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16 / 07 / 2024 | 34 vues
Fabien Brisard / Abonné
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« Dépenses sociales » : quand l’état n’est plus providence

Bruno Coquet, Président de UNO – Études & Conseil, économiste et membre du Comité directeur du CRAPS nous livre ses réflexions...


La manière dont sont nommées les choses est rarement sans conséquence : depuis que le quoi qu’il en coûte s’est mué en crise des finances publiques, les « dépenses sociales » sont souvent désignées comme coupable idéal. Sous les traits d’une évidence, celles-ci sont en réalité un concept valise, chargé d’ambiguïtés, qui renvoie spontanément à la solidarité, la bienveillance, mais qui insinue aussi le privilège ou l’abus, le glissement du bénéficiaire vers l’assisté, voire le profiteur.

 

Cette métonymie par laquelle des indemnités d’assurance sociale deviennent dépenses de Protection sociale, puis des « dépenses sociales », et finalement des « avantages » sociaux dénature profondément la Sécurité sociale bâtie après-guerre, et avec elle notre contrat social.

 

MÉTONYMIE DES DÉPENSES SOCIALES

 

Une frontière poreuse partage les dépenses sociales entre d’un côté les assurances contributives, de l’autre la redistribution solidaire :
 

– Du point de vue des assurances, le tracé n’est pas net car si elles sont par nature solidaires, toutes ne sont pas complètement contributives (santé) et elles peuvent aussi être redistributives par effet (chômage), ou par objet (retraites). Il est en revanche très clair que les contributions aux assurances sociales se substituent à la constitution d’une épargne de précaution, ce qui permet entre autres de couvrir les personnes qui n’auraient pas les moyens de se constituer une telle épargne.

– Du point de vue de la redistribution, la frontière est discrétionnaire. Elle se déplace par nécessité (démographie), au motif d’une gouvernance ou d’une gestion défaillantes, par opportunisme (budgétaire) ou même par idéologie. Les droits sociaux deviennent alors conditionnels, contingents, les contributions deviennent des impôts : la redistribution n’assure pas car elle ne garantit rien lorsque les risques surviennent. La frontière ad-hoc de la redistribution crée de l’incertitude, car face à un même risque certains seront couverts, d’autres pas, bien que tous sont taxés. Par prudence, ceux qui le peuvent doivent en revenir à constituer, en plus, une épargne de précaution… au cas où.

L’État redistributif a planté son drapeau toujours plus loin à l’intérieur du territoire des assurances sociales, santé, retraites et dernièrement chômage. Ces nationalisations n’ont amélioré ni la gouvernance ni l’efficience des différents régimes de Protection sociale et ont parfois détérioré leurs finances. Pourtant l’État, comme s’il n’était qu’observateur, invoque toujours les mêmes arguments pour conquérir toujours plus de ressources.

 

PLUS D’IMPÔTS MOINS DE DROITS

 

À montrer ainsi du doigt les dépenses sociales, on en viendrait à oublier l’essentiel, qui, il est vrai, reste largement non-dit : elles sont financées par des recettes sociales dédiées. Comme le souligne l’INSEE dans la dernière édition des comptes nationaux, « les administrations de Sécurité sociale accroissent leur excédent », si bien que seulement 8,5% de la dette publique provient des administrations de Sécurité sociale1, alors que les dépenses sociales représentent un quart du PIB (environ 700 milliards d’euros pour les trois principaux risques, vieillesse et chômage). Des réformes étaient nécessaires, il y en a eu, il y en aura encore, mais en elle-même la grosseur des dépenses sociales ne prouve en rien qu’elles soient généreuses, ou inefficaces.

 

L’entreprise de nationalisation ne rogne pas seulement les dépenses mais aussi les ressources des assurances sociales :

– D’une part en évinçant les cotisations au profit de « contributions » : par exemple la création de la CSG relevait du bon sens et de bonnes intentions, mais son statut fiscal est aujourd’hui utilisé pour effacer sa nature contributive, et la substitution de la CSG à la cotisation salariale d’assurance chômage en 2018 va encore plus loin en ce sens ; autre exemple, les allégements de cotisations sociales sur les bas salaires qui diluent le prix des assurances sociales et amoindrissent aussi la contributivité.

– D’autre part le recouvrement des cotisations, passé des caisses d’assurance vers l’Urssaf : mesure de simplification et de bonne gestion là aussi, ce circuit donne la main à l’État sur les flux financiers qui reviennent aux caisses d’assurance, lui donnant toute latitude pour prélever son écot, ce dont il use abondamment (les ponctions dans la caisse d’assurance chômage, et la tentative pour l’heure infructueuse sur les retraites complémentaires).

Cette bascule vers l’impôt rend elle aussi les contreparties plus incertaines. Comme l’affirmait le Président en 2018 à propos de l’assurance chômage « plus du tout financée par les cotisations des salariés » mais « par la CSG », « il faut en tirer toutes les conséquences ». Et l’intention est alors clairement revendiquée : « il n’y a plus un droit […] il y a l’accès à un droit qu’offre la société mais sur lequel on ne s’est pas garanti à titre individuel, puisque tous les contribuables l’ont payé ». À méditer…

Noyer les assurances sociales dans le bouillon budgétaire présente l’intérêt que les recettes des assurances sociales sont maintenues, voire augmentées au motif de difficultés financières, tout en étant de moins en moins affectées aux assurances sociales que les assurés croient financer (leur épargne de précaution) et de plus en plus à des dépenses budgétaires ordinaires. Les assurances sociales n’ont pas fait faillite, elles ont bien été nationalisées.

 

LE CONTRAT SOCIAL MINÉ PAR LA CAVALERIE BUDGÉTAIRE

 

L’édifice des assurances sociales est fragilisé pour de mauvaises raisons. Le contrat social est profondément transformé par des avenants dont chacun paraîtrait anodin si leur somme ne finissait par faire sens. Cette transformation est unilatérale, et ne résulte d’aucune demande sociale ; jamais proposée ni annoncée, mais bien revendiquée une fois réalisée. Comment penser qu’un contrat social ainsi dénaturé suscite adhésion et concorde lorsque les assurés sociaux en expérimentent les conséquences concrètes ?

 

Si à l’origine l’objectif n’était pas budgétaire, il l’est sans conteste devenu. Que des réformes des assurances sociales fussent nécessaires ne fait aucun doute, mais elles n’imposaient pas la nationalisation, ni surtout une telle cavalerie budgétaire.

 

En mettant dans le même sac assurances sociales, redistribution et d’autres dépenses publiques à caractère social, le concept de dépenses sociales enfonce l’ensemble de la politique budgétaire dans une impasse. D’une part, les motivations et les attendus des réformes nécessaires des assurances sociales se trouvent biaisés, et le prix réel de la Protection sociale est occulté, ce qui nuit à la vertu des comportements. D’autre part, les autres dépenses publiques sont mises sous le tapis, non-évaluées, non-discutées, d’autant qu’elles donnent l’illusion de pouvoir survivre à leur inefficacité grâce aux ponctions réalisées sur les assurance sociales, formant un trou noir qui ne cesse de grossir, engloutissant instantanément toute les économies obtenue aux dépens des assurances sociales.

 

Touiller ce magma ne mène à rien. Il faut au contraire séparer les problèmes, afin de trouver une solution idoine pour chacun :

– Globalement les assurances sociales fonctionnent, car elles s’appuient sur des contrats collectifs explicites et des cotisations pour lesquelles le consentement des assurés est bien plus fort que celui des citoyens à l’impôt. Tirant parti de cette légitimité, la bonne gestion consisterait à les isoler une à une pour équilibrer en toute transparence les recettes, dépenses, et le contrat collectif auquel elles sont adossées.

– Les transferts de ressources de ces assurances vers le budget de l’État étant rompus, une revue sérieuse de toutes les autres dépenses publiques et des prélèvements obligatoires qui les financent s’impose afin d’en expliciter les objectifs et l’efficience, un défi qui évidemment risque de confronter l’État à des choix plus drastiques.

 

Cette clarification est nécessaire pour espérer mettre fin à ce bonneteau budgétaire qui mine notre contrat social, redonner tout leur sens aux assurances sociales et trouver des voies raisonnables pour redresser les finances publiques.

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1. D’autant que cette dette n’est pas le résultat de la « générosité » des prestations, mais parfois seulement d’un transfert de charges de l’État vers un des régimes d’assurance : par exemple de 2008 à 2023, le financement de Pôle Emploi (service public accessible à tous, donc qui devrait être financé par l’impôt) a été imputé à l’Unedic pour 50 milliards d’euros, l’imputation de l’activité partielle (17 milliards d’euros), le financement de l’exception culturelle par transfert de la charge des intermittents du spectacle (17 milliards d’euros), etc. Ces seules écritures comptables expliquent déjà plus d’un tiers de la dette des administrations de Sécurité Sociale.

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Financement de la protection sociale :sens et usages de la contributivité ...le dossier spécial de l'IRES

 

En matière de financement et d’attribution des droits sociaux, la notion de « contributivité », néologisme surtout utilisé en France depuis les années 1980, est souvent présentée comme allant de soi. Sa pertinence est, de fait, très rarement discutée.

Ne l’est pas davantage la conception normative relative aux principes de solidarité que véhicule le recours à cette notion pour organiser les politiques sociales et leur financement.

Le dernier numéro spécial de La Revue de l’IRES vise à apporter plusieurs éclairages et éléments de discussion autour de cette notion de contributivité, ses origines, ses acceptions et ses usages.

 

 

 

Les articles de ce numéro puisent dans l’histoire longue de la construction des différentes prises en charge des risques sociaux : les retraites, l’indemnisation du chômage et les prestations familiales. Il ressort de ces contributions un leitmotiv commun : loin d’être univoque et indiscutable, la notion s’avère polysémique et marquée par une grande plasticité.

On en constate également des usages multiples et fluctuants, qui questionnent les implications en termes d’organisation du financement. Ce terme contribue à occulter d’autres représentations et choix de société, en particulier ceux ayant présidé à la construction de la Sécurité sociale au cœur du XXe siècle.

La question de la pertinence de cette catégorie à la fois technique et normative est donc posée : elle doit être appréhendée avec prudence et ne peut pas constituer pour une société un repère indépassable pour analyser et orienter les mécanismes de solidarité et leur financement.


Ce numéro s’appuie sur une recherche réalisée dans le cadre de l’Agence d’objectifs de l’IRES pour la CFE-CGC et sur deux apports importants, l’un de Elvire Guillaud et Michaël Zemmour autour de la contributivité dans les assurances sociales, financée par l’EN3S, le HCFiPS et Sciences Po, l’autre de Jacques Freyssinet sur les évolutions de l’indemnisation du chômage en France.

 

Au sommaire de ce numéro spécial: 

 

Réflexions sur la polysémie et la relativité de la notion de contributivité en droit de la protection sociale
Lola ISIDRO
Centrale dans le champ de la protection sociale, la contributivité reste une notion peu étudiée en droit. L’analyse des références à la notion et des usages qui en sont faits en droit de la protection sociale aussi bien interne, européen qu’international révèle la polysémie et la grande relativité de la notion de contributivité. Au niveau...

 

 

Éclairages historiques et économiques sur la contributivité
Pierre CONCIALDI
La notion de contributivité soulève deux questions majeures qui tiennent à la façon dont sont répartis respectivement les prélèvements et les dépenses qu’ils financent. À partir d’éclairages historiques, la première partie de l’article illustre la façon dont ces deux questions normatives ont été abordées en soulignant, dans le...

 

 

Les trois dimensions de la contributivité dans les assurances sociales contemporaines
Elvire GUILLAUD et Michaël ZEMMOUR
La notion de contributivité est centrale dans les réflexions autour de la protection sociale mais son sens et sa définition varient selon les contextes. Après un inventaire raisonné des usages du terme de contributivité dans le champ des politiques publiques et dans la littérature économique, nous proposons une définition positive et...

 

 

La problématique de la contributivité dans l’indemnisation du chômage
Jacques FREYSSINET
La question de la contributivité n’est pas au centre de l’histoire de l’indemnisation du chômage. Les débats principaux ont porté sur d’autres enjeux avec d’autres concepts. Cependant, à certains moments, certains acteurs ou certains experts ont mobilisé le registre de la contributivité pour justifier des propositions de réforme tantôt au...

 

 

Une pluralité d’usages de la contributivité des retraites par les acteurs syndicaux, patronaux et administratifs (années 1970-1990)
Ilias NAJI
La contributivité est une notion souvent utilisée pour tracer une frontière entre prestations contributives et prestations non contributives. À travers cette notion et son usage par les acteurs, il est possible de relire certaines évolutions du système de retraites. Après avoir proposé une mise en perspective historique des retraites et de la...

 

 

Les prestations familiales et leur financement jusqu’aux années 1940 : construction d’une assurance sociale singulière
Antoine MATH
Revisiter l’histoire de la mise en place du système des prestations familiales permet de revenir sur son origine salariale et de s’interroger sur sa construction en tant qu’assurance sociale ou encore sur ses dimensions contributives. Ce détour montre qu’il n’est pas incohérent de financer des prestations familiales par des...

 

 

L’évolution de la politique familiale depuis 1950 revisitée à travers le rôle joué par son financement
Antoine MATH
L’évolution du système des prestations familiales depuis 1950 est réexaminée à travers le rôle joué par son financement, et en particulier l’importance de recettes dynamiques affectées à un budget autonome générant des excédents comptables. Trois grandes périodes peuvent être distinguées à travers la façon dont les excédents de...

 

 

 

La Revue de l’IRES, créée en 1989, est une revue pluridisciplinaire publiée par l’Institut de Recherches Economiques et Sociales, IRES. Elle est destinée à nourrir la connaissance dans les domaines intéressant les organisations syndicales : marché du travail et politiques d’emploi, politique économique, revenus et protection sociale, conditions de travail et activité de travail, formes de rémunération et de gestion des salariés, relations professionnelles, mutations du travail.
S’adressant aux chercheurs, praticiens et experts de différentes disciplines (droit, économie, gestion, histoire, sociologie, sciences politiques),
La Revue de l’IRES porte une attention particulière aux articles novateurs issus d’enquêtes empiriques ou mobilisant une méthodologie originale, ainsi qu’aux éclairages comparatifs internationaux.