Organisations
La médiation, une réponse à la diversité et à la complexité des conflits vécus au sein des CSE
Les syndicats ont dû faire face à de profondes mutations.
La période actuelle est caractérisée par de profonds changements (disparition des bastions industriels, montée en puissance des activités de service, loi sur la modernisation sociale, ubérisation de la société, crise sanitaire, nouvelles formes de gouvernance...) qui ont affaibli la présence syndicale dans les entreprises et plus encore « redistribué » les rôles.
Alors que les changements technologiques transformaient la nature des collectifs de travail, les nouveaux modes de management et de communication dans les entreprises, coïncidant avec une réduction de la population ouvrière, ont entraîné une individualisation croissante des relations du travail (entretien annuel d’évaluation, méthodes de gestion favorisant l’accroissement de la compétition interne…).
Dans le même temps, les actions collectives, sources de solidarité et de coopération, se sont réduites et cette évolution des organisations a engendré à la fois de la souffrance au travail et davantage de conflits.
Par ailleurs, les syndicats ont longtemps été à même, dans un contexte économique qui restait stable, d’infléchir la subordination issue du contrat de travail. Aujourd’hui, dans un contexte économique où l’incertitude domine et où la précarité s’est installée, ils peinent à maintenir les acquis.
La loi du 20 août 2008 portant sur la représentativité et ayant mis fin à la présomption de représentativité irréfragable des syndicats est également à l’origine de profondes mutations. La légitimité des syndicats n’est en effet depuis lors plus « fabriquée » par l’Etat ; elle doit se construire par les syndicats eux-mêmes ce qui a entrainé une recomposition du paysage syndical, autre source potentielle de tensions et conflits.
La représentativité syndicale est devenue un enjeu constant. En conséquence, l’audience électorale n’est plus seulement un élément de mesure de l’influence du syndicat, elle est devenue cruciale, puisque la représentativité se rejoue à chaque élection.
Cet état de fait plonge les acteurs sociaux dans une concurrence exacerbée, les obligeant désormais non seulement à promouvoir leurs actions mais également à faire reconnaitre leur légitimité, ce qui crée une pression inévitable.
Enfin, les ordonnances Macron de 2017 sur la fusion des institutions représentatives du personnel ont entraîné la disparition des CHSCT et des DP, avec notamment deux conséquences : la diminution du temps consacré à la prévention primaire (commissions CSSCT au lieu d’une instance siégeant régulièrement) et le report de la défense du salarié sur les élus du CSE, occasionnant davantage de complexité et une surcharge du travail.
Face à ces mutations profondes, les représentants syndicaux ont vu leurs rôles « chamboulés », leurs missions évoluer, leurs postures modifiées.
La nécessité pour les instances syndicales d’avoir le sentiment de « maîtriser » les choses dans la valse du changement, fait reposer inévitablement sur leurs épaules d’élus des enjeux et des sujets nombreux et importants.
Au-delà du traditionnel « rapport de force », il est devenu notamment indispensable pour eux de développer leurs propres compétences pour jouer leur rôle de représentants de manière efficiente afin de négocier des éléments devenus davantage qualitatifs (et non plus seulement quantitatifs) et pouvoir répondre aux attentes de plus en plus diversifiées des salariés.
Ces nombreux paramètres qui interagissent, cumulés à la nécessité de créer sa légitimité pour exister, proposer, agir, être entendu…. impactent fortement les relations entre les différents acteurs et créent un climat propice aux liens conflictuels et aux tensions.
Quelques exemples types de situations de conflits impliquant les CSE
Du fait de cette évolution et de la complexification de l’environnement des CSE, nous avons pu observer, à travers les médiations réalisées, des objets de conflits et enjeux souvent identiques quels que soient la taille, la forme ou encore les domaines d’activité de l’organisation à laquelle ils appartiennent (entreprise, association etc…) :
- de nombreux conflits émergent de façon logique des recompositions du paysage syndical (issues de la fin de la présomption irréfragable de représentativité) entre des syndicats issus des urnes devenus majoritaires et des syndicats historiquement installés, remettant en question pour ces derniers leurs pratiques, habitudes, manière d’exercer leur mandat et parfois leurs relations instaurées de longue date avec la direction.
- certains conflits traduisent l’implication et la qualification grandissante des élus dans l’exercice de leurs missions, allant parfois jusqu’à des formes de « sacerdoce », avec des difficultés à trouver les limites de leurs rôles et la juste place de chacun. Il est ainsi fréquent que les conflits ne reflètent pas des désaccords « inter-syndicaux » mais davantage des tensions interpersonnelles avec un besoin pour chacun trouver sa place et fixer des limites (rôle des secrétaires, trésorier etc…).
- les conflits traduisent aussi souvent l’interdépendance complexe entre le mandat et la relation de travail, certains élus pouvant travailler dans la même équipe, avoir des liens hiérarchiques au sein de l’entreprise. Il peut être dans ce cas difficile de faire la part de choses et discerner clairement ce qui relève des conflits liés aux mandats et à la sphère du travail, les uns ayant nécessairement un impact sur les autres.
- les conflits se sont également multiplié entre les élus du CSE et les directions. En effet, les profondes mutations décrites ci-dessus ont affecté les élus mais aussi les directions. Celles-ci, rompues aux rapports de force traditionnels avec les syndicats, peuvent se trouver en revanche déstabilisées par la multiplication des conflits interpersonnels et inter-syndicaux se traduisant notamment par un besoin accru de cadrage et de régulation (notamment lors des réunions des CSE).
- lorsque les difficultés concernent les élus eux-mêmes dans leurs relations interpersonnelles ou dans l’exercice de leurs mandats vis-à-vis de la direction, il est souvent de surcroit difficile d’actionner les outils de prévention des risques psycho-sociaux (tels que alertes, enquêtes, danger grave et imminent…). En effet, dans ces situations, les modalités de conduite des enquêtes sont elles-mêmes sources de tensions et occasionnent d’autres conflits : qui diligente l’enquête conjointe, qui est entendu comme témoin ? Quelles garanties de neutralité ? etc…
Face à ces enjeux et nouveaux terrains de conflits, les dispositifs de régulation et les espaces de discussion, quels qu’ils soient, en interne ou externe, sont devenus indispensables.
En effet, la complexité des situations exige de pouvoir à un moment ou un autre mettre des mots sur ce que chacun a vécu, prendre conscience des évolutions et parfois des transformations traversées, accéder à une compréhension individuelle et collective des difficultés rencontrées et trouver des réponses qui conviennent à tous. Pour que ces échanges soient constructifs, le cadre du dialogue doit être sécurisé par un tiers impartial, neutre et formé. Il est aussi souhaitable qu’ils se déroulent dans un espace confidentiel, ce qui permet souvent aux participants de s’affranchir des rôles affichés vis-à-vis de l’extérieur et de pouvoir s’exprimer plus librement.
Aussi, quand la situation est particulièrement complexe et/ou les tentatives de résolution interne ont échoué, le recours à la médiation répond clairement à ces enjeux et permet aux élus et direction de sortir de situations de blocages par le haut.
Article rédigé par Farida Goyet, Sylvie Morel-Vailhen et Isabelle Lacour
Membres du Réseau des Médiateurs en Entreprise
Article écrit dans le cadre de la semaine de la médiation du 11 au 18 octobre 2024
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