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08 / 04 / 2025 | 12 vues
Valentin Rodriguez / Membre
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Réindustrialiser: Enfin une priorité ?

Si la notion de réindustrialisation revient régulièrement à la une de l’actualité, les progrès réellement accomplis en la matière sont discutables. Nul n’en conteste pourtant l’urgence, alors pourquoi si peu de résultats, et comment changer la donne ? Éléments de réponse....que nous avons développé dans le dossier spécial du dernier numéro de la revue fédérale.

 

« Nous sommes en guerre », déclarait le président de la République… en 2020. Et guerre il y eut. Contre le Covid. L’épisode ayant montré les faiblesses du tissu industriel français, la réindustrialisation fut décrétée grande cause nationale et remise au centre du jeu. Cinq années plus tard, où en est le dossier ? Le « printemps de la réindustrialisation » de 2021 et 2022 est terminé. Il n’a pas été suivi d’un été. Nous sommes à nouveau eu guerre, ou presque, mais cette fois sur le front ukrainien. Pour ce nouvel épisode, ce sont les frasques du président américain qui ont mis en évidence les insuffisances du tissu industriel ainsi que de nos capacités de défense. La réindustrialisation, elle, bénéficie d’une nouvelle proclamation mais, dans les faits, se fait toujours attendre.

 


Création d’emplois qui plafonne, nombre d’ouvertures de sites en recul, production en baisse… L’actuelle incertitude économique et fiscale a conduit les industriels français à opter pour une prudence qui s’est transformée en attentisme, voire en immobilisme. Certains acteurs en ont profité pour reporter ou geler des projets pourtant stratégiques, comme Arcelor Mittal avec la décarbonation de son site de Dunkerque, qui est d’ailleurs capable d’augmenter dans le même temps le versement de dividendes alors que son bénéfice est en baisse.

 

Question de priorités, sans doute… Quant au budget 2025, il a, une fois de plus, pris l’industrie comme une variable d’ajustement politique et s’est avéré insatisfaisant. Une certitude pourtant : l’action de l’État et le soutien public doivent reprendre. Les salariés, qui sont le coeur de la souveraineté industrielle, n’ont, eux, jamais baissé les bras.


Notre organisation non plus. Il faut à présent que les grands groupes arrêtent de chercher des excuses pour enfin accélérer leurs projets et assumer leur responsabilité dans la transformation industrielle du pays.


UN SOUTIEN MASSIF


C’est un enjeu économique, une question de souveraineté –car sans industrie, on dépend d’autres Etats– et de cohésion sociale et territoriale . Le moment est d’autant plus propice que la réindustrialisation a le vent en poupe.

 

Une étude IFOP de novembre dernier montre que les trois quarts des Français voient l’industrie comme un secteur d’avenir, 89 % lui attribuant aussi un rôle clé dans la transition environnementale. Mais seule la moitié considère encore la France comme une grande puissance industrielle, et ils sont autant à penser que le secteur ne reçoit pas l’aide dont il aurait besoin de la part des pouvoirs publics. Selon une étude de mai 2024 de Bpifrance, 82 % des citoyens français sont favorables à la réindustrialisation en France. Derrière ce soutien, il y a eu des prises de conscience.

Ainsi, la crise des Gilets jaunes a mis en évidence des questions de fond sur la place des territoires dans une économie qui mise tout sur le tertiaire et considère la financiarisation de l’économie et l’avènement des start-up numériques comme la « fin de l’histoire ».

Le Covid et l’Ukraine ont aussi servi de révélateurs sur d’autres dimensions du problème de la désindustrialisation et de ses conséquences.

 


De 2021 à 2023, on a pu assister chaque année en France à la création de 35 000 emplois industriels et de 100 sites industriels. C’était le fameux « printemps » post-Covid. Plusieurs facteurs sont venus priver l’industrie de « l’été » : au plan énergétique, la France dispose de MWh d’électricité nucléaire disponibles et pas chers à produire… mais le système européen de fixation des prix les a alignés sur ceux du gaz, qui ont explosé avec la crise énergétique.

Résultat : nos industriels paient leur électricité plus cher que leurs concurrents américains ou asiatiques, ce qui pénalise leur compétitivité. Deuxième problème : une concurrence internationale déloyale. La Chine et les États-Unis protègent leur industrie avec des barrières douanières et des subventions massives, attirant les investissements et renforçant leur capacité de production.

L’Europe, elle, reste trop ouverte et trop passive face à ces pratiques, fragilisant ses industriels. L’explosion du prix des matières premières a été d’autant plus douloureuse pour l’industrie tricolore qu’elle a renforcé le phénomène, permettant ensuite à la Chine de mettre à profit ses surcapacités pour inonder le monde d’un tsunami d’exportation, notamment dans la sidérurgie.

 

Troisième obstacle : la transition écologique, nécessaire mais mal calibrée.

Si la France et l’Europe imposent des normes environnementales strictes et demandant des investissements lourds, elles ne s’appliquent qu’à elles-mêmes. Si la démarche est vertueuse, nécessaire et porteuse d’avenir, comme le soutient notre organisation, l’absence de mesures équivalentes pour les importations crée une distorsion de concurrence qui pénalise nos industries tout en déplaçant la pollution ailleurs. Un paradoxe qui ralentit la décarbonation industrielle au lieu de l’accélérer. Près de 55 % de l’empreinte carbone française est liée à des produits que nous importons, expliquait l’économiste Olivier Lluansi le 15 janvier dernier devant la commission des affaires économiques du Sénat, ce qui montre aussi que réindustrialiser est un levier de première importance pour décarboner.


DES FREINS IMPORTANTS


S’ajoutent à cela les 5F, ces entraves systémiques propres à la France : foncier rare alors que le pays est l’un des moins denses du continent ; formalités trop complexes malgré les promesses de simplification ; financements mal orientés alors que les sommes mobilisées sont considérables ; fiscalité pénalisante pour l’industrie face à la concurrence ; enfin, formation insuffisante alors que les métiers industriels sont en tension, et ce malgré une amélioration notable de l’image de l’industrie, entravant la montée en cadence de certains secteurs, bridant l’agilité des industriels. Derrière, la tertiarisation, présentée comme la voie naturelle du progrès, n’a pas tenu ses promesses.


Les services n’ont pas remplacé tous les emplois industriels détruits, et les pays qui ont hérité de notre production ne se sont pas contentés de fabriquer des objets bas de gamme. Ils nous concurrencent aujourd’hui sur les créneaux à haute valeur ajoutée. Pendant ce temps, la France a vu son tissu productif se déliter, et avec lui, des savoir-faire essentiels. Seule la financiarisation attendue de l’économie a réellement découlé des belles promesses, avec les conséquences négatives que l’on connaît pour l’industrie et ses salariés. À toutes ces causes conjoncturelles se superposent des questions structurelles. Les politiques industrielles nationales ont longtemps été bâties autour de grands programmes organisés par filière et autour de ruptures technologiques, comme Airbus, les centrales nucléaires ou le TGV. Ces innovations prenaient appui sur un tissu industriel de base extrêmement dynamique pendant les Trente Glorieuses.


Si la France et l’Europe imposent des normes environnementales strictes et demandant des investissements lourds, elles ne s’appliquent qu’à elles-mêmes.


Mais quand est lancée une première fois la réindustrialisation, à la fin des années 2000, nul ne prend en compte le fait que le tissu industriel de base a été lessivé par la désindustrialisation (voir encadré). Sans ce socle industriel, difficile d’aboutir. Ne pas avoir su associer les acteurs à l’échelon local a été un autre péché originel de l’initiative. Le rapport de la Cour des Comptes présenté en novembre dernier ne dit pas autre chose, quand les sages de la rue Cambon expliquent que beaucoup de projets de « France 2030 » et de « Territoires d’industrie » n’ont pas abouti faute d’avoir suffisamment associé les collectivités locales aux projets.


DES SOLUTIONS VIABLES


Face à ces défis, pour garantir la compétitivité de l’industrie française et l’aider à réussir sa transition industrielle, plusieurs solutions s’imposent. Garantir l’accès à une électricité décarbonée, abondante et abordable est une priorité. Le nucléaire, pilier de notre mix énergétique dont notre organisation syndicale  a toujours défendu la place, doit s’inscrire dans une stratégie plus large intégrant pleinement les énergies renouvelables. Au niveau européen, il faut lever les blocages afin que les nouveaux réacteurs bénéficient d’aides et qu’une part significative de notre production soit allouée à notre industrie.

 

Face aux mesures protectionnistes américaines et chinoises, l’Europe doit rétablir des règles du jeu équitables. Cela passe par des mécanismes d’ajustement carbone aux frontières et par une politique d’achats publics favorisant les produits français et européens plutôt que ceux importés à bas coût.
Investir dans l’industrie verte est aussi une nécessité. Le Dunkerquois en est un exemple : cette région, autrefois sinistrée, se transforme en laboratoire d’une industrie décarbonée. Mais cela suppose des investissements massifs, qui ne doivent pas être freinés par des arbitrages budgétaires à court terme. Au-delà, c’est à l’Europe de prendre le relais, comme le suggère le rapport Draghi, en utilisant sa capacité d’endettement. Cela implique aussi de réfléchir à des sources de financements plus larges, mais il est hors de question que cela se fasse en piochant dans les budgets sociaux, dans le paritarisme, dans la poche des salariés dont l’épargne suscite actuellement bien des convoitises, ou dans celle des retraités auxquels on voudrait amputer une part de ce salaire différé pour lequel ils ont cotisé durant toute leur vie active.


Investir dans l’industrie verte est aussi une nécessité.


La formation est un autre levier clé. Les métiers industriels sont en moyenne 20 % mieux rémunérés que ceux du tertiaire, et ils offrent des perspectives de carrière intéressantes. Il faut revaloriser les formations professionnelles et renforcer la formation continue pour accompagner les mutations technologiques. La France a un savoir-faire industriel reconnu, et c’est grâce aux compétences et à l’engagement de ses salariés qu’elle a réussi et pourra encore le faire demain. Il ne peut y avoir d’industrie forte sans reconnaissance de celles et ceux qui la font vivre, sans investissements dans la formation, et sans garantie sur la qualité des emplois créés.


UNE NOUVELLE APPROCHE


Enfin, un changement de logique est indispensable. La France doit identifier une liste de productions stratégiques à relocaliser en priorité, adopter une politique commerciale plus protectrice et retrouver une génération de technologies d’avance pour ne plus subir un retard qui pèse sur ses coûts de production. La décentralisation doit être repensée pour donner aux territoires les moyens d’accompagner l’industrialisation. L’économie circulaire, en privilégiant les circuits courts et le recyclage, pourrait jouer un rôle clé dans la résilience industrielle et la souveraineté économique. Elle redynamiserait également les territoires, qui retrouveraient enfin ces moteurs de croissance qu’ont toujours été les implantations industrielles, comme le montre l’histoire du Nord ou du Grand Est. Cette nouvelle logique gagnerait à être accompagnée d’une vraie planification donnant à l’industrie des objectifs de long terme et d’investissements avant tout, évitant de faire primer la rentabilité pour les actionnaires sur toutes les autres considérations.


La réindustrialisation est un enjeu de souveraineté, mais aussi de cohésion sociale et territoriale. Elle permet de créer des emplois stables et bien rémunérés, qui assurent les financements de notre modèle social. Davantage d’emplois industriels, c’est plus de cotisations, plus de capacités budgétaires pour notre système de santé et notre école républicaine.

Une industrie forte est la condition d’un État-providence solide. Il est temps de cesser de tergiverser et d’agir avec ambition. La France a les ressources pour redevenir une grande nation industrielle. Encore faut-il qu’elle se donne les moyens de mobiliser pleinement ses atouts.

 

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