conflits du travail. Il questionne la portée limitée d’accords conclus par des syndicats proches de l’État et des plateformes en position de force.  La négociation de branche pourrait toutefois changer la donne.
  • sur la pénurie de main-d’œuvre qualifiée en Bulgarie, qui émigre massivement depuis plusieurs décennies. Il analyse les stratégies mises en place par l’État, avec l’appui des interlocuteurs sociaux et l’aide de la Commission européenne, pour retenir et faire revenir les travailleurs qualifiés, notamment dans le secteur de la construction mécanique. Ces stratégies reposent sur le renforcement de la formation, l’amélioration des rémunérations et des conditions de travail.
  • Sur  l’impact du Brexit sur le droit du travail au Royaume-Uni, un enjeu essentiel des élections législatives de juillet 2024. Le programme du Parti travailliste contient des engagements sur l’interdiction des contrats zéro heure, des procédures de licenciement et de réembauche, la préservation des normes issues de la réglementation communautaire et la restauration du droit de grève. Au vu de leur timidité, la pression des syndicats sera déterminante pour que se réalisent les promesses de rétablissement des droits des travailleurs.

 

 Ryanair ou la difficile construction d’un syndicalisme européen de terrain (2017-2023)


Le dernier article de ce numéro porte sur les conflits du travail chez Ryanair depuis 2017.  

L'analyse et les réflexions de Jean VANDEWATTYNE (**) et Bruno BAURAIND(***)  retiendront  notre attention....

 

Malgré l’hostilité de la compagnie aérienne irlandaise low cost Ryanair envers toute forme de représentation des travailleurs et de négociation collective, elle n’a pas échappé à la conflictualité sociale.

 

En 2018, l’organisation collective des salariés a abouti à des grèves offensives de dimension européenne. Par la suite, les problèmes rencontrés par le Boeing 737 Max et la pandémie de Covid-19 freinent ce mouvement et contribuent à le relocaliser sur des enjeux nationaux.

 

Ce conflit n’en reste pas moins riche d’enseignements quant aux conditions de possibilité de l’européanisation de la grève et aux modalités d’un syndicalisme européen de terrain, mais aussi aux difficultés de sa structuration sur le temps long.

 

En conclusion, les auteurs précisent:
 

Si le personnel volant de Ryanair et les organisations syndicales les défendant ne sont pas les premiers à mener une lutte transnationale à l’échelle européenne, celle-ci s’en distingue par sa dynamique et son caractère offensif.

Elle ne vise en effet pas à lutter contre une restructuration ou à préserver l’emploi, comme ce fut, par exemple, le cas lors de la fermeture de Renault Vilvorde en  1997, mais à conquérir, par la grève et la négociation sociale, de meilleures conditions d’emploi et de travail.

Elle a pour cadre une entreprise low cost et antisyndicale qui, depuis le début des années 1990, est structurellement bénéficiaire dans un secteur où bon nombre d’entreprises font régulièrement face à des difficultés.

 

Cette lutte sociale transnationale s’est paradoxalement construite à distance des fédérations syndicales internationales et de leur fonctionnement très bureaucratique. Elle s’est adossée aux ressources financières et juridiques des deux syndicats belges où le droit du travail reste protecteur des salariés et le syndicalisme fortement ancré socialement.

L’anglais, comme ressource commune à l’ensemble du personnel navigant, a également facilité la coordination du travail syndical à l’échelle européenne et permis à des délégués de base de participer à la coordination des actions.

 

Enfin, si elle renforce la précarité professionnelle et sociale des travailleurs, l’affectation par éloignement imposée par le modèle productif de l’entreprise a aussi contribué à renforcer la solidarité à l’échelle européenne en créant des réseaux de travailleurs de même nationalité, affectés dans des pays différents.

 

Ainsi, la délégation syndicale du personnel de cabine en Belgique ne comporte aucun Belge, mais ces syndicalistes ont tous des connaissances qui travaillent chez Ryanair dans d’autres pays. Sur le temps long cependant, cette coordination syndicale européenne s’est essoufflée.

Les grèves européennes de  2018 n’ont pas débouché sur les mêmes avancées sociales dans tous les pays. Ce qui contraint désormais les syndicalistes à prendre en compte des situations nationales très différentes alors qu’avant, les propriétés de la précarité produite par Ryanair étaient relativement similaires partout en Europe.

 

Le besoin d’européanisation de la lutte est aussi fortement dépendant du contexte conflictuel national.

 

L’aspect informel de la coordination prive de facto les syndicalistes nationaux de certaines ressources liées aux structures syndicales internationales.

La direction de Ryanair a également fait évoluer sa stratégie antisyndicale.

À la répression systématique fait place aujourd’hui une stratégie de dialogue social avec des syndicats plus modérés et moins représentatifs. Ce qui, comme en Espagne, provoque des conflits entre syndicats nationaux.

Enfin, l’action syndicale européenne est aussi une question de personnes et de transmission.

Deux syndicalistes de base affectés en Belgique ont récemment quitté la coordination européenne après plusieurs années de participation.

La première à la suite d’un épuisement professionnel. Le second a été licencié dans le cadre de la fermeture de la base de Zaventem en 2023. Ces départs posent la question des conditions de renouvellement de ces délégués syndicaux « européens » de terrain.

 

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(*)Fondée en 1989, la Chronique internationale de l’IRES est une publication trimestrielle qui décrypte et analyse l’actualité sociale, économique et politique à l’étranger. Cette volonté de regarder ailleurs correspond aussi au souci de favoriser un regard décentré sur les réalités et pratiques nationales.

(**)Sociologue, professeur à l’UMONS et à l’ULB, Jean Vandewattyne travaille principalement sur les pratiques de management, l’emprise dans le monde du travail, les formes de résistance et les conflits sociaux en lien avec l’emploi et le travail. Ses dernières recherches ont porté sur IBM, Ryanair et les entreprises de plateforme.

(***) Chercheur,  politologue diplômé de l’Université Catholique de Louvain et de l’Université Saint-Joseph (Beyrouth). Secrétaire général du Gresea (Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative), il est également membre du Gracos (Groupe d’analyse des conflits sociaux), où avec Jean Vandewattyne (UMons), il suit les développent des conflits sociaux chez Ryanair et dans le secteur aérien. 

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