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Presstalis en redressement judiciaire : crise institutionnelle
Sur décision du tribunal de commerce de Paris le 15 mai, le distributeur de presse Presstalis (qui avait déposé son bilan en avril dernier) est placé en redressement judiciaire avec poursuite d’activité et période d’observation de deux mois. Le tribunal a prononcé la liquidation de ses deux filiales intervenant en province, SAD et Soprocom. Des centaines d’emplois sont menacées.
Un plan de reprise de Presstalis (ex-NMPP jusqu’en 2009), principal distributeur de presse en France, avait été présenté à la justice. En amont, il avait fait l’objet d’un accord entre trois syndicats (FO, CGT et CGC) et la direction, indiquait Thierry Noleval, ex-délégué syndical central FO chez Presstalis et secrétaire général du syndicat national FO de presse, d’édition et de publicité (FO-SNPEP), le 14 mai. Mais, soulignait le militant en faisant part de ses craintes, la décision du tribunal risquait de menacer l’emploi, déjà mis à mal par les restructurations successives. La décision est tombée vendredi 15 mai. Si la liquidation totale de Presstalis n’a pas été prononcée (la société est placée en redressement judiciaire avec poursuite de son activité et période d’observation de deux mois), l’avenir de ses filiales a été scellé, le tribunal en prononçant la liquidation.
Le tribunal a choisi de retenir le plan initié par le groupement des quotidiens qui participent au capital de la société commerciale Presstalis dans le cadre d’une coopérative depuis 2011. Le distributeur compte une autre coopérative, celle représentant les magazines. Elle détient les trois-quarts du capital mais ne s’est, pour l'instant, pas associée au projet de reprise. Des négociations ont lieu actuellement et pourraient faire évoluer cette situation.
Le plan porte donc sur la reprise du siège Presstalis à Bobigny (Seine-Saint-Denis), où FO est la première organisation syndicale, et de son entrepôt de distribution basé dans la même ville et consacré aux livraisons de presse dans la région parisienne. En revanche, la reprise de la filiale SAD (société d’agences et de diffusion) et Soprocom (société pour la promotion et la communication) étaient écartées du plan. Ces sociétés livrent les titres de presse sur le reste du territoire via leurs dépôts basés en province. Le tribunal a prononcé leur liquidation.
Quid des 500 emplois de la SAD ?
Cette semaine, au sein de ces entités, un syndicat avait appelé à trois jours de blocage sur des dépôts et dans des imprimeries en province. Ce même syndicat avait toutefois signé le projet de reprise présentée au tribunal, relève Thierry Noleval. Alors que la liquidation de la SAD menace ses 500 emplois, on ne peut que regretter que des salariés soient liquidés ainsi, réagit Thierry Noleval, rappelant que FO n’est pas implanté dans la filiale.
Le plan prévoit de réduire encore le nombre de dépôts estampillés « Presstalis » sur le territoire et sur les secteurs touchés de confier la distribution des journaux à des dépositaires indépendants ou des nouveaux entrants, expliquait le président de Presstalis, le 12 mai. Les acteurs que l’on a toujours connus dans la distribution se retirent et l’on en voit d’autres arriver, indique Thierry Noleval, notant que ceux qui arrivent sont de purs financiers, en général richissimes et portant la préoccupation de rentabilité et de réduction des coûts au pinacle.
La menace sur l’emploi concerne aussi le site historique de Presstalis à Bobigny. Selon le plan présenté au tribunal, au siège (200 salariés) de la société, la moitié de l’effectif serait repris. Dans l’entrepôt, 70 emplois sur 195 seraient supprimés. Cela pourrait se faire par des mesures d’âge, indique Thierry Noleval. Mesures de départs qui ont déjà été utilisées.
Pour l’instant, personne ne veut prendre le passif en charge...
La décision du tribunal place une nouvelle fois Presstalis et ses difficultés sous les feux de l’actualité. La société, à laquelle l’État a accordé une nouvelle aide (35 millions d’euros via le programme du fonds de développement économique et social (FDES)) le 13 mai, est engluée dans une grave situation financière depuis des années. Ses comptes ont viré au rouge vif, avec un déficit entre 500 et 600 millions d’euros. La situation a continué de se dégrader et personne ne veut, pour l'instant, prendre le passif en charge. Presstalis fait face à une crise financière et, en quelque sorte, institutionnelle, déplore Thierry Noleval. Cette dégradation ne doit rien au hasard mais relève notamment des mutations opérées dans la presse.
Alors que la presse acquiert sans cesse de nouveaux lecteurs, les ventes (quotidiens et magazines) sur support papier reculent toujours, au bénéfice du numérique (tablettes, smartphones et ordinateurs). Depuis déjà quelques années, pour leurs publicités, les annonceurs, eux, privilégient les supports numériques. Les recettes qui allaient autrefois à la presse papier ont donc fortement diminué.
Entre 2017 et 2018, la presse magazine papier a connu un recul de ses ventes de plus de 4 % alors que le numérique progressait de 25,9 %. La presse quotidienne enregistrait une baisse de 3,7 %, contre une hausse de 26,8 % de ses ventes en numérique. La presse quotidienne régionale amortit mieux le choc, avec des ventes papier en recul de 0,3 % et une hausse de 34,5 % du numérique.
Dans son ensemble, la presse papier a connu un recul de 5,9 % entre 2017 et 2018, quand le numérique bondissait de 25,9 %. Ces évolutions étaient déjà visibles des années auparavant et, depuis 2018, aucun mouvement inverse n’a eu lieu.
Un rôle historique dans la liberté de la presse
À cette situation de presse en crise et qui pèse forcément depuis des années sur le monde de la distribution, la crise sanitaire du covid-19 s'est ajoutée. Au-delà du choc financier dû à la fermeture des points de vente pendant le confinement, la crise entraîne des incertitudes quant à l’évolution prochaines des ventes de presse papier.
L’an dernier, la loi du 18 octobre 2019 ouvrant le marché du secteur de la distribution de presse sur lequel interviennent pour l’instant Presstalis et les messageries lyonnaises de Presse (MLP, où FO est largement majoritaire depuis les élections au CSE le 3 décembre dernier) à la concurrence d'ici 2023 avait déjà semé des inquiétudes quant à l’avenir de Presstalis, émanation des nouvelles messageries de la presse parisiennes/NMPP, nées en 1947 dans le prolongement de la loi Bichet du 2 avril 1947.
Celle-ci a, entre autres, introduit la notion d’égalité entre éditeurs de presse au plan de la distribution. Cette loi qui a aussi institué la liberté de choix de distribution, permet que les titres soient présents sur tous les points de vente du territoire. Cette loi, adoptée à la sortie de la Seconde guerre mondiale, a depuis été maintes fois menacée d’abrogation. Pourtant, elle vise notamment à assurer la possibilité d’une diffusion nationale des journaux et sans que les coûts ne soient financièrement insupportables pour les éditeurs.
Bref, la loi et le système de distribution des journaux mis en place à la libération ont tout à voir avec la possibilité de faire vivre la liberté de la presse. Les NMPP puis Presstalis (qui a connu plusieurs réorganisations dans sa gouvernance) ont largement participé à permettre l’exercice de cette liberté, qu’il est toujours nécessaire de défendre.