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14 / 02 / 2017 | 61 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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Orange avait inventé l’échelle à réduire les coûts d’intervention en hauteur par deux

Orange vient d'être condamné pour homicide involontaire dans le cadre de la chute fatale d'un technicien en 2011 depuis une « plate-forme d’accès en hauteur ».

L'histoire commence en 2008.

La « plate-forme d’accès en hauteur » de France télécom a tout d’une échelle mais le terme est proscrit en interne. Et pour cause : avec une échelle classique, l’intervention doit obligatoirement se faire à deux. Un technicien en haut de l’échelle qui mène l’intervention et un autre en bas qui assure la stabilité de l’équipement.












 

 

 

 

 

La « plate-forme d’accès en hauteur » s’assimile à un poste de travail grâce notamment à son garde au corps, à sa plate-forme de travail et à ses stabilisateurs latéraux. Dès lors, plus besoin d’avoir deux techniciens pour intervenir. Un seul suffit. Les coûts d’intervention sont d’autant plus rationalisés que la PAH permet de limiter le recours aux camions nacelles.

Un déploiement contesté à plusieurs niveaux : CHSCT, inspection du travail, direction général du travail

Cette PAH est le fruit de trois longues années de cogitation, censée être parfaitement dans les clous du cadre réglementaire du travail en hauteur. En septembre 2008, la revue Santé & Travail de l’INRS publiait même un article sur l’innovation constituée par les PAH. Article intitulé « Être à la hauteur de la situation » dans lequel il était question d’équiper à terme 5 000 techniciens de France Télécom.

Manifestement pressée de déployer, France Télécom a commandé à la société Tubesca des milliers de PAH pour fournir les 29 unités d’intervention et commencer à équiper des techniciens. Selon la direction, le déploiement des PAH ne mérite pas le qualificatif de « projet important » au sens du Code du travail. Significativement peu de salariés seraient concernés et cela ne modifierait pas de façon déterminante leurs conditions de travail. La consultation des CHSCT était donc a priori considérée comme une formalité.

La direction escomptait un déploiement total pour fin décembre 2008. Il y aura au moins un an de retard car, entre temps, des CHSCT ont demandé des précisions pour se prononcer alors que deux accidents ont eu lieu avec des PAH dans des unités. Les élus ont saisi les inspections du travail et les conclusions de ces derniers sont sans appel.

« Les élus ont averti la direction qu’ils saisiraient la justice pour mise en danger de la vie d’autrui au moindre accident. Le plus grave, c’est que dans d’autres unités, le déploiement des PAH continue manifestement » - Samuel Gaillard, avocat.

Le courrier adressé le 17 février 2009 par l’inspection du travail de Rouen au directeur de l’unité d’intervention de France Télécom de Seine-Maritime souligne 11 facteurs de risques liés aux PAH dont la stabilité, le poids (26 kg), sans oublier la spécificité du travail isolé. « J’ai personnellement constaté un sentiment d’insécurité du haut de la plate-forme polyvalente du fait de l’insuffisance de stabilité. Au-delà du risque de chute réelle, il est nécessaire de prendre en compte le sentiment d’insécurité dans le cadre de l’évaluation des risques psychosociaux », souligne l’inspecteur qui affirme que la PAH n’est pas conforme à la réglementation en vigueur. Il demande à la direction de procéder d’abord à une véritable évaluation des risques avant d’envisager un déploiement en masse.

Le 27 avril 2009, c’est une mise en demeure que la direction départementale du travail de l’Hérault a adressé à l’unité d’intervention locale de France Télécom en lui enjoignant de garantir sur les PAH des conditions de travail « au moins équivalentes à celles résultant de l’utilisation des nacelles élévatrices ».

Le 26 mai 2009, la Cour d’appel de Grenoble a jugé que la demande d’expertise du CHSCT de l’unité d’intervention Rhône Durance (Valence) sur les PAH était justifiée pour le motif qu’il s’agissait bien d’un projet important ayant un effet significatif sur les conditions de travail. La direction contestait la notion de projet important pour le motif que seulement 5,7 % (47 techniciens) de l’effectif étaient concernés par le projet. L’expertise, menée par le cabinet Technologia, sera bouclée le 30 novembre. En attendant, le déploiement est arrêté depuis février 2009.

« Les élus ont averti la direction qu’ils saisiraient la justice pour mise en danger de la vie d’autrui au moindre accident. Le plus grave, c’est que dans d’autres unités, le déploiement des PAH continue manifestement », déclare Me Samuel Gaillard, avocat du CHSCT de l’unité d’intervention de Valence.

Seul, l'erreur d'appréciation est plus facile. 

« Il n’est pas facile de mettre en œuvre seul la PAH au regard des contraintes techniques de stabilisation sur un sol incliné ou meuble » - Yannik Valera, élu CHSCT.La direction n’a pas manqué d’argumenter sur l’amélioration des conditions de travail permise par les PAH. Fini le travail en équilibre comme sur les échelles classiques. « Lorsque la PAH est bien calée et réglée à la bonne hauteur ce qui n’est pas garanti dans la majorité des cas, les conditions de travail semblent plus confortables que sur le barreau d’une échelle classique. Les pieds sont bien à plat sur le marche-pieds que la direction appelle « plate-forme ». Mais il n’est pas facile de la mettre en œuvre seul au regard des contraintes techniques de stabilisation sur un sol incliné ou meuble. Avec les stabilisateurs le poids total grimpe à 39 kg. Il faut au moins compter 15 minutes pour monter une PAH alors que les tests électriques durent environ 5 minutes », souligne Yannick Valera, élu CHSCT et délégué syndical CGT de l’UI Rhône-Durance.

La direction de l’unité d’intervention de Valence a d’ailleurs estimé que l’accident survenu le 29 janvier 2009 avec une PAH était lié « à une erreur d’appréciation sur la possibilité de mettre en œuvre la plate-forme ». « 140 des 800 salariés de l’unité d’intervention sont concernés par l’utilisation des PAH. Ils doivent prioritairement utiliser les 24 camions nacelles mais on sent bien qu’avec ce projet, la direction veut que la PAH s’impose comme la solution à privilégier », ajoute l’élu du CHSCT. Pour Samuel Gaillard, « il y a un refus manifeste de prendre en compte les observations des élus des CHSCT. C’est en soi le signe d’un profond malaise quand les relations sociales se déroulent dans les prétoires ».

Sur l’unité d’intervention de Paris, le CHSCT fait aussi de la résistance en ayant déjà refusé de se prononcer à deux reprises sur le projet, faute d'éléments contradictoires. « Les techniciens sont globalement opposés à ce déploiement mais la direction estime ne pas avoir de compte à rendre », estime Vincent Olivier, élu CHSCT de l’unité d’intervention de Paris.

Une circulaire de la Direction générale du travail en date du 16 avril rappelle à propos de l’expérimentation de France Télécom : « sa généralisation à l’ensemble des situations de travail est plus discutable car d’autres équipements plus ergonomiques et plus sûrs existent ». Sauf que l’intervention d’un camion nacelle coûte autrement plus cher que celle d’un technicien seul avec son PAH... À noter qu’une partie des 15 millions de poteaux en bois de France Télécom sont considérés comme dangereux. Le recours au camion nacelle s’impose alors pour éviter de mettre en appui une PAH sur un bois dont la résistance n’est plus garantie. Une « absence de rigueur dans la gestion du parc des poteaux » est soulignée dans un rapport du cabinet Technologia remis en décembre 2008 au CHSCT de l’unité d’intervention de Valence. En janvier 2008, un accident mortel de circulation avait en effet été causé dans la région par un poteau tombé en travers de la chaussée. Un poteau pourtant contrôlé en décembre 2007 et qui était encore garanti 3 ans...

Quand la prévention modélise les économies liées aux PAH

« Un projet strictement économique » - Samuel Gaillard, avocat.

La circulaire de la DGT rappelle que « le choix de la PAH ne saurait être imposé par l’opérateur à ses sous-traitants ». Or, dans un courrier du 15 avril 2009, le secrétaire général de l’ACNET, le syndicat représentant et défendant les intérêts des entreprises sous-traitantes de France Télécom rapporte que « les unités régionales de l’opérateur font pression sur nos adhérents pour qu’ils s’équipent de ces mêmes moyens. Ils ont également demandé à quelques uns de nos adhérents de tester le produit pour mieux le promouvoir ».

Alors que quasiment 70 % des interventions sur les poteaux et les façades sont sous-traitées, France Télécom ne pouvait pas faire l’impasse sur ces derniers dans ses simulations de gains économiques. Un document interne concocté par un préventeur national du groupe est ainsi intitulé « L’impact économique des plates-formes d’accès en hauteur ». Édifiant. Si la PAH peut potentiellement améliorer les conditions de travail, elle est surtout synonyme de réduction des coûts. « Quel seront les conséquences humaines de cette recherche de productivité ? », interroge Samuel Gaillard qui voit dans les PAH, « un projet strictement économique ».

Par rapport à l’échelle classique, la PAH permet ainsi d’économiser 60 € sur chaque intervention d’un technicien de France Télécom. Elle permet de réduire de 20 € le forfait unitaire des interventions des sous-traitants, qui est aujourd’hui à environ 80 €. Les simulations économiques partent du principe que 60 % des interventions devront continuer de se faire en binôme avec des camions nacelles.

  • Concrètement, les PAH appliquées sur 40 % des 10 468 interventions réalisées en juillet 2008 par des sous-traitants de l’unité d’intervention en Aquitaine auraient permis d’économiser 144 000 €. À cela s’ajoutent les 124 656 € qui auraient pu être économisés sur les 3 371 interventions traitées par France Télécom. Total économisé sur un mois pour une seule unité : 268 656 €. Sur l’ensemble des unités d’intervention, les projections tablaient sur 2 554 932 € d’économie en juillet et 3 697 476 € en août. Sur une année, France Télécom peut dont réduire d’au moins 20 millions d’euros le coût des interventions en hauteur.

« La décision de rendre la plate-forme prioritaire vis-à-vis de la nacelle ne semble pas résulter d’une analyse des risques associée à chacun des équipements mais plutôt, comme indiqué dans un document intitulé « étude de nouveaux équipements pour le travail en hauteur », de répondre à une attente de France Telecom et de ses sous-traitants d’une solution présentant une dimension économique acceptable », souligne le courrier adressé le 17 février 2009 par l’inspection du travail de Rouen.

Outre la sécurité, l'égalité professionnelle pourrait s'inviter dans le débat puisque la PAH seule pèse 26 kg (plus 13 kg de stabilisateurs). Et Yannick Valera de lancer : « c’est un équipement discriminatoire car les femmes ne sont pas autorisées à soulever des poids de plus de 25 kg. Si la direction du travail et de l’emploi validait l’utilisation de ce matériel c’est un métier de plus qui deviendrait interdit aux femmes ».

 

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