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02 / 10 / 2024 | 61 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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La semaine de 4 jours : travailler moins tout en travaillant... plus ?

L'équilibre entre vie professionnelle et vie au travail, et par voie de conséquence  les nouvelles modalités d'organisation  du travail, sont de plus en plus au centre de nombreux débats ;  Depuis la crise sanitaire qui a nécessairement conduit à revoir les schémas établis, télétravail, semaine de 4 jours.... sont  des sujets qui reviennent régulièrement au devant de l'actualité et nombreux sont ceux ont pu ces derniers mois nourrir la littérature sur ces sujets.

 

 

Partant de ces considérations, et au-delà des prises de position souvent  enthousiastes, Pauline Grimaud, Docteure en sociologie au Centre de sociologie des organisations (CSO, Sciences Po/CNRS), actuellement chercheuse postdoctorale au Centre d'étude de l'emploi et du travail (CEET) du Cnam (Le Conservatoire national des arts et métiers), livre ses réflexions dans le dernier numéro de Connaissance de l'emploi ...une publication à lire et faire lire (*)

 

En effet, elle a cherché à éclairer  comment les entreprises adoptent en France la semaine de 4 jours à partir d'une analyse quantitative et qualitative de 150 accords d'entreprise signés en 2023.

 

Pour elle:

 

Si la semaine de 4 jours est souvent mise en oeuvre au nom du bien-être au travail, celui-ci est surtout conçu comme un moyen de mobiliser les salariés en vue de gains de productivité.

 

Ce souci de la performance économique se traduit par des semaines de travail compressées ou intensifiées puisque la semaine de 4 jours n'implique en général ni une baisse, ni une diminution de la charge de travail.

 

Par ailleurs , cette organisation du temps de travail recouvre bien évidemment des réalités très diverses dans les entreprises selon les secteurs et les catégories socioprofessionnelles des salariés concernés.

 

L'analyse des accords fait émerger trois types de semaines de 4 jours très distinctes les unes des autres.


La semaine de 4 jours sur 5


La plus courante (64 % des textes) est la « semaine de 4 jours sur 5 ». Elle s’observe aussi bien dans les services — et plus précisément les emplois de bureau — que dans l’industrie. Le jour non travaillé est soit collectif quand il est possible d’arrêter l’activité un jour dans la semaine, soit pris individuellement par
les salariés un jour fixe (souvent le lundi, mercredi ou vendredi) ou par roulement.


Dans cette configuration, la semaine de 4 jours est souvent défendue comme une réponse à l’explosion récente du télétravail.
 

La semaine de 4 jours modulée


Elle est souvent envisagée comme un instrument de flexibilisation du temps de travail en fonction des besoins de l’entreprise.


Cette « semaine de 4 jours modulée » qui concerne 20 % des textes, là encore l’industrie et des emplois de bureau, permet de faire face aux fluctuations de l’activité de l’entreprise en raison des saisons
ou du carnet de commandes.


L’organisation du temps de travail est ici plurihebdomadaire, sur l’année ou un cycle plus court, et
distingue d’une part des périodes de basse activité avec des semaines de 4 jours, souvent autour de 30 ou 32 heures et d’autre part des périodes de haute activité, avec des semaines de 5 ou 6 jours à 40 heures ou plus.

 

La semaine de 4 jours sur 7
 

La semaine de 4 jours peut aussi ne pas être organisée sur 5, mais plutôt sur 6 ou 7 jours.

Cette configuration implique la plupart du temps un roulement plurihebdomadaire pour assurer une activité continue sur au moins 6 jours. En général, non seulement le troisième jour travaillé n’est pas fixe, mais que c’est également le cas des deux jours de repos hebdomadaires.


Cette organisation qui concerne 16 % des textes est souvent adoptée dans les services, très féminisés, en contact direct avec un public et qui fonctionnent sur des plages horaires étendues (santé, commerce…). Pour les directions d’établissements, elle a l’avantage d’augmenter l’amplitude journalière et de faciliter ainsi la mise en place de longues journées de travail sur un nombre plus restreint de jours, comme l’illustre le planning du centre d’appel. A noter qu'elle est souvent associée à un travail régulier le week-end...

 

Conclusion:

 

Pour Pauline Grimaud.....

 

Alors que la semaine de 4 jours est politiquement et médiatiquement présentée comme favorable aux salariés, l’analyse des accords d’entreprise montre une réalité plus contrastée puisque les salariés sont incités à faire autant ou plus en 4 jours au lieu de 5. Il est remarquable que la semaine de 4 jours véhicule une conception très paradoxale du « bien-être au travail » qui reposerait avant tout sur le hors-travail. Au même titre que la journée de 12 heures à l’hôpital , le principal intérêt de ce dispositif serait alors, pour les salariés, la potentielle mise à distance de leur travail pendant leur temps de repos. En ce sens, la semaine de 4 jours est surtout un moyen d’échapper au travail « pressé » . Or, avec l’allongement de la journée de travail et/ou l’intensification du travail qu’elle implique, la semaine de 4 jours peut aussi contribuer à son tour à dégrader le travail qui devient « compressé », augmentant d’autant plus les aspirations à mettre à distance celui-ci.

 

 

(*)  Pour télécharger la publication, cliquez ici.

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Qu'en est-il de l'aménagement du temps de travail dans les entreprises?

et...Comment les entreprises du secteur privé aménagent-elles le temps de travail?... La Direction de l'animation de la recherche, des études et des Statistiques (DARES) s'est penchée sur ce sujet et a publié  en juillet une note assez complète sur les observations réalisées à partir des éléments de l'année 2022 (1)...dans le prolongement d'un note de juin dernier sur l'évolution de  la durée du temps de travail (2) également intéressante à lire.

 

Les résultats  mettent en avant l'hétérogénéité des situations très compréhensible selon les secteurs d'activité et  la taille des entreprises.

 

On notera que:

- 40,1% des entreprises de 10 salariés ou plus du secteur privé non agricole déclarent que leurs salariés, en plus de leurs congés légaux, bénéficient de jours de réduction du temps de travail (RTT).

- les RTT sont plus fréquentes dans les entreprises de grande taille : c’est le cas de 90,1 % des entreprises de 500 salariés ou plus, contre seulement 33,9% de celles de 10 à 49 salariés.

- les petites entreprises ont plus souvent recours aux heures supplémentaires rémunérées lorsque des heures sont effectuées au-delà de la durée légale du travail [

- les secteurs de la fabrication de matériels de transport (avec 76,1% des entreprises) ainsi que de l’information et la communication (71,3%) sont les plus concernés. Dans ces secteurs, la part de cadres est supérieure à la moyenne , ces derniers disposant en moyenne de plus de RTT que les autres salariés .

 

Par ailleurs, une minorité de salariés titulaires d’un compte épargne-temps:

- 8,6% déclarent que leurs salariés accèdent à un compte épargne-temps (CET)

- et seulement 3,4% affirment appliquer à titre principal un cycle hebdomadaire de travail inférieur à cinq jours.

 

La Dares souligne également qu'un rythme hebdomadaire de travail inférieur à cinq jours est moins rare dans les entreprises de moins de 50 salariés....

 

 

 

(1) DARES Comment les entreprises du secteur privé aménagent-elles le temps de travail ?
https://dares.travail-emploi.gouv.fr/.../Dares_DF_Temps de travail.pdf

A lire aussi: 

(2) DARES La durée individuelle du travail
https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/la-duree-individuelle-du-travail

Pour nourrir les réflexions...

 

Dans son livre Jour Off, publié chez Valeur ajoutée Editions, Julien Le Corre, entrepreneur dans la communication,  revient sur son expérience de la semaine de quatre jours.

 

La semaine de 4 jours?? Il l'a testée.... Et il en est revenu – mais pas entier.  

 

En 2020, en pleine crise sanitaire, cet entrepreneur décide de passer l'ensemble de ses vingt collaborateurs à la semaine de quatre jours, sans réduction de salaire.

Dans son esprit, c'est le futur du travail, la formule idéale pour améliorer la qualité de vie de ses salariés, la productivité et l'attractivité de son entreprise.

Dix-huit mois plus tard, il arrête l'expérience en catastrophe. Le chiffre d'affaires a été divisé par deux, les clients sont partis, la cohésion d'équipe a volé en éclats.

L'entreprise est placée en liquidation judiciaire quelques mois plus tard.  

 

Avec lucidité et humour, Julien Le Corre dresse un bilan sans concession de cette aventure et définit des pistes pour mettre en place la semaine de 4 jours - sans y laisser sa boîte. Tout en tenant de répondre à la question du siècle : le travail a-t-il encore un avenir ?