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17 / 04 / 2018 | 78 vues
Jean-Max LLORCA / Membre
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Paradoxe et schizophrénie managériaux en entreprise

L’entreprise peut-elle rendre schizophrénique ? Aujourd’hui oui. Là où le marché et le management en force sont rois, les salariés sont submergés d’ordres et d’objectifs parfois contradictoires : marier qualité et rapidité, allier coût bas et sécurité élevée, soigner la relation client et la productivité etc.

Comment ne pas devenir fou face à tant de paradoxes ?

Déjà, dans les années 1950, les psychologues de l’école de Palo Alto soulignaient les risques de ce phénomène dans les multinationales. Mais, depuis, qu’est-ce qui a changé ? Aujourd’hui, le paradoxe est un fléau contre lequel les salariés de tout type d’entreprise luttent, privée comme publique. En 2015, les sociologues Vincent de Gaulejac et Fabienne Hanique se sont penchés sur le sujet de « l’autonomie contrôlée » dans leur essai Le capitalisme paradoxant. Il offre une analyse assez juste dans cet article [i] : « On demande aux individus d'être des canards sauvages apprivoisés ! Ils doivent être créatifs tout en étant conformes à ce que l'on attend d'eux ».

Gérer l’impossible

Le marché règne en maître et avec lui, les objectifs, les outils de suivi et de contrôle et, si besoin, divers consultants en management, coaches et autres planeurs ou prédicateurs. Dirigeants, cadres et salariés subissent finalement la situation, essayant de courir dans le même sens. Aucun faux pas n’est alors permis. Ce n’est pas sans conséquences. Face aux exigences pour atteindre des objectifs abstraits et parfois inatteignables, chacun intériorise ses tensions, ses craintes, ses déceptions et ses désarrois. Pour éviter de perdre la raison, deux comportements apparaissent.

1. Les mécanismes de défense

Faire appel à son inconscient pour y enfouir ses peurs et ses doutes peut sembler être la bonne solution. Mais non. Si l'on exécute tâches et missions sans s'en demander la raison, le comment et l'« où va-t-on », le syndrome du « tout va très bien » apparaît alors. « Les psys parlent de personnalités « as if » (on fait « comme si »). « Ce symptôme de psychopathologie est aujourd'hui devenu un phénomène social », avance Vincent de Gaulejac. Mais attention, avec cette normalité de façade dans le travail, la schizophrénie professionnelle guette.

2. Résiste, prouve que tu existes !


Deuxième attitude pathogène : la résistance affichée et affirmée. Elle peut prendre différentes formes face à l’absurdité du travail à réaliser. Ainsi, le groupe, la distanciation et l’humour peuvent apporter une aide probante. Se moquer de situations ubuesques permet aussi d’y répondre au quotidien, sans trop s’y investir.

Individuellement, on peut se poser en porte-à-faux en mettant en avant des valeurs ou pratiques contraires à la situation : la tranquillité face à la précipitation, le calme face à la colère, le refus de la course aux performances etc. On peut aussi rechercher des appuis ou ressources ailleurs, dans d’autres métiers, ou le sens qui manque à la situation.

Quelle que soit l’option choisie, sur le long terme, ces pratiques contraires à la recherche de performances affichées se révèlent peu efficaces pour résister à cette mise sous tension. Tels des pansements sur des jambes de bois, ces solutions éphémères ne traitent que les symptômes du mal-être, pas de la cause.

À la recherche d’espaces de discussion

Les voix des observateurs avisés sont assez unanimes. Il manque des espaces d’échanges sincères entre salariés et encadrants. Ces groupes d’expression étaient pourtant présents en 1982 dans les lois Auroux, malheureusement peu appliquées, faute de véritable investissement des entreprises, des syndicats ou des salariés. Échanger sur le travail, ses objectifs, ses résultats et ses modes opératoires, c’est livrer son intimité professionnelle. Aussi, le dialogue a souvent été bloqué pour des raisons culturelles et sociales.

Quarante ans plus tard, le constat est amer face au fléau du siècle : épuisement professionnel et souffrance au travail.

Si certaines entreprises ne jurent que par les coaches en management, les stages pour dirigeants, la méditation collective ou la « mindfulness » (pleine conscience), peu offrent des espaces de réflexion et d’actions intégrés au temps de travail.

Cela manque un peu de partage te de bienveillance au cœur du travail, précise Danièle Linhart : « Créer des lieux d'échange véritable ne peut avoir de sens que si l'initiative part des individus eux-mêmes. Ces derniers pourraient déployer leurs compétences et leur expérience pour contribuer à inventer de nouvelles organisations du travail qui ne les rendent pas malades ». 

Le CHSCT et demain le CSE doivent dynamiser et favoriser ces pratiques de mise en débat du travail au sein des services et des ateliers. Les salariés et l’encadrement n’attendent souvent que cela, sans jugement, où l’expérience et la connaissance sont mises en valeur.


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