Information, désinformation, surinformation : Plus que jamais, un vrai sujet !
Au-delà des canaux traditionnels, nous croulons désormais sous l’information par la diversité de médias de toutes sortes interposés, qui ouvrent la voie plus que jamais, au nom de la liberté d’expression – et notamment avec le développement de l’IA et l’influence des réseaux sociaux – à la multiplication des fake-news , à la manipulation des esprits , et donc aux complotistes de tous poils avec les menaces évidentes à terme sur nos démocraties.
Ces dernier mois les études et les réflexions se sont multipliées sur cette thématique d’importance et les observations réalisées méritent d’être soulignées pour mieux en tirer les enseignements nécessaires dans la période plutôt préoccupante que nous traversons …
Pour n’en citer que quelques unes réalisées en 2024, rappelons tout d’abord :
La grande consultation citoyenne lancée par le Conseil Economique, Social et environnemental (CESE) dans le cadre des Etat Généraux de l’information évoquée dans les colonnes de Miroir Social.
Comment construire une information qui renforce la démocratie ?
Pour mémoire, une centaine de citoyennes et citoyens tirés au sort ont travaillé pendant deux week-ends, les 27 & 28 janvier puis 3 & 4 février 2024, lors des journées délibératives des États généraux de l’information sur la question « Comment construire une information qui renforce la démocratie ? »
Cette contribution citoyenne remise au délégué général des EGI début février (cf: https://www.miroirsocial.com/participatif/comment-construire-une-information-qui-renforce-la-democratie ) est venue nourrir et enrichir les réflexions des groupes de travail et du comité de pilotage des Etats Généraux.
Le rapport en question était articulé autour de 5 rapports thématiques :
- Comment la technologie change-t-elle notre rapport à l’information ? La technologie a d’ores et déjà transformé notre relation à l’information. Avec l’ère numérique, l’information se répand toujours plus rapidement et massivement tout en interrogeant sur sa fiabilité et son influence sur l’opinion publique, en raison du risque de manipulation. Comment la technologie peut-elle être utilisée pour renforcer la démocratie plutôt que la menacer ?
- Comment restaurer la confiance envers les médias ? La méfiance croissante envers les médias est un enjeu majeur. Les accusations de manque de déontologie à l’encontre de certains journalistes et de diffusion de fausses nouvelles ont érodé la confiance des citoyennes et États Généraux de l’Information .Quelles solutions peuvent être imaginées pour restaurer cette confiance et garantir une information fiable et impartiale ?
- Qui doit payer pour une information de qualité ? La question du financement est cruciale pour assurer une information de qualité. Avec la diminution des revenus publicitaires et la montée des contenus gratuits en ligne, les médias sont amenés à réinventer un modèle économique leur permettant de financer et produire des informations rigoureuses et approfondies. Entre l’État, les aides publiques, les financements indépendants et les grands acteurs privés, comment imaginer un ou des nouveaux modèles pour financer les producteurs d’information ?
- Comment lutter contre les manipulations de l’information ? La production d’information est un processus pour lequel chaque étape est importante et devrait pouvoir être retracée. Cette traçabilité de l’information semble essentielle pour vérifier son origine et sa fiabilité. Dans un monde où les informations peuvent être manipulées ou sorties de leur contexte, voire faire l’objet d’ingérences étrangères, quelles méthodes pouvons-nous mettre en place pour assurer la transparence, la traçabilité et l’authenticité de l’information ? Comment éduquer les publics aux médias tout au long de la vie afin de leur permettre d’identifier les manipulations de l’information ?
- Quelle régulation efficace pour les médias traditionnels comme pour les nouveaux acteurs ? Depuis la transition numérique, de nouveaux acteurs sont apparus et produisent de l’information : les plateformes numériques, les réseaux sociaux, les créateurs de contenus… Aujourd’hui, ils ne sont peu, voire pas régulés, à l’inverse des médias traditionnels : les journaux, les chaînes télévisées, la radio, les afficheurs… Quelles règles mettre en place pour ces nouveaux entrants qui ne répondent pas aux mêmes contraintes que les médias traditionnels ? Et à quelle échelle intervenir (nationale, européenne, mondiale) ?
Autant de questions qui ouvrent un vaste champ de débat et de réflexion sur le rôle de l’information dans une démocratie et qui interpellent autant les professionnels des médias, les décideurs politiques, que chaque citoyenne et citoyen.
PROTÉGER ET DÉVELOPPER LE DROIT À L’INFORMATION : UNE URGENCE DÉMOCRATIQUE
Finalement la restitution de ces États généraux de l’information a eu lieu le jeudi 12 septembre 2024 au CESE, en présence des membres des EGI, des citoyens ayant participé aux consultations et de l’ensemble des parties prenantes.
Le titre du rapport : « PROTÉGER ET DÉVELOPPER LE DROIT À L’INFORMATION : UNE URGENCE DÉMOCRATIQUE » donne la tonalité des conclusions unanimes : « l’espace informationnel, aujourd’hui menacé, doit à tout prix être préservé au nom de la démocratie » ( Cf :Le rapport des États généraux de l’information file:///C:/Users/Home/Downloads/EGI_RAPPORT_DE_PILOTAGE-1%20(1).pdf)
Il insiste sur le fait qu’il est urgent d’intervenir pour prévenir une dégradation de la qualité de l’information.
Au-delà des constats, se sont dégagées :
• neuf propositions pour préserver l’espace public français ;
• six propositions pour contribuer à la construction de l’espace public européen ;
• et deux recommandations aux professionnels de l’information
Pour l’essentiel on notera la nécessité de :
-Faire de l’éducation à l’esprit critique et aux médias à l’école une priorité
-Neutraliser la désinformation par une sensibilisation préventive à grande échelle (pre-bunking)
– Étendre la qualité de société à mission aux entreprises d’information
-Améliorer la gouvernance des médias d’information
-Renforcer la protection du secret des sources et légiférer contre les procédures- bâillons -Proposer une labellisation volontaire des « influenceurs d’information »
-Créer une nouvelle responsabilité : la responsabilité démocratique
-Redistribuer une partie de la richesse captée par les fournisseurs de services numériques en faveur de l’information
-Assurer le pluralisme des médias dans le cadre des opérations de concentration
La nécessité d’une construction d’un espace public européen est également soulignée..afin de :
-Instaurer un pluralisme effectif des algorithmes
-Rendre le marché de l’intermédiation publicitaire en ligne plus concurrentiel pour permettre un partage de la valeur équilibré
-Instaurer une garantie d’affichage loyal des contenus d’information par les très grandes plateformes
-Rendre effectives les responsabilités des grandes plateformes dans la lutte contre la désinformation et le cyberharcèlement en préparant un « acte II » du Règlement sur les services numériques (DSA)
– Consolider une politique de lutte contre la désinformation à l’échelle européenne
De son côté la Fondation Jean Jaurès a publié ces dernières semaines plusieurs études qui apportent un intéressant éclairage sur le sujet.
On pourra notamment lire avec intérêt celles sur : Le regard des français sur la lutte contre la désinformation
https://www.jean-jaures.org/publication/regard-des-francais-sur-la-lutte-contre-la-desinformation/
La désinformation en ligne est devenue un enjeu majeur de nos sociétés depuis ces dernières années. Un grand nombre d’études publiées en France et ailleurs dans l’Union européenne montrent une forte inquiétude des opinions publiques à l’égard des effets de la désinformation et le développement des fake-news, contre lesquels il n’est pas évident de se battre…
La note de la Fondation Jean Jaurès montre, à travers une nouvelle étude de —– Verian (ex-Kantar Public), Guillaume Caline, directeur Enjeux publics et opinion chez Verian, et Laurence Vardaxoglou, doctorant à l’Université Paris 1 et l’École d’économie de Paris et directeur d’études chez Verian —– que les moyens développés pour lutter contre la désinformation interrogent les Français et pourraient s’avérer même contre-productive.
Ainsi, selon l’étude en question, si 56% des Français portent un regard a priori bienveillant sur les fact-checkeurs et les trouvent en effet « utiles car ils aident les citoyens à éviter de croire à de fausses informations »….. qualifier des points de vue comme de la « désinformation » serait perçu par 55% de Français comme une tentative de mettre fin au débat.
Il est donc crucial et urgent d’agir pour limiter la propagation de la désinformation sur les réseaux dits « sociaux » et aider les individus à mieux distinguer le vrai du faux afin de préserver la bonne santé de nos sociétés démocratiques.
– La Fatigue informationnelle : une nouvelle forme de pénibilité au travail
https://www.jean-jaures.org/publication/la-fatigue-informationnelle-une-nouvelle-forme-de-penibilite-au-travail/
Dans cette note la Fondation Jean Jaurès observe qu’avec le développement des technologies numériques, une « fatigue informationnelle » émerge chez les actifs qui font face à un trop-plein d’informations.
Quelles en sont les conséquences sur leur façon de vivre leur travail ?
S’appuyant sur la deuxième vague de l’enquête sur la fatigue informationnelle, Sébastien Boulonne, Guénaëlle Gault et David Médioni montrent qu’il est urgent de repenser collectivement nos méthodes de travail et notre définition même du progrès et du bien-être professionnel.
- De la fatigue informationnelle à la fatigue existentielle des médias grand public
À l’occasion de la publication de la deuxième vague de l’enquête sur la fatigue informationnelle, Fabrice Février, membre de l’Observatoire des médias de la Fondation Jean-Jaurès, analyse dans cette note la place que les Américains font aujourd’hui aux médias traditionnels.
Assurément les véritables perdants des élections de 2024, ces médias subissent la concurrence des géants du numérique.
Et , à l’évidence, la France n’est pas à l’abri du même phénomène, avec en toile de fond le pitoyable spectacle affligeant et inquiétant que nous offrent depuis des mois nos parlementaires et responsables politiques de tous bords.. (cf : https://www.jean-jaures.org/publication/comment-retrouver-de-la-confiance-dans-le-debat-public/)
Un exode informationnel
Selon ces enquêtes, les Français sont des millions à fuir un écosystème médiatique saturé d’informations répétitives, anxiogènes et conflictuelles. Les résultats de cette seconde enquête confirment les tendances déjà observée en juin :
- Un niveau de fatigue informationnelle élévé et qui s’installe durablement
- Un trop plein de mêmes informations générateur de stress
- Une véritable difficulté à s’informer correctement
- Un découragement face à l’actualité qui gagne du terrain
- Un retrait de l’information…par une recul significatif de la pluralité des canaux d’information utilisés quotidiennement
- Une propension à polémiquer sur les réseaux sociaux pour 1 français sur 5
- Un rejet global de la « politique politicienne »…avec ses conséquences prévisibles : 23% des français présentent un score élevé de populisme et une propension au développement des théories du complot
..tous ces éléments étant intéressants à analyser plus en détails selon les typologies observées par cette étude (et leurs évolutions par rapport à 2022), qui distingue de façon plus approfondie :
- Les submergés : 39% ( +5pts)
- Les défiants : 18% (=)
- Les détachés : 23% (+3 pts)
- Les boulimiques : 12% (-5pts)
- Et..les traditionnels : 8% (-3pts)
Cet exode progressif, momentané (ou plus pérenne ?) constaté pose un problème démocratique, dans la mesure où l’information est censée contribuer à l’émancipation de chacun. (-cf : https://www.jean-jaures.org/publication/lexode-informationnel/)
Plus que jamais, il devient donc nécessaire d’explorer des pistes pour réengager les citoyens dans un rapport plus sain, plus constructif avec l’information…pas évident avec la saturation fournie par les chaines d’information en continue…
En complément, voir :https://www.jean-jaures.org/videos-podcasts/les-francais-fuient-ils-les-medias-traditionnels/
Les résultats complets de l’enquête :
https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2024/12/Enquete_FatigueInfo_2.pdf
Quand le Web favorise la fabrique du mensonge …
Alors que la lutte contre les fake news est devenue un enjeu pour le modèle démocratique, une série documentaire de France Télévisions démonte la mécanique qui favorise leur prolifération. Sandra Déraillot, journaliste à l’InFOmilitante s’est penchée sur cette série intéressante .
Comment naissent et se propagent les fausses informations ?
Depuis 2019, une série documentaire de France Télévisions s’intéresse à ce phénomène et à son impact sur nos sociétés.
Déjà dix-huit films sont à son actif, parmi lesquels quatre sont disponibles intégralement en replay.
Chacun décortique autour d’un mensonge principal un contexte socio-politique et les éléments qui transforment une fausse information vouée à être démentie en une quasi-vérité pour un nombre non négligeable de citoyens.
L’épisode consacré au Brexit illustre parfaitement la méthode.
La fausse information ? Le Royaume-Uni verserait chaque semaine 350 millions de livres sterling à l’Union européenne (alors que cette somme pourrait être utilisée pour financer le système de santé britannique). Une assertion au cœur de la campagne en ligne pour le Brexit, surfant sur le Web et des outils technologiques de micro-ciblage, qui a joué un rôle considérable dans le résultat du référendum.
Un autre documentaire (disponible seulement jusqu’au 23 décembre) se penche lui sur plusieurs rumeurs concernant la conquête de l’espace :
– les Américains n’auraient jamais marché sur la Lune,
– la Terre serait plate
– et les extra-terrestres seraient déjà parmi nous.
L’assertion, aujourd’hui scientifiquement démentie, selon laquelle le vaccin ROR serait à l’origine de l’autisme est au cœur d’un troisième film.
Enfin, la dernière campagne présidentielle américaine fournit la matière du dernier épisode, qui montre l’usage massif de l’intelligence artificielle pour générer de fausses images et discours attribués à la candidate démocrate, voire à l’adversaire républicain lors des primaires.
Le Web, terreau fertile mais pas seulement
Ces idées farfelues, même les plus anciennes, ont ressurgi et se sont épanouies à la faveur du développement d’Internet et des réseaux sociaux, et de la perte de confiance dans les institutions établies. Ces démonstrations, dont certaines sont intégrées au contenu multimédia éducatif (gratuit) Lumni, porté par France Télévisions, gagnent évidemment à être largement diffusées.
Voir en ligne : « La Fabrique du mensonge ». Disponible en replay
« La Fabrique du mensonge », série documentaire initiée par Félix Suffert-Lopez (Together Media) et Jacques Aragones (TV Presse), réalisée par Arnaud Lievin et Elsa Guiol.
Finalement, à force de vouloir tout commenter en privilégiant l’immédiateté et la recherche du buzz sous un flot d’informations (plus ou moins vérifiées) le plus souvent anxiogènes (et éventuellement contradictoires), de micro-trottoirs plus ou moins orientés, de reportages «exclusifs », de couvertures d’évènements « exceptionnels » >…. pas surprenant que les français avouent aujourd’hui être fatigués de cette approche des choses, qui, plutôt que d’informer, plonge le monde dans une grande confusion , plus aucune place n’étant laissée au sens de la mesure, de l’objectivité et de la réflexion .
La prolifération des informations ainsi distillées sous un registre privilégiant l’émotionnel et le spectaculaire ne permet plus, de fait, aucune discussion sérieuse et documentée à partir des faits pour nourrir une réflexion positive… et au bout du compte, à partir de présentations souvent binaires, le ressenti à partir duquel chacun a le sentiment de détenir sa vérité l’emporte sur le débat collectif..et constructif qui serait plus que jamais nécessaire dans le contexte actuel.
Il devient donc urgent d’apporter des réponses aux nombreux questionnements qui se posent…
Il en va de la capacité des citoyens à faire des choix véritablement éclairés..et de l’avenir de nos démocraties !