Le projet de recherche 2012 lauréat du Prix Malakoff Médéric innovation pour la santé au travail vise à mieux comprendre les causes de l'absentéisme des travailleurs des déchets. Les terrains de la recherche porteront sur l'activité de salariés de Veolia Propreté et de la Mairie de Paris. « La santé des éboueurs : analyse des déterminants professionnels et organisationnels de l’absentéisme », le projet porté par Stéphane Le Lay, sociologue du travail et Grégor Bouville, maître de conférences en sciences de gestion (Dauphine recherche en management – CNRS-Université Paris Dauphine) commencera en septembre 2012 grâce au financement du groupe Malakoff Méréric pour livrer ses premiers résultats 12 mois plus tard.

Les objectifs

À partir d’une double analyse quantitative et qualitative, le projet cherchera à préciser les déterminants matériels et symboliques de l’absentéisme (absences liées à des accidents du travail, des maladies professionnelles ou sans justification), en portant un intérêt poussé à l’influence des différentes tâches (collecte et nettoyage, par exemple) et des différents types de collecte (ordures ménagères/recyclage/encombrants).

Dans le cadre de la poursuite de travaux antérieurs consacrés aux activités des éboueurs de la fonction publique territoriale, ce projet vise à franchir une étape supplémentaire dans la connaissance des liens entretenus entre conditions de travail et santé au travail, en procédant à une comparaison systématique des secteurs public et privé.

L’avantage d’une approche comparative repose notamment sur la possibilité de faire émerger, par l’analyse même, des points de convergence et de divergence dont l’exploitation est de nature à faciliter les réflexions praticiennes.

Les services de santé au travail des organisations étudiées bénéficieront de fait d’un retour sur les expériences positives et les manques concernant chaque secteur, et trouveront donc dans les conclusions des pistes d’amélioration possibles en matière de santé au travail.

Sources et nature des informations exploitées

Cette enquête interrogera donc par le biais d’un questionnaire deux populations d’éboueurs, l’une travaillant à la Ville de Paris, l’autre dans une entreprise privée ayant contracté une délégation de service public avec la capitale (Veolia). Il est prévu de passer 300 questionnaires pour chaque structure.

Le projet mobilisera, au sein des deux organisations étudiées, les données sociales (DRH, services compétents en matière de lutte contre les risques professionnels etc.) et épidémiologiques (médecine du travail).

Méthodologie

À partir d’entretiens exploratoires, le projet bâtira un questionnaire spécifiquement destiné aux travailleurs concernés. Des entretiens de type compréhensif avec un certain nombre d’acteurs seront menés pour détailler la nature des relations statistiques repérées parmi les différents éléments étudiés, afin notamment d’en mieux comprendre les ressorts subjectifs.

Dans un premier temps, cette enquête par questionnaire consistera à analyser et à comparer les modes d’organisation du travail, les conditions de travail et les ressources de l’emploi des éboueurs des deux structures au travers de statistiques descriptives (tris à plat et tris croisés), dont les principales variables, issues du questionnaire de l’enquête nationale SUMER 2002-2003 et complétées par l’équipe recherche, sont les suivantes...

            
Les composantes de l’organisation du travail et les variables opérationnelles permettant de les mesurer

• Contenu du travail > monotonie, autonomie, contenu cognitif du travail,     polyvalence.
• Coordination du travail > niveau de responsabilité, densité du travail,     direction par objectif, contrôle hiérarchique, soutien des collègues et soutien du supérieur.
• Organisation du temps de travail > durée du travail, horaires individualisés, travail par roulement.
• Intensité du travail > contrainte industrielle, contrainte marchande, contrainte temporelle.

Les composantes des ressources de l’emploi et les variables opérationnelles permettant de les mesurer

• Moyens humains > nombre de collègues suffisants.
• Moyens informationnels > informations claires et suffisantes.
• Moyens cognitifs > formation suffisante et adaptée.

Les composantes des conditions de travail et les variables opérationnelles permettant de les mesurer

• Les pénibilités physiques > posture pénible, mouvements douloureux     ou fatigants, vibrations, port de charges lourdes.

  
Les pénibilités psychiques

• Charge cognitive > effort attentionnel.
• Charge affectives > risques d’agression, agressions, situation de tension. dans les rapports avec le public, harcèlement moral, affects négatifs.

L’environnement physique de travail

• Les nuisances de l’environnement > chaleur, humidité, bruit, odeurs, éclairage, aération, poussière.
• Les risques professionnels de l’environnement > produits inflammables, substances cancérogènes ou agents biologiques.

Dans un deuxième temps, il s’agira d’analyser (par l’usage de la technique de la régression) pour chacune des deux populations les relations statistiques existant entre, d’une part, les modes d’organisation du travail, les conditions de travail et les ressources de l’emploi des éboueurs de la Ville de Paris et de l’entreprise privée et, d’autre, part, le plaisir et la satisfaction au travail, l’implication au travail, l’absentéisme maladie, les accidents du travail, le présentéisme, les troubles musculo-squelettiques, le stress, la fatigue, l’insomnie et la consommation d’alcool et de drogues.

Par ailleurs, ces relations seraient étudiées en fonction de la nature de l’activité (collecte des ordures ménagères, collecte d’objets encombrants, de papiers et emballages, passage du balai), du type d’organisation de la collecte (« fini-quitte » contre horaires fixes) et, enfin, du type de collecteur utilisé.

Dans un troisième temps, les analyses quantitatives seront mises en discussion avec les analyses documentaires et celles issues du versant qualitatif : 50 entretiens semi-directifs de type compréhensif d’environ deux heures, axés sur le vécu des différentes dimensions des activités effectuées.

Equipe projet : deux co-responsables

Stéphane Le Lay, sociologue du travail, est associé à l'équipe de psychodynamique du travail et de l'action (CRTD-CNAM).
Docteur en sociologie. Spécialisé dans l’analyse de la précarisation salariale et des situations du travail et de l’emploi des membres des classes populaires, en particulier des liens entre conditions de travail et santé physique et mentale. Il a récemment codirigé, avec Delphine Corteel, Les travailleurs des déchets (aux éditions Erès, 2011), et il participe au projet de recherche ODORR (financé par l’ADEME pour une durée de trois ans), consacré aux filières de recyclerie des « objets déchus ». Cette recherche pluridisciplinaire et internationale vise à rendre compte du processus de constitution de la filière, notamment sous l’impulsion de l’Union européenne et de ses modes de déploiement aux niveaux locaux, en privilégiant notamment le rapport à l’emploi et au travail des salariés qui doivent tous les jours « redonner vie » à des déchets.

Grégor Bouville est maître de conférences en sciences de gestion (Dauphine recherche en management – CNRS-Université Paris Dauphine)
Docteur en sciences de gestion. Spécialisé dans la gestion des ressources humaines et le comportement organisationnel. Il travaille en particulier sur les déterminants de l’absentéisme et plus précisément sur les facteurs organisationnels. Il a notamment publié L’absentéisme au travail : un révélateur d’un mal organisationnel dans A. Pezet et G. Nogatchewski (dirs.), L’état des entreprises, (La Découverte, 2011).

Laboratoire de rattachement du projet

Dauphine recherche en management (DRM) est l'unité de recherche en gestion de l’Université Paris-Dauphine. DRM se structure autour de trois grands axes de recherche et de programmes transversaux portés par six équipes dans les domaines de la finance, du marketing, de la stratégie, des théories de l’organisation, des systèmes d’information, de la gestion des ressources humaines, de la comptabilité et du contrôle de gestion.