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04 / 06 / 2020 | 721 vues
Marc Malenfer / Membre
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Comment les techs transforment le travail et pourquoi l’accélération actuelle n’est pas une bonne nouvelle pour les travailleurs

Ils sont clairement les grands gagnants de la crise du coronavirus dont ils vont ressortir plus forts que jamais. Ils, ce sont les géants du numérique, au premier rang desquels figurent les fameux GAFAM (Google Apple Facebook Amazon et Microsoft), mais aussi leurs homologues chinois les BATX (Baidu Alibaba Tencent et Xiaomi). Dans ce combat de titans, aucune entreprise européenne n’est invitée, les premiers occupant sur le vieux continent des positions ultra dominantes que seuls les seconds semblent être en mesure de pouvoir venir contester un jour.
 

La crise du SARS-Cov-2, et surtout le confinement qu’elle a imposé au monde entier pendant de longues semaines ont agi pour ces entreprises comme un catalyseur, boostant leur business model et leur hégémonie économique [1]. «Nous avons vu l'équivalent de deux années de transformation numérique en deux mois», s'est ainsi réjoui Satya Nadella, le directeur général de Microsoft dont les derniers résultats trimestriels révèlent un chiffre d'affaires en hausse de 15% en un an atteignant 35 milliards de dollars et un bénéfice ayant progressé de 22%, à 10,8 milliards de dollars [2]. Autre exemple, la capitalisation boursière d’Amazon atteint des sommets, à 1.140 milliards de dollars, en augmentation de 24 % depuis le début de l'année. Pour sa part, avec 83 milliard de dollars sur son compte en banque, Apple appréhende les mois qui viennent avec une certaine sérénité.
 

Les nombreux problèmes que posent les positions ultra hégémoniques de ces entreprises ne sont pas neufs, mais ils vont encore s’accentuer. Alors que les Etats atteignent des niveaux d’endettement record, elles disposent de capacités d’investissement quasiment illimitées leur permettant d’être sans cesse en capacité de tirer profit des innovations technologiques, soit en finançant des travaux de recherche et développement (notamment sur l’Intelligence artificielle), soit en prenant le contrôle de concurrents ayant développé des solutions prometteuses. Ce fut par exemple le cas en 2011 lorsque Microsoft a racheté Skype pour 8,5 milliards de dollars [3] ou en 2014 lorsque Facebook a racheté Whatsapp pour 18 milliards de dollars [4]. La large diffusion de leurs équipements et solutions leur a permis de devenir indispensables dans la vie quotidienne de millions d’utilisateurs, particuliers comme entreprises qui aujourd’hui plus que jamais, ne peuvent plus s’en passer. Communication et divertissement d’abord, actes administratifs et opérations bancaires ensuite et désormais enseignement et médecine, passent par leurs outils, leur conférant une position de force incroyable face à laquelle les pouvoirs publics semblent bien démunis comme en témoigne le récent bras de fer entre le gouvernement français et Apple concernant les conditions d’activation de la fonction Bluetooth des iPhone via l’application Stopcovid [5]. Pour sa part, Google fait régulièrement l’objet de procédures de la part des autorités européennes et américaines qui lui reprochent d’abuser de ses positions dominantes sur certains marchés [6], sans impact majeur sur sa santé économique pour le moment. Quand à Amazon c’est sa pratique défaillante du dialogue social et les conditions de travail dans ses entrepôts qui lui valent des déboires avec la justice et les autorités, aussi bien en France [7] que dans certains Etats américains [8]. On notera qu’en Chine, la collaboration entre les autorités et les géants de la tech est étroite, les premières n’hésitant pas à recourir aux technologies développées par les seconds, ces derniers n’ayant de toute manière pas vraiment le choix [9]...     
 

Quels effets sur l’emploi et le travail ?
 

La question qui nous préoccupe ici est celle des conséquences sur les conditions de travail de cette situation d’hégémonie des multinationales du numérique. Ces effets peuvent déjà être constatés dans de nombreux secteurs d’activités, ils pourraient à l’avenir s’accentuer et s’étendre à de nouveaux domaines. Les technologies et modes d’organisation proposés par ces entreprises semblent en effet être promis à un bel avenir. Certaines permettent depuis de nombreuses années déjà le travail à distance (messageries électroniques, cloud, visioconférences…) et le commerce en ligne (plateformes de mise en relation, outils de référencement, traitement de données permettant le ciblage marketing…). Elles ont déjà transformé l’activité de millions de travailleurs, contribuant notamment à son intensification et à sa fragmentation.  Leurs savoir-faire dans ces domaines, leurs positions dominantes et leur capacités financières placent ces entreprises en position de force dans la situation de crise actuelle pour répondre de manière réactive aux besoins des entreprises et des pouvoirs publics. Dans certains domaines elles sont déjà incontournables.
 

Nous proposons ici de pointer quelques phénomènes déjà à l’œuvre, de les illustrer par des exemples et d’envisager les impacts potentiels qu’aurait leur extension dans une visée prospective.
 

Des premiers de corvée sous l’emprise des TIC
 

La crise actuelle les a à nouveau placés sur le devant de la scène mais leur situation suscite de nombreux débats depuis plusieurs années déjà, les travailleurs « ubérisés », chauffeurs VTC, livreurs de repas à vélos ou livreurs véhiculés, derniers maillons des chaines logistiques du e-commerce. Ils travaillent sous le statut de micro-entrepreneurs et sous la conduite d’un algorithme qui leur attribue des tâches et contrôle leur bonne réalisation via leur smartphone. Comme l’ont rappelé les juges à plusieurs occasions, ces travailleurs ne sont pas réellement indépendants, le lien de subordination les liant aux plateformes qui les emploient étant clairement établi [10].  Dans l’attente d’une éventuelle évolution de leur statut, ces travailleurs, pour beaucoup d’entre eux, n’ont eu d’autre choix que de continuer à travailler pendant le confinement pour essayer de maintenir une part de leurs revenus. Ces premiers de corvée sont également les premiers à expérimenter une prescription algorithmique du travail en l’absence de tout management humain. Ils doivent gérer seuls les injonctions de l’application et la relation avec des clients dont ils sont tributaires pour des notations qui pourront avoir des conséquences sur leur volume d’activité futur [11]. Ce mode d’organisation a permis à certaines plateformes de maintenir leur activité durant le confinement sans pour autant subir les contraintes que fait peser l’obligation de préserver la santé et la sécurité des salariés sur les employeurs classiques. C’est pourquoi ce modèle qui permet via les outils numériques de faire travailler à distance des indépendants pourrait encore se développer à l’avenir s’il n’est pas plus encadré. Des plateformes de ce type existent déjà dans des secteurs comme le second œuvre du BTP ou l’aide à domicile. Et il tend à se répandre, c’est ainsi que l’on a pu observer durant cette crise des enseignes de la grande distribution recourir à des plateformes de jobbing, initialement dédiées aux métiers de la restauration, pour recruter des autoentrepreneurs afin de compléter leurs équipes [12].
 

Dans les entrepôts de la grande distribution et des entreprises de e-commerce, les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) jouent également un rôle de plus en plus important. Ici, les préparateurs de commande ne sont généralement pas des indépendants mais leur travail est également piloté par des outils informatiques qui leur affectent des tâches et contrôlent en permanence leur réalisation et l’atteinte des objectifs de productivité individuels assignés à chacun [13]
 

Du point de vue de la santé et sécurité au travail, ces exemples montrent bien l’importance des changements en train de survenir. La gestion de la préservation de leur santé est supposée revenir aux travailleurs indépendants dont on voit bien dans les exemples donnés ci-dessus qu’ils ne disposent pas des moyens de l’organiser. Techniquement, financièrement (compte tenu de leur faible niveau de rémunération), mais surtout d’un point de vue organisationnel puisque leurs marges de manœuvre par apport aux prescriptions de la plateforme sont quasiment nulles. Ces éléments expliquent en particulier un certain nombre d’accidents graves survenus au cours des dernières années.
 

Dans le deuxième exemple, des études ont montré le caractère inhumain des rythmes imposés dans certains entrepôts logistiques [14]. Ces rythmes sont générateurs d’épuisement physique voire moral, d’une déshumanisation de l’activité gérée uniquement par un algorithme et d’un excès d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Ce qui est en cause en particulier c’est l’intensification du travail qui ne correspond d’ailleurs pas forcément à une meilleure productivité, mais a un effet délétère sur la santé des travailleurs [15].

 

Les cols blancs, des crowdworkers comme les autres ?
 

Si les outils numériques permettent de piloter à distance l’activité de milliers de travailleurs sur des fonctions aussi concrètes que la livraison de repas, ils peuvent bien entendu aussi le faire pour la réalisation de tâches dématérialisées. L’avantage de ces dernières étant qu’elles peuvent être réalisées à distance sans contact avec le client ou le donneur d’ordres, donc de n’importe où, n’importe quand, pourvu que le travailleur soit connecté. Cette pratique du crowdworking a été industrialisée par Amazon, via sa plateforme Amazon Mechanical Turk, qui permet à des entreprises de proposer à des milliers de travailleurs du clic à travers le monde des micro-tâches (faiblement) rémunérées à distance, sans contractualisation. Comme l’a montré Antonio Casilli dans son ouvrage « En attendant les robots »[16], une grande part de ce crowdworking sert à entrainer des IA, voire à réaliser manuellement des tâches dont le destinataire final pense qu’elles sont automatisées. Cette ambiguïté semble totalement assumée par la plateforme de crowdworking française Foule Factory, qui interpelle les clients sur la page d’accueil de son site avec cette proposition : « automatisez vos tâches manuelles les plus laborieuses »[17]. Si l’affectation des tâches est automatisée, le travail lui est bien réalisé par des opérateurs humains qui se connectent à la plateforme à toute heure du jour ou de la nuit. La majorité de cette main d’œuvre est composée de personnes pouvant difficilement accéder à un emploi stable à temps complet pour différentes raisons, chômage important sur leur bassin d’emploi, problèmes de mobilité géographique, contraintes familiales.
 

En plein essor pour la réalisation de micro-tâches à faible valeur ajoutée et déjà bien développé pour certaines professions comptant de nombreux freelance comme le design ou le développement informatique avec des plateformes comme Malt, le crowdworking pourrait-il à l’avenir gagner d’autres emplois notamment ceux occupés actuellement par des cadres des grandes entreprises ? Plusieurs indices laissent penser que cette hypothèse, formulée à l’occasion de précédents travaux de prospective [18] pourrait se confirmer dans un avenir pas si lointain. Il y a tout d’abord l’effet de booster qu’a joué le confinement pour la banalisation du travail à distance. La mise en télétravail d’office de millions de salariés a amené les entreprises à faire évoluer leur approche de la question et à éprouver l’efficacité des différentes solutions proposées par les entreprises du numérique. Elles ont également été confrontées aux difficultés que posent le management à distance et l’exercice de leurs obligations d’employeurs vis-à-vis de salariés travaillant chez eux.
 

Or il est d’ores et déjà possible de parer ces deux écueils via des algorithmes de gestion de projet en mode « flash organization » et la migration des travailleurs du statut de salarié vers celui d’indépendant. Des chercheurs de l’Université Stanford ont ainsi pu démontrer que l’utilisation de la plateforme Foundry permettait de mettre sur le marché rapidement des produits élaborés (application mobile, jeu de société…) de qualité comparable voire supérieure à l’offre élaborée dans des organisations classiques [19]. Son principe de fonctionnement est assez simple, chaque projet commence par la nomination d’un chef de projet et l’élaboration d’un logigramme. À partir d’une première analyse du projet, Foundry scanne des bases de données de recrutement en ligne (comme Upwork) et sollicite automatiquement par voie électronique des travailleurs dont les curriculums vitæ sont cohérents avec les tâches proposées. Ces derniers disposent d’un délai de quelques minutes pour accepter ou refuser la proposition. A l’exception du chef de projet, l’effectif fluctue en permanence au cours du chantier, chacun le quittant immédiatement après la réalisation du travail confié. Si un travailleur accepte le contrat, il commence à travailler immédiatement sur la tâche confiée (prenant entre 1 et 5 heures). Ce processus d’embauche ne nécessite aucune intervention humaine et ne prend que quelques minutes (12,30 en moyenne sur les trois premiers projets testés). Les résultats de chaque tâche sont intégrés dans le dossier du projet et contribuent à la décision d’en générer de nouvelles. Pour la génération de ces nouvelles tâches, le chef de projet ou ses relais bénéficient du retour d’expérience de chaque travailleur impliqué : il est demandé à chacun d’évaluer la qualité globale de la commande qui lui a été passée, la qualité des données qui lui ont été fournies, celle des retours qui ont pu lui être faits en cours d’exécution des tâches qui lui ont été confiées, celle des prestations des autres travailleurs avec lesquels il a été amené à collaborer, etc. Dans de nombreux cas, il ne s’agit donc pas d’une tâche d’exécution pure, car il est demandé au collaborateur temporaire d’intégrer par ce retour d’expérience la plus-value apportée par sa réflexion à la réalisation du projet global. Foundry prend aussi en charge la compilation et l’ordonnancement de ces données.
 

Les résultats impressionnants de ce type d’outils pourraient donc inciter de plus en plus d’entreprises à y recourir et séduire certains travailleurs qualifiés en quête d’autonomie. Si les premières y verront de nombreux intérêts en termes d’économie de locaux ou de gestion des ressources humaines, le pari semble plus risqué pour les seconds qui se retrouveraient de facto mis en concurrence avec leurs pairs du monde entier et exposés à de nombreux facteurs de risques psychosociaux : effacement de la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle, horaires de travail atypiques, incertitude sur le niveau d’activité à venir, isolement professionnel…
 

Tout cela peut se traduire par des conséquences néfastes sur la santé : des travaux récents [20] ont montré que le travail nomade et connecté (dans lequel s’inscrivent les télétravailleurs) expose davantage à des risques de fatigue, d’anxiété et de présentéisme (continuer à travailler même en étant malade) qu’une activité « classique ». L’autonomie supérieure dont ces travailleurs disposent généralement ne suffit pas à les protéger du stress dont les niveaux sont plus élevés. Dans certaines situations les bénéfices espérés de cette autonomie sont totalement annulés par des systèmes de contrôle à distance de l’activité extrêmement intrusifs [21]. Pour ce qui concerne les manifestations physiques, une augmentation des maux de tête et de la fatigue oculaire est souvent observée, à laquelle on peut ajouter les effets de postures statiques prolongées et de poste de travail inadaptés.
 

L’industrie au rythme des réseaux sociaux
 

Dans l’industrie, le processus d’externalisation consistant à sous-traiter les activités qui ne font pas partie du cœur de métier de l’entreprise n’est pas nouveau. Il a d’abord concerné des services comme le gardiennage ou le nettoyage. Puis au fur et à mesure, des fonctions plus stratégiques (fourniture de pièces, maintenance, relation client) et la production elle-même, délocalisée vers des pays à faible coût de main d’œuvre. Les entreprises y voient de nombreux avantages notamment pour la gestion des effectifs et de la fluctuation de l’activité.
 

La marque américaine Fashion Nova est une illustration extrême de cette stratégie visant à s’affranchir de toute responsabilité tout en étant ultra réactive avec des conséquences délétères sur les conditions de travail de milliers de personnes. Cette entreprise californienne de fast fashion (mode éphémère) propose entre 600 et 900 nouveaux modèles de vêtements par semaine. Pourtant elle n’existe que par un site web de vente en ligne et un compte Instagram suivi par plus de 17 millions de personnes [22]. Toute l’activité de création, de production et de distribution est sous traitée à un réseau de plus de 700 sous-traitants. La stratégie de l’entreprise est entièrement construite sur le compte Instagram et suit le rythme frénétique des réseaux sociaux : l’objectif est de faire porter des vêtements de la marque à des influenceuses, d’en diffuser les photos et de les proposer instantanément à la vente à des prix faibles et dans un spectre de tailles extrêmement large pour provoquer des achats compulsifs qu’il s’agira d’honorer le plus vite possible. Dans certaines zones, la livraison en une heure est proposée. Fashion Nova est également accusée de pratiquer la contrefaçon car elle propose du jour au lendemain des imitations de vêtement de grands couturiers portés par des stars lors de soirées hollywoodiennes ce qui lui vaut quelques procès et une réputation sulfureuse. Impossible dans ce schéma de sous-traiter la production en Asie, les temps de transport seraient trop long. La solution est donc de sous-traiter à des ateliers locaux très réactifs. Mais au regard des faibles prix pratiqués, il est impossible pour les fournisseurs de répondre aux exigences de la marque tout en respectant la législation du travail californienne. Il en découle une délinquance chronique des fournisseurs qui sous-payent des ouvrier(e)s en situation illégale travaillant dans des conditions déplorables. Evidement alertés de la situation, les services de l’inspection du travail tentent de faire cesser cette situation (en quatre ans plus de 50 procédures pour non-respect du salaire minimum et non-paiement des heures supplémentaires ont été engagées contre des ateliers travaillant pour la marque) [23], mais ces sous-traitants ne manquent pas de mettre la clé sous la porte régulièrement pour réapparaitre sous d’autres raisons sociales, rendant les poursuites impossibles. Clairement identifiée comme étant à l’origine de ce système délétère, Fashion Nova nie toute responsabilité et se réfugie derrière ses fournisseurs et les cahiers des charges qu’elle leur soumet qui prévoient de déréférencer les fournisseurs condamnés pour des infractions au droit du travail. 
 

Ici, le constat est simple, les rythmes effrénés des réseaux sociaux ne sont pas compatibles avec des conditions de travail décentes. L’obligation de réactivité pour répondre le plus vite possible aux attentes de clients versatiles et la mise en évidence de la vulnérabilité des chaines d’approvisionnement mondialisées incitent à produire vite et pas cher, le plus localement possible, avec pour conséquence possibles des dérives de ce type. 

 

Intégrer la prévention
 

Les formidables progrès des TIC au cours des 30 dernières années ont contribué à des transformations importantes dans le monde du travail au point que l’on observe aujourd’hui des situations où l’activité de l’homme est pilotée par la machine (ou plutôt via la machine) et non plus l’inverse. Pour de nombreux travailleurs, les outils technologiques occupent désormais une place centrale dans leur activité. Ils bénéficient de leurs performances mais pâtissent aussi de leurs biais. Ce renversement du principe ergonomique d’adaptation du travail à l’homme interpelle évidement les acteurs de la santé au travail car il est contraire aux principes généraux de prévention tels que définis dans la Directive 391/CEE de 1989 et repris dans le Code du Travail.
 

Redoutablement efficaces, les outils informatiques ont permis à de nombreux acteurs de traverser la période de confinement tout en maintenant un niveau d’activité important. Mais les effets de ces outils sur les conditions de travail sont importants. Si les problèmes de risques psychosociaux liés au télétravail ont été largement pointés, les effets des technologies sur ceux dont l’activité ne permet pas le télétravail sont également importants. Chauffeurs, livreurs, préparateurs de commandes, sont également connectés en permanence et doivent gérer l’écart entre la prescription algorithmique et la réalité de leur environnement de travail.   
 

La mobilisation de ces technologies peut avoir pour effets des modifications profondes de l’organisation de la production, allant jusqu’à des transferts de statuts d’emploi des travailleurs avec des conséquences sociales importantes, notamment une précarisation accrue pour certaines catégories de population. Face à la vague de chômage annoncée, les autorités pourraient être tentées d’encourager encore plus l’auto-entreprenariat, accentuant ainsi ce phénomène.
 

Pourtant ces outils sont conçus par l’homme, derrière un algorithme il y a des développeurs qui l’élaborent et le paramètrent. Eux-mêmes répondent à des cahiers des charges définis par des donneurs d’ordres sur des critères économiques : optimisation de la productivité, satisfaction client… Se pose donc ici une question d’éthique et de dialogue social autour du développement de ces technologies notamment sur la question de leurs impacts sur les conditions de travail et sur la santé des opérateurs. S’agissant de prévention, ce dialogue devrait intervenir en amont des développements et non pas a posteriori, en mode dégradé, une fois les dégâts constatés sur le terrain.
 

 

[1] Cet article est centré sur les conséquences induites par le Covid-19 et l’influence croissante des Techs sur les risques professionnels. Pour une vue plus large de la question, incluant en particulier les conséquences économiques et démographiques, on pourra se reporter à : Cyprien Batut (2020) - L’impact du Covid-19 sur le monde du travail : télémigration, rélocalisation, environnement. Groupe d’études géopolitiques, ENS, Paris.

[2] https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/les-geants-technologiques-affichent-leur-resilience-face-a-la-crise-1199979

[3] https://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/05/10/microsoft-serait-en-passe-de-racheter-skype_1519450_651865.html

[4] https://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/whatsapp-le-service-de-messagerie-rachete-par-facebook_1954896.html

[5] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/04/28/application-stopcovid-la-france-isolee-dans-son-bras-de-fer-avec-apple-et-google_6038015_4408996.html

[6] https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/la-justice-americaine-prete-a-agir-contre-google-1203665

[7] https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/coronavirus-amazon-perd-en-appel-1197953

[8] https://www.nytimes.com/2020/04/05/technology/coronavirus-amazon-workers.html

[9] https://www.franceculture.fr/numerique/lexpansion-des-batx-les-gafam-chinois

[10] https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/decisions_relatives_8004/prestation_chauffeur_9665/press_release_44526.html

[11] M. Malenfer, M. Héry, M. Prévôt-Carpentier, M. Defrance, Taxis, VTC : activités similaires, statuts hétérogènes. Quelle prévention ?, HST n°254, mars 2019

[12] Coronavirus : comment la grande distribution recrute des auto-entrepreneurs, Marianne.net, le 08/04/2020, https://www.marianne.net/economie/coronavirus-comment-la-grande-distribution-recrute-des-auto-entrepreneurs

[13] M. Malenfer, V. Govaere, A. Bingen, M-C. Trionfetti Impact des outils numériques sur les conditions de travail : l'exemple du commerce en ligne, HST n° 258, mars 2020

[14] D. Gaborieau (2015). Travailler sous commande vocale dans les entrepôts de la grande distribution. In : Les risques du travail. La Découverte, Paris.

[15] D. Gaborieau (2017). Quand l’ouvrier devient robot. Représentations et pratiques ouvrières face aux stigmates de la déqualification. L’homme & la société, n° 205.

[16] Antonio Casilli – En attendant les robots. Editions du Seuil, janvier 2019

[17] https://www.foulefactory.com/

[18] INRS – M. Héry et C. Levert (Eds) 2017. Modes et méthodes de production en France en 2040. Quelles conséquences en santé et sécurité au travail ? Disponible à  http://www.inrs.fr/media.html?refINRS=VEP%203

INRS – M. Malenfer et M. Héry (Eds) 2018. Plateformisation 2027. Conséquences de l’uberisation en santé et sécurité au travail. Disponible à :  http://www.inrs.fr/media.html?refINRS=PV%208

[19] Valentine, M.A., Retelny D., To A. et al. (2017). Flash Organizations: Crowdsourcing Complex Work by Structuring Crowds as Organizations. CHI 2017, May 06 - 11, 2017, Denver, USA. Disponible à : https://hci.stanford.edu/publications/2017/flashorgs/flash-orgs-chi-2017.pdf

[20] Oscar Vargas-Llave, Irene Mandl, Tina Weber, Mathijn Wilkens – Telework and ICT-based mobile work : Flexible working in the digital age. Eurofound, doi : 10.2806/70118   

[21] https://www.liberation.fr/france/2020/06/02/teletravaillez-vous-etes-fliques_1790117

[22] https://www.instagram.com/fashionnova/

[23] https://www.nytimes.com/2019/12/16/business/fashion-nova-underpaid-workers.html?smid=tw-nytimes&smtyp=cur

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