Organisations
Les « laboratoires incubateurs d'idées » pour des administrations co-actives
Gilbert Deleuil, président du conseil d'administration de Galilée.sp, et Catherine Gras, présidente du conseil d'orientation, ont bien voulu livrer leurs approches des choses pour le CIRIEC.
Le « think-tank » opérationnel Galilée.sp s'est senti très concerné par la quatrième thématique du « grand débat national ». En effet, Galilée.sp, majoritairement composé de hauts fonctionnaires, de cadres de la fonction publique et ouvert à la société civile (cadres, dirigeants d’entreprises, professions libérales…), consacre ses travaux au service public et à sa nécessaire adaptation aux besoins du monde contemporain.
Que propose Galilée.sp ? D’articuler une nouvelle philosophie politique de l’action publique avec l’intelligence collective des citoyens en s’appuyant sur des méthodes opératoires stimulant la créativité et la confiance.
Avec quels objectifs ?
- Pour construire un service public efficace, innovant, humain et au service des citoyens et de la République.
- Pour mettre « les fonctions publiques au cœur de l’innovation ».
- Pour faire face au néolibéralisme, aux tentations de repli identitaire et à la pensée dominante quantitative, mécaniste et réductrice.
I – Agir sur l’organisation : clarifier, simplifier et transférer pour remettre un État républicain puissant adapté au monde d’aujourd’hui sur pieds
Les institutions doivent évoluer afin de mieux s’adapter aux réalités contemporaines.
Dans quelle intention ? Pour mettre en œuvre les orientations stratégiques de notre pacte républicain dont les valeurs intangibles (liberté, égalité, fraternité, laïcité et solidarité) doivent soutenir et enrichir la vie des citoyens.
1 . Clarifier l’organisation constitutionnelle de l’État
Depuis 1958, notre constitution a considérablement varié dans son interprétation. On est passé d’un parlementarisme rationalisé au tout début (1958-1965) à un régime semi-présidentiel de 1965 à 2012 pour se trouver aujourd’hui dans un système clairement présidentialiste (et pas présidentiel, comme aux États-Unis).
La pratique actuelle de nos institutions est très éloignée de la lettre de notre Constitution qui confère un rôle éminent au Premier Ministre et au Parlement.
« S’il est vrai que l’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment » (Cardinal de Retz), il n’en demeure pas moins que ce décalage peut paraître en contradiction avec les principes d’un État de droit. Ce qui ne peut que fragiliser le rapport des citoyens aux institutions.
Ouvrons résolument un chantier d’organisation constitutionnelle nouvelle pour que la France se développe dans ce qui deviendra la République du XXIe siècle. Dans ce cadre, le nombre d’élus nationaux (députés, sénateurs et conseillers du CESE) devrait être réduit car l’inflation française actuelle de leur nombre paraît comme un anti-modèle.
2. Une organisation administrative à simplifier
L’organisation administrative de la France (en tout cas depuis la Révolution) est passée d’une organisation très jacobine et centralisée à un système semi-décentralisé depuis 1982. Le processus de décentralisation français n’a pas emprunté le chemin du fédéralisme (Allemagne…) ou du quasi-fédéralisme (Espagne, Italie…) et c’est heureux. Face aux menaces internationales actuelles et dans le contexte européen, la France a plutôt besoin d’unité.
Alléger le millefeuille administratif
Alors que la France ne connaissait que trois niveaux d’institutions publiques (l’État, le département et la commune), notre pays offre aujourd’hui plusieurs strates supplémentaires.
Un citoyen habitant une grande ville est soumis à sept niveaux d’administration : la mairie d’arrondissement, la mairie centrale, la métropole ou l’intercommunalité, le conseil départemental, le conseil régional et l’État, sans compter l’UE…
Ce millefeuille administratif est perturbant pour le citoyen, incompréhensible pour l’usager, coûte cher et complique considérablement la prise de décision publique sur les enjeux majeurs. Il n’est donc guère étonnant que les citoyens se sentent éloignés et incompris du pouvoir.
Plusieurs conséquences pratiques doivent être tirées de cette situation.
Contrairement à ce que revendiquent les élus locaux, l’État ne peut accorder l’autonomie financière à chaque strate d’administration sans risquer de graves dérives financières et fiscales (par rapport au PIB, les dépenses des collectivités locales ont nettement progressé alors que la part de l’Etat a régressé au ces dernières décennies).
Allégeons le millefeuille : Pas plus de 4 niveaux (commune, département, région et État), chacun des niveaux devant avoir une taille critique pour être opérationnel (fusion des plus petites communes, suppression du département dans les communes-agglomérations et réorganisation de la carte départementale) et, au sein de chacun des niveaux, fonctionnons avec un système de délégation de pouvoir et une évaluation. Il est clair que, là aussi, cela réduira le nombre d’élus.
Évaluons la conséquence de la limitation du cumul des mandats (bonne dans son principe).
Transfert de compétences et de responsabilité
Dans ses prises de position récentes, le Président de la République a fort judicieusement pointé la distinction à faire entre les transferts de « compétences » revendiqués par les élus des collectivités territoriales et les transferts de « responsabilités ».
Les différentes associations d’élus locaux, elles-mêmes aussi variées que les différentes couches du millefeuille administratif, s’entendent en général sur le dos de l’État pour revendiquer plus d’autonomie financière et plus de compétences juridiques. Or, déléguer une compétence sans que des objectifs ne soient assignés et les résultats évalués fait courir le risque d’une dilution des responsabilités et d’une aggravation de l’impuissance publique.
Assortissons systématiquement, pour chacun des 4 niveaux de collectivités publiques restructurées, compétences et responsabilités à partir d’objectifs identifiés et d’une évaluation des effets produits. Favorisons ainsi l’intelligence collective d’élus-coéquipiers agissant dans la complémentarité plutôt que focalisés sur la conquête du pouvoir (pratique du XXe siècle).
II – Réhabiliter et réformer la fonction publique dont la raison d’être est de permettre un bon fonctionnement du pacte républicain
Dans certains milieux, il est de bon ton de critiquer les fonctionnaires, considérés comme des privilégiés paresseux. Dans le droit fil de la philosophie néolibérale qui prédominait dans le monde depuis les années 1980, l’ennemi, c’est l’État et les fonctionnaires.
L’endettement public de la France n’est pas attribué au manque de courage de nos gouvernements successifs depuis 1974 mais au nombre excessif de fonctionnaires !
1. Le véritable coût de la fonction publique n’est pas ce que l’on croit
Le « grand débat national » doit être l’occasion de clarifier la réalité de la dépense publique aux yeux des citoyens. Si les dépenses publiques représentaient 56,5 % du PIB en 2017 (ce qui est considérable), la part des dépenses liées aux transferts sociaux entre pour 32 % tandis que les dépenses des collectivités publiques proprement dites ne sont que de 24,5 %.
Ainsi, lorsque l’on cherche à évaluer le taux d’administration des pays (c’est-à-dire le poids de la fonction publique dans chaque État), on se rend compte que la France se trouve peu ou prou dans la moyenne des pays comparables.
Communiquons largement et simplement sur ces deux agrégats pour remettre les choses à leur place. Les études plus détaillées ne manquent pas (Association service public et travaux de Jacques Fournier).
2. Éloge et défense de la fonction publique
Notre modèle de fonction publique est né en même temps que la République, pour la servir. Il s’est constitué pour remplacer le système de l’Ancien Régime qui reposait très largement sur la vénalité des offices publics et l’hérédité des charges. Les autres emplois publics étaient constitués de commissaires, de commis et de serviteurs, recrutés et révoqués discrétionnairement par le Roi. Le système était dispendieux, propice à la corruption ainsi qu’au népotisme. Il n’offrait pas de garantie quant à la compétence des agents et n’assurait pas d’égalité d’accès aux emplois.
Notre modèle de fonction publique a été progressivement mis en place, il a évolué pour incarner et soutenir la République à sa naissance (fin du XVIIIe siècle et au début de la IIIe République) et aux moments-clefs de sa reconstruction (1945). Il a influencé les fondateurs de l’Union européenne et connaît un rayonnement international.
Le statut général des fonctionnaires a été conçu et élaboré pour corriger les dérives avérées qui faisaient courir un risque à la neutralité républicaine. Avant ce statut, le système d’administration publique n’était pas prémuni contre des fléaux comme le népotisme (favoriser ses proches, accélérer leur promotion et traiter leurs dossiers en priorité), la politisation des nominations à tous niveaux (du dirigeant, au rédacteur et à l’huissier) ou des piètres compétences lors des recrutements.
Faut-il conserver une fonction publique statutaire ? Notre réponse est oui. Pourquoi ? Pour faire la République, pour que le socle qui fait « fonctionner » l’État républicain soit permanent, professionnalisé et garant, dans son « fonctionnement », d’un alignement au service de tous sur le projet républicain français, à savoir faire vivre la liberté, l’égalité et la fraternité dans un espace laïc.
On a souvent entendu : « Peu importe le statut et les financements, (publics ou privés) qui servent à rémunérer le fonctionnement quotidien, en 24h/24 de la République, ce qui compte c’est l’efficacité du service. D’ailleurs, les usagers ne font pas la différence entre les fonctionnaires d’État et les agents de la Sécurité sociale ». Certains programmes de la campagne électorale présidentielle de 2017 avaient remis sur la table cette vision d’une fonction publique finalement inutile au nom d’une logique d’efficacité. Cet amalgame implicite, entre l’entreprise qui serait efficace et la fonction publique qui ne le serait pas, est grossier. L’entreprise n’a pas le monopole de l’efficacité, il serait même facile de montrer qu’elle n’est pas toujours efficace. Cet amalgame ne sert pas la République et ne fait qu’attiser des méfiances réciproques.
Les valeurs du pacte républicain doivent et méritent d’être inlassablement et quotidiennement mises en travail, appliquées, contrôlées, revisitées et réinventées dans la façon de les mettre en œuvre dans un monde mouvant. Cela s’appelle « administrer ». Le fonctionnaire est un acteur à part entière qui fait « fonctionner » ces valeurs au quotidien et qui en témoigne par son action.
Défendre la fonction publique, c’est saluer sa capacité de résilience malgré les mauvais procès qui lui sont régulièrement faits ; c’est la doter des bons moyens, lui confier des missions prioritaires et soutenir sa capacité d’innovation pour aider le pays à se mettre au diapason du XXIe siècle.
Conservons une fonction publique statutaire
Osons réformer : réduction du nombre des corps, allégement de la gestion des carrières, mobilité au sein de chaque fonction publique et entre les différentes fonctions publiques, amélioration de la prise en compte de la mobilité dans les déroulements de carrière, déploiement de l’administration numérique en réarticulant service numérique et de proximité territoriale, poly-compétences, plans de reconversion professionnelle au sein des fonctions publiques, ouverture aux contractuels sur des métiers sous-staffés, refonte du système managérial, mise en place de systèmes incitatifs (ex. : rémunération au mérite pour les collectifs).
III – L’avenir du service public ? Excellence et projets d’avenir
1 - La voie de l’excellence collective
En soixante ans de Ve République, les réformes administratives n’ont jamais cessé : décentralisation, déconcentration, restructurations, LOLF, suppression des frontières intracommunautaires dans l’Union européenne, nouvelles méthodes de management, administration numérique, prélèvement de l’impôt à la source, réformes de l’hôpital (on ne les compte plus), créations multiples de minima sociaux etc.
Donc les Français et les fonctionnaires sont des spécialistes du changement.
Les réformes qui marchent bien sont celles que le personnel peut s’approprier et auxquelles il adhère parce qu’elles sont bien préparées, il en comprend le sens et s'associe à tous les stades de leur conception à leur mise en œuvre (un contre-exemple : le RGPP 2007-2012…).
« Pensons positif » et retrouvons notre trajectoire : renouons avec la tradition d’excellence du service public français en osant porter des projets d’avenir et structurants.
2 - Une vraie administration numérique
Une administration numérique républicaine efficace a quatre points d’appui qu’il faut développer en même temps.
Des moyens budgétaires bien calibrés pour permettre des infrastructures autonomes et sécurisées (idem pour les développements).
Consolider les compétences techniques internes par des recrutements sur profils (cybersécurité, blockchain, intelligence artificielle, métiers du big data).
Un accompagnement pour un redéploiement des effectifs, des compétences et des guichets.
Le maintien, en complémentarité du service numérique, de guichets physiques pour les citoyens et les usagers actuellement en marge de la révolution numérique (personnes âgées, personnes à faible niveau de diplôme, zones rurales d’où les services publics ont progressivement déserté et zones mal couvertes par le haut débit). Ces guichets physiques gagneront à être des points d’accueil polyvalent et/ou sur rendez-vous.
3 - Trois lignes directrices
→ L’arrêt des coupes budgétaires sur les missions régaliennes (défense, sécurité, justice, services fiscaux, comptabilité publique et diplomatie) et, autant que nécessaire, réorganisations de l’exercice de ces missions.
→ L’Éducation nationale, un chantier prioritaire : apprendre autrement, développer la créativité et le travail d’intelligence collective, apprendre à se développer à partir de ses points forts, placer l’enfant au centre du processus d’apprentissage plutôt que le savoir au centre, soutenir les enseignants et l’initiative pédagogique (services d’accompagnement notamment).
→ La transition écologique : imaginons et construisons les grands projets avec les jeunes générations en les associant en amont et en leur confiant les rênes. La transition écologique est générationnelle, tirons-en les conséquences et ne perdons pas notre temps !
IV – Entretenir une dynamique avec méthode
1 - Des « administrations co-actives » et créatives
Qu’est-ce qu’une « administration co-active » ? Une administration conçue ou réadaptée par des collectifs diversifiés car composés de toutes les forces vives du pays (usagers, entreprises, citoyens, gens de toutes générations et de toutes conditions sociales, élus publics, fonctionnaires et agents publics concernés). Chacun est ainsi impliqué comme co-acteur de sa conception, de son prototypage, de ses tests, de sa mise en œuvre ; chacun a un rôle à y jouer, celui-ci se différenciant progressivement. Le service rendu, son organisation et ses performances sont dès l’origine au cœur de leur conception.
La créativité puis l’innovation sont directement à l’œuvre dans un processus collectif de co-construction. C’est une culture nouvelle. À tous les stades de maturité, une administration peut devenir « co-active » : soit au moment de sa création, soit parce qu’il faut faire des réaménagements, soit parce qu’il faut la supprimer (cas des besoins estimés non prioritaires, périmés, pourvus autrement…).
→ Galilée.sp propose un nouveau modèle : l’« administration co-active ». Il est d’actualité. Chacun y prend sa part de travail et est aux premières loges pour voir le travail se réaliser.
2 - Les « laboratoires incubateurs d'idées » (LII) : une méthode qui permettra au « grand débat national » d’avoir des suites opérationnelles concrètes grâce à un travail collectif
Le « grand débat national » correspond à une phase de récolte de paroles, d’idées et de sujets prioritaires pour les Français qui y auront participé. Cette matière collectée sera analysée puis, selon un processus politique, la décision d’ouvrir des chantiers de réforme sera prise, ainsi mieux éclairée. Dès lors, comment permettre aux Français de continuer à participer aux phases de construction pour ceux qui y auront pris goût ou pour ceux qui regretteront de ne pas y avoir participé ? Des méthodes fiables et robustes seront nécessaires.
Les LII de Galilée.sp sont un cadre de travail directement utilisable pour développer les projets publics ; ils peuvent donc servir pour les suites du « grand débat national ». Méthode conçue et mise au point par Galilée.sp, nous avons le recul suffisant pour dire que ça marche. Nos « clients » (Ministère de l’Intérieur, Chambre des métiers et de l’artisanat, classe de BTS de l’Éducation nationale, associations d’intérêt public, projet « logement des agents publics » etc.) nous le témoignent et les résultats en sont visibles : accélération de la conception et de la mise en œuvre, confiance collective et esprit positif, idées totalement nouvelles élaborées par l’intelligence collective, innovations réelles avec changements de type 2.
Des formateurs internes de collectivités publiques ont bénéficié de la formation à la méthodologie LII et l’utilisent maintenant dans leurs interventions (grandes agglomérations, conseils départementaux et administrations centrales de ministères).
→ La méthodologie des LII peut être utile pour les suites du « grand débat national ».
3 - Vers les administrations nouvelles avec des LII pour des « administrations co-actives »
Des administrations nouvelles seront possibles dans les suites du « grand débat national ».
→ Galilée.sp se propose d’aider à la naissance de ces administrations nouvelles dans des LII : elles pourront ainsi être « co-actives » dès l’origine, en assurant une participation de toutes les parties prenantes. Le porteur de projet (directeur d’administration ou élu) sur la base de sa feuille de route pourra, lui aussi, s’impliquer avec créativité