Organisations
Le travail en 2022 : retrouver la sérénité par les modes de règlement amiable des conflits
Le travail en 2022
Une série de chroniques à suivre sur Miroir Social
- Françoise Maréchal-Thieullent, avocate médiatrice chez Lawcean Selarl Interbarreaux
À venir :
- Jean-Claude Delgenes, directeur général de Technologia
- Brigitte Dumont, directrice RSE d'Orange
- Marie-Jeanne Fouqué, présidente déléguée de la mission locale de Toulouse
- Michel Debout, psychiatre et professeur de médecine
Retrouvez la chronique de :
- Anne-Julienne Tillay, secrétaire générale de l'UNSA Paris > Perspectives critiques
Tout professionnel est en droit d'évoluer dans un milieu serein, lui permettant de travailler dans un état de calme, de tranquillité et de confiance sur le plan moral et physique. Cependant, la souffrance au travail est devenue le quotidien de nombreuses personnes qui ne savent pas comment agir et se trouvent souvent confrontés à des conflits qui rajoutent à leur souffrance.
Certaines organisations semblent dépassées face aux problèmes humains qui émergent au sein de leur structure. L'expérience montre que les modes de règlement amiable des conflits (notamment la médiation) permettent le plus souvent de rétablir un climat serein dans ces milieux professionnels.
La médiation est un processus confidentiel structuré par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à la résolution amiable de leur différend, avec l’aide d’un tiers neutre, impartial, indépendant et compétent : le médiateur. Ce dernier est choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction. La France a été l'un des premiers pays européens à introduire la médiation dans les textes dès 1995.
En vingt ans, la médiation n'est pas encore entrée dans la culture française tant judiciaire que managériale alors que les parties en conflits peuvent coconstruire dans un délai raisonnable une solution sur mesure.
Une lente acculturation
Comme d'autres modes de règlement amiable, la médiation s'est peu développée en France depuis 1995. Dans son discours de rentrée solonnelle de 1995, Pierre Dray, premier président de la Cour de cassation, s'inquiétait des délais : « Pourra-t-on encore parler, dans deux, trois ou quatre ans, d’une solution vivante que la Cour de cassation aura donnée à un problème vivant ? Des réponses mortes à des questions mortes, voilà ce que sera notre lot... ». Car c'est un fait objectif, la France est confrontée à une augmentation des demandes et des délais judiciaires qui ne permettent plus tout à fait d'affirmer que notre droit est « vivant ». En 2014, le délai pour obtenir une décision au fond devant le conseil de prud'hommes (CPH) était de 14 mois. Ce délai pouvait atteindre trois ans en appel. En 2015, Chantal Arrens, première présidente de la Cour d'appel de Paris, précisait qu'« au cours des quatre dernières années, le nombre de dossiers en matière sociale est passé de 11.000 à 15.000 (...) Les délais de jugement peuvent parfois aller jusqu'à 3 ans. Ce qui vaut à l'État d'être régulièrement condamné pour non-respect des délais raisonnables ». L'objectif que se fixait alors la Cour d'appel de Paris était de réduire les délais de jugement à 18 mois. Si les jugements ne sont pas toujours rendus dans un délai raisonnable pour les justiciables, il apparaît que ces derniers ne sont pas toujours satisfaits par les décisions prud'homales, dont 68 % en 2014 ont fait l'objet d'appel. Face à ces délais allongés et à l'insatisfaction de ces justiciables, la médiation apparaît comme une voie à explorer en ce qu'elle permet d'apporter des solutions adaptées aux besoins des parties confrontées à un litige portant sur les relations au travail. En matière de relations au travail, le législateur invite au dialogue social, à la négociation collective et à la négociation d'entreprise. Dans certaines situations, la médiation est expressément prévue par les textes. Ainsi, l'article L1152-6 du code du travail dispose qu'une procédure de médiation peut être mise en œuvre par toute personne de l'entreprise s'estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause.
Au Royaume-Uni, en 1896, l'État a institué un organisme afin d'apporter toutes les informations utiles aux salariés, syndicats et employeurs. En 1974, cette institution devenue indépendante a pris le nom de Conciliation and Arbitration Service (ACAS). Elle intervient gratuitement. Depuis 2014, les parties doivent, préalablement à la saisine du tribunal du travail, sont tenues de tenter une conciliation amiable via l'ACAS. Dans 75 % des affaires, un accord est trouvé.
Comme d'autres juridictions, la Cour d'appel de Paris est active depuis de nombreuses années dans le développement de la médiation. L’observation des chiffres des tribunaux français permet de constater que si les juges et les avocats se déclarent globalement favorables à la mesure, le pourcentage de litiges judiciaires envoyés en médiation reste pourtant très faible, 0,6 % du contentieux fait l'objet d'injonction de médiation et/ou de médiation en première instance hors familiale (1,2 % en 2014) et 0,3 % en appel. Le législateur incite de plus en plus à la mise en œuvre de règlements amiables avant la saisine des juridictions. Le taux très faible de conciliation (5,5 % en 2013) devant le conseil de prud'hommes et le faible recours à la médiation dans les conflits au travail nous amènent à penser que les modes de règlement amiables qui permettent au justiciable d'être acteur de l'issue de son litige ne pourront que se développer dans les années à venir.
Bâtir une solution sur mesure dans un délai raisonnable
La médiation permet une résolution des conflits dans des délais raisonnables. Elle peut se terminer par un accord dans plus de 70 % des cas. Nous le savons : le travail participe à la construction de l'identité de l'individu, à la satisfaction de ses besoins et à son bien-être. L'activité professionnelle est censée apporter une sécurité financière, un développement des connaissances, des compétences et, dans l'idéal, une certaine satisfaction morale, une forme de joie au sens d'affect positif de Spinoza. Il est naturel de rencontrer des situations conflictuelles au travail comme dans tout système où des êtres relationnels se côtoient mais il faut pouvoir les résoudre dans un temps suffisamment court afin qu'elles ne deviennent pas pathologiques. Ce qui pose problème, c'est le conflit qui perdure et entraîne une perte de sens au travail, d'estime de soi et, parfois, un sentiment de mépris très pesant dans la durée pour le salarié lorsqu'il a le sentiment que personne ne l'entend ou ne le comprend. Les gens en conflit fuient le plus souvent ce qui les fait souffrir, évitent, ou bien affrontent tant bien que mal l'origine de leur souffrance jusqu'à s'épuiser. Alors qu'il semble naturel de se parler et de dialoguer pour résoudre un problème, cela semble plus difficile à faire en situation conflictuelle ou en situation dégradée, les gens s'évitant, se prêtant des intentions malicieuses et ne se faisant plus confiance.
La médiation peut apporter des solutions dans de multiples situations :
- blocage des négociations collectives,
- harcèlement moral et souffrance au travail,
- licenciement ressenti comme particulièrement injuste par le salarié qui a par exemple besoin d'explications pour rebondir,
- réorganisation de la structure ou d'un service,
- changement de poste conflictuel,
- reclassement des victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles,
- retour après un épuisement professionnel ou une maladie longue durée,
- conflits au sein des petites entreprises et des entreprises artisanales, libérales et familiales,
- conflits portant sur des heures supplémentaires, à la formation,
- difficultés dans le cadre du dialogue social,
- conflits collectifs.
Entrer en médiation, c’est accepter de suspendre la dispute pour dialoguer afin de trouver une solution, sans pour autant renoncer à ses droits. Les parties doivent se sentir en sécurité en médiation afin de se rencontrer en présence du médiateur et, le cas échéant, de leurs avocats ou conseillers. Elles pourront alors, de façon confidentielle, exprimer leurs positions, leurs besoins, leur désaccord, ce qui a pu les blesser, les contrarier ou les amener à ne plus se comprendre, à des malentendus et à des sentiments négatifs...
Le médiateur prête une grande attention à la vulnérabilité des gens. Il veille à l'équilibre et à la qualité des échanges entre les parties. Le médiateur devra mettre fin à la médiation ou refuser de la mettre en œuvre s'il estime que ces conditions ne sont réunies. Par la compréhension réciproque, les parties parviennent le plus souvent à mettre fin au conflit en proposant des solutions prennent en considération les besoins exprimés par chacune d'entre elles. Ces solutions peuvent être validées et mises en forme par les avocats ou conseillers. Les juridictions et certains professionnels proposent régulièrement à des parties en conflit de mettre un médiation en œuvre dans les cas visés ci-dessus.
Chronique d'une médiation réussie
Ainsi, Madame X a saisi le CPH afin de contester son licenciement fondé sur la désorganisation du service suite à son absence prolongée pour maladie due, selon la salariée, à un harcèlement moral. Cette dernière a été déboutée de l'ensemble de ses demandes et a relevé intertjeter appel. L'attention de la chambre sociale a été attirée par l'ancienneté (20 ans) de la salariée dans cette association. Les parties ont accepté la proposition de se rencontrer en médiation qui doit être achevée dans les 3 mois ; elles se sont présentées en médiation assistées de leurs avocats. En médiation, Madame X a expliqué qu'elle avait travaillé avec joie et intérêt durant plus de 17 ans en qualité d'assistante administrative. Mais, depuis 3 ans, un nouveau bureau avait été constitué, les nouveaux dirigeants de l'association sportive venaient au siège à l'heure à laquelle les permanents s'en allaient. Madame X a souvent été obligée de rester très tard (20h00) et a commencé à être fatiguée et stressée par toutes les demandes. Elle s'en est plaint au président (Monsieur Z) qui est devenu très agressif et se moquait d'elle publiquement. Elle a commencé à avoir peur en venant au travail, à ne plus dormir comme avant. Un jour, après une énième remarque du président, elle a ouvert la fenêtre et enjambé la rambarde ; une collègue qui avait heureusement oublié ses clefs et avait dû revenir au bureau l'a retenue et l'a raccompagnée chez elle. Madame X n'a jamais pu reprendre le travail et est encore en arrêt maladie. Elle a pleuré en évoquant cet épisode. Elle a trouvé injuste que le CPH n'ait pas tenu compte de tout cela. Elle n'a pas compris. Elle a réclamé 60 000 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (2 ans de salaire) et la prise en charge des honoraires de son avocat. Son avocat a précisé qu'elle ne la représentait pas à l'époque et qu'il était regrettable qu'aucun accident de travail n'ait été déclaré. L'association était représentée par un nouveau président récemment élu, Monsieur V, qui connaît Madame X. Il était manifestement ému par ce qu'elle a décrit avoir vécu. Il a précisé qu'il n'appréciait pas Monsieur Z car ils avaient des divergences concernant la gestion et le développement du club. Il connaissait le fils de Madame X qui faisait partie des jeunes espoirs du club.
Après une bonne heure de dialogue, les besoins de Madame X ont été identifiés :
- retrouver une sérénité,
- suivre une formation d'artisan d'art qui coûte un peu cher (8 000 euros) afin de travailler librement car l'idée de travailler sous la subordination de quelqu'un l'effraie désormais,
- que l'association reconnaisse sa souffrance.
Monsieur V a précisé les besoins de l'association :
- comprendre ce qui s'est passé il y a trois ans,
- terminer ce procès dans de bonnes conditions,
- retrouver une bonne ambiance au sein du club.
Monsieur V a spontanément présenté ses excuses à Madame X au nom du club. Puis les parties se sont entretenues séparément avec leurs avocats et se sont retrouvées après 15 minutes. Monsieur V a proposé de demander au bureau de l'association devant se réunir le lendemain, de donner son accord pour :
- rédiger une lettre d'excuse qui devra rester confidentielle et entre les mains des avocats,
- verser à Madame X 15 000 € de dommages intérêts,
- prendre en charge les frais et honoraires de son avocat (5 500 €) et sa part d'honoraires du médiateur (700 € versés à titre de provision).
Madame X a dit que cela pourrait la satisfaire et allait bien prendre le temps de réfléchir. Une seconde réunion de médiation a été fixée 15 jours plus tard. Entre-temps, les avocats ont dû échanger sur les termes de l'accord. Au moment de partir, Monsieur V a précisé à Madame X qu'il était attristé à l'idée qu'elle ne vienne plus aux matchs et aimerait savoir si elle accepterait de venir avec lui au prochain match. Elle a répondu qu'elle ne saivait pas car cela remuait beaucoup d'émotions en elle. À l'entretien suivant, Madame X et Monsieur V ont signé l'accord préalablement rédigé par leurs avocats. Elle est allée voir un match avec son mari et Monsieur V et a précisé qu'elle sentait qu'elle reprenait enfin sa vie en main. Les parties ont décidé de ne pas revenir devant la juridiction et se sont désistées de leur instance et action.
Une justice différente de celle du juge
Le juge n'a pas le pouvoir de contraindre une partie à formuler des excuses.
Ce que les parties peuvent mettre en œuvre en médiation constitue une justice différente de celle du juge. La justice doit être rendue mais elle doit également paraître comme étant rendue, affirmait Lord Hewart. Il doit statuer en toute impartialité, se devant d’appliquer aux faits la règle de droit pertinente sans autre considération. Il peut constater qu'une règle de droit a été violée par l'une des parties et la condamner à réparer le préjudice subi par l'autre partie par le paiement de dommages-intérêts.
Le juge peut, si la loi le permet, condamner une partie à exécuter son obligation sous astreinte. Mais il ne peut condamner sous astreinte une partie à dire « je regrette », « tu as été un excellent salarié durant 20 ans mais la faute que tu as commise m'empêche de te garder, les autres salariés ne comprendraient pas » ou « je suis désolé et te demande de me pardonner ». Le juge n'a pas le pouvoir de contraindre une partie à formuler des excuses.
L'expérience nous fait dire que les modes amiables ne sont pas la panacée car tous les conflits n'ont pas pour vocation de trouver une solution amiable, certaines parties ne sont pas capables de dialoguer ou n'ont aucune envie de mettre fin à leur conflit. S'il est essentiel de tenter de s'accorder, il n'est aucunement obligatoire d'y parvenir. La médiation permet une réponse simple, rapide et adaptée aux besoins et intérêts des parties qui souhaitent résoudre un conflit déjà né mais aussi prévenir un conflit qui s'annonce. Le législateur incite à une négociation régulière entre les acteurs au sein des entreprises. Cette négociation doit être loyale. En cas d'échec des négociations, les textes prévoient qu'un procès verbal de désaccord doit être établi. Dans ce cas, on ne peut que s'interroger sur les effets de ce désaccord. En effet, si l'une des parties accuse l'autre de déloyauté ou de comportements nocifs à la réussite de la négociation, cela peut entraîner des tensions au sein de l'organisation. Il est regrettable de ne pas avoir prévu de mettre en place un processus de médiation avant de dresser un constat de désaccord des négociations. Pour que la médiation se développe dans la confiance, l'éthique et la compétence du médiateur sont essentielles, autant que celles des autres acteurs. Le médiateur doit veiller à sa posture de tiers impartial, neutre et diligent. Les avocats et autres conseillers doivent occuper leur juste place auprès de leurs clients dans ce processus global de justice amiable.
Les modes de règlement amiable des différends (MARD) recentrent le débat sur la compétence des parties à entrer et sortir du conflit, à bâtir une paix sociale durable avec l'aide du médiateur et des acteurs judiciaires. Ils posent la question de la liberté des parties de mettre en œuvre la voie amiable dans un délai et à un coût raisonnables et maîtrisés par elles. Le citoyen en conflit a donc le droit et le pouvoir d'agir dans un temps raisonnable et d'être pleinement acteur de la justice.
Les modes amiables se développeront dans les années à venir et constitueront une compétence précieuse chez les professionnels qui devront se former afin de bien s'approprier ce processus dans l'intérêt de leurs clients. Ces compétences relationnelles et stratégiques seront de plus en plus recherchées chez les praticiens du droit du XXIème siècle déjà confrontés à la concurrence de robots dotés de l'intelligence artificielle qui « exercent » déjà aux États-Unis et dans l'Hexagone. Ces avocats-robots sont particulièrement compétents en technique du droit, recherche de jurisprudence et l'évaluation des chances de gagner un procès. Mais ils ne sont pas encore dotés d'intelligence émotionnelle telles que l'empathie, la bienveillance et l'altérité, qualités humaines difficiles à programmer.