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27 / 04 / 2017 | 123 vues
Anne-Juliette Tillay / Membre
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Le travail en 2022 : perspectives critiques

Le travail en 2022
Une série de chroniques à suivre sur Miroir Social
- Anne-Julienne Tillay, secrétaire générale de l'UNSA Paris

À venir :
Françoise Maréchal-Thieullent, avocate médiatrice chez Lawcean Selarl Interbarreaux 
- Jean-Claude Delgenes, directeur général de Technologia
- Brigitte Dumont, directrice RSE d'Orange
- Marie-Jeanne Fouqué, présidente déléguée de la mission locale de Toulouse
- Michel Debout, psychiatre et professeur de médecine


De tout temps, les mutations économiques ont fait évoluer le travail en bousculant les pratiques des populations. Les mutations techniques ont entraîné des transformations quant à l’organisation du travail.

Les progrès scientifiques et techniques et les changements culturels ont toujours influé sur la conditions des salariés à travers le monde. Mais depuis peu, une transformation encore plus rapide est en cours. La mise en œuvre accélérée des nouvelles techniques de communication permet l'échange de nouvelles idées. Ce processus se combine avec une concurrence mondiale accrue, une interaction en temps réel et une grande mobilité des talents. À l'échelle planétaire, cela entraîne d’importants changements dans les modes de vie et les méthodes de travail.
 
Aujourd’hui, nos environnements de travail modernes n’ont plus rien à voir avec l’époque où l'activité laborieuse se déroulait à horaires fixes, toujours au même endroit. Les acteurs ont un plus grand contrôle sur leur manière de travailler, décidant en grande partie comment, quand et où ils travaillent. Beaucoup se félicitent de cette nouvelle autonomie même si elle est souvent la source de nouvelles contraintes.
 
Alors que notre monde évolue d’une société industrielle et de services à une société de l’information et de la communication, nos lieux et nos méthodes de travail ainsi que nos processus de production connaissent des modifications constantes et profondes. Ces nouvelles situations de travail génèrent à leur tour de nouveaux risques et posent de nouveaux défis aux travailleurs salariés ou indépendants, comme aux employeurs.
 
L'accroissement du nombre de travailleurs indépendants, des sous-traitants et des intérimaires est révélateur de l’évolution moderne du concept de travail. Cette tendance s’accompagne par ailleurs de divers facteurs comme le vieillissement de la main-d'œuvre, l’augmentation du stress professionnel et le développement des troubles musculo-squelettiques.
 
Ces nouvelles formes de travail engendrent de nouveaux risques pour les travailleurs. Pour pouvoir les conjurer, nous devons d'abord les comprendre et les évaluer. C'est une condition préalable à l'élaboration de politiques efficaces de protection. Ces politiques doivent intelligemment concilier protection renforcée des travailleurs et amélioration de la compétitivité des entreprises. Ces deux objectifs paraissent aujourd’hui de moins en moins contradictoires.
Le partage des connaissances, fondé sur une communication plus ouverte entre les diverses parties prenantes, peut fournir la base d’une meilleure compréhension des situations qui conditionnent fortement la santé et la sécurité au travail.
 
Données démographiques :
  • vieillissement marqué de la population, notamment en Chine et en Allemagne et (vaste mutation avec des départs massifs en retraite) ;
  • apparition de la génération Y : familiarisation précoce avec les NTIC, prise en compte de la précarité au début de la vie professionnelle, désir d’indépendance, primauté du loisir, volonté de s’épanouir dans le travail plutôt que de subir la contrainte aliénante de l’asservissement aux tâches imposées par le cadre hiérarchique. Née dans un contexte de crise économique et financière, cette génération a été bercée dans la morosité, le pessimisme et la précarité du marché du travail qui lui a fait dire adieu au CDI. Elle refuse d'adopter le rythme qui a été le nôtre. Les diplômes ne seront plus ce qu'ils étaient. Le transfert des connaissances se fera autrement, remettant en cause la notion et la nature des diplômes. De nombreux jeunes ont une volonté de court-circuiter l'école et ce sont notamment eux qui vont bouleverser les méthodes et l'organisation du travail.
Mobilité géographique : le sujet est mobile dans l’entreprise, entre l’entreprise et son domicile (télétravail, « agile-work ») et d’une entreprise à l’autre.
 
Développement de l’intelligence artificielle : dans maintes situations, la machine est devenue plus performante que l’être humain. L’automatisation a d’abord concerné les processus les plus aisément automatisables puis a concerné des actes de plus en plus complexes, jusqu’à concurrencer les activités humaines supérieures. Que l’on pense à la partie d’échecs récemment gagnée par la machine sur l'un des meilleurs joueurs au monde.

L’irruption des systèmes experts a modifié et modifiera de plus en plus les relations internes et externes à l’entreprise. C'est ainsi que vont se développer des plates-formes entièrement numériques en utilisant le langage naturel, sans intervention humaine.

Données organisationnelles : avec des structures verticales étanches les unes aux autres, l'entreprise pyramidale va avoir du mal à survivre. L’organisation horizontale « en réseau » prend progressivement le relai de l’ancienne conception. Les conséquences portent aussi bien sur les surfaces nécessaires à l’exercice de l’activité économique que sur les relations interindividuelles où la notion hiérarchique (pouvoir du sacré) connaît une forte remise en cause.
 

L'entreprise ne peut plus se concevoir comme une forteresse

Alors que la révolution due à la numérisation des activités n'en est qu'à ses débuts, les entreprises traditionnelles et les institutions publiques n'anticipent pas suffisamment les bouleversements qu'elles vont devoir affronter pour rester compétitives. Beaucoup appréhendent à tort cette métamorphose comme une adaptation progressive et douce.

 
Or les règles ont radicalement changé. En réalité, l'essence même de l'entreprise et de toute organisation est touchée : le partage des connaissances, la démocratisation d'internet et l'essor des objets connectés induisent de nouveaux processus et des méthodes de management innovantes, inspirés du modèle des « start-ups ».

Il nous faut impérativement comprendre les enjeux de cette transformation numérique dans tous les secteurs de nos sociétés, donc de nos existences.
 
Les conditions technologiques, économiques et sociales qui façonnent les lieux et les forces de travail à l'échelle européenne et mondiale sont en mutation rapide et profonde.
La mise en place de notre politique de santé et de sécurité au travail doit adopter une démarche politique, administrative et technique en phase avec ces changements. Alors que nous demandons aux travailleurs salariés de s’adapter à l’évolution des compétences, des technologies, des matériels et des processus de production, nous devons être en mesure de prouver l’innocuité de ces changements. Il reste encore du chemin à parcourir pour mesurer tous les effets de ces nouvelles technologies sur notre façon de travailler, notamment les réseaux sociaux, les jeux vidéos et les terminaux mobiles.
  • Quelles seront les relations entre entreprises et salariés ?
  • Quelles seront les lignes de partage entre vie personnelle et vie professionnelle ?
  • Comment les pratiques de management s’adapteront-elles ?
  • Quel sera notre rapport au travail et quels seront nos rapports de collaboration ?
  • Quels seront les espaces de travail et notre lien à la productivité ?
Toutes ces questions (et bien d’autres) doivent déjà être posées si l’on veut penser les organisations en réseaux, le travail dans ses nouvelles modalités et les compétences individuelles et collectives en cohérence avec les évolutions de la société. 
 
Si l'on veut ces mutations anticiper plutôt que de les subir, celles-ci doivent être abordées par l’ensemble des parties prenantes dans tous les secteurs de la société. Trop de travailleurs sont encore tués ou blessés dans des accidents du travail. Nous avons toujours un potentiel élevé de progrès à concrétiser en matière de santé et de sécurité comme facteur d’employabilité.
Un trop grand nombre d’avancées obtenues au niveau législatif n’ont toujours pas été traduites en actions nationales, sans même parler, de leur application sur le lieu de travail.
La mise en œuvre des politiques doit anticiper plus efficacement le rythme de l’évolution des technologies, des matériels et de l’organisation du lieu de travail. 
 
L’intelligence artificielle a déjà et aura une influence majeure sur de nombreux métiers, sur l’organisation du travail, sur le management et sur le quotidien des populations. Cette emprise est appelée à connaître un développement soutenu dans les prochaines années.
Selon une étude publiée en mai 2016 par l'OCDE, 9 % des emplois sont menacés par les robots.
 
Un grand nombre de métiers tel que les experts-comptables, les professionnels de santé, de l’information, les notaires, les avocats, la justice, les assureurs, les chauffeurs de véhicules et les aides à domicile sont susceptibles de voir leur contenu évoluer sous l'effet de l’intelligence artificielle et de la robotique. Celles-ci sont en effet capables d’intégrer des masses considérables de données et de les combiner pour en faire surgir des solutions nouvelles.
 
D'ou l'impérieuse nécessité de développer la formation car les progrès techniques doivent apporter plus d'expertises et plus de compétences.
 
Exemple de l'intelligence artificielle appliquée au secteur bancaire : dans les métiers de la banque, les transformations induites par les logiciels d’intelligence artificielle pour aider les conseillers dans l'exercice de leur profession, sont déjà palpables. Le personnel en agence se compose aujourd’hui de généralistes maîtrisant un certain nombre de produits (jusqu’à 100) à la disposition de la clientèle, grâce au recours aux bases de données interactives. Ainsi, l’apport de l’intelligence artificielle ne se limite pas aux manufactures ou aux voitures autonomes : de nombreux emplois sont concernés, surtout ceux qui misent beaucoup sur l’intelligence humaine.
 
Il ne faudrait pas croire que l’apport de l’intelligence artificielle va se limiter aux manufactures ou aux voitures autonomes ; de nombreux emplois sont visés, y compris ceux qui misent beaucoup sur l’intelligence humaine. 
 
L’automatisation guette aussi le secteur de l’aviation. À court ou moyen terme par exemple, l’inspection des avions se fera vraisemblablement avec des drones. À l’heure actuelle, il faut compter environ deux heures et plusieurs employés juchés sur des grues mobiles pour inspecter un avion commercial. Dans quelques années, ce sera probablement l’affaire de quelques drones et l'opération ne  prendra qu’une quinzaine de minutes pour s’exécuter.
Ce phénomène, avançant tel un tsunami, suscite en nous plusieurs interrogations.

Est-ce la fin de l'entreprise et du salariat ?

Non, certains métiers manuels ont encore un bel avenir devant eux mais il va falloir trouver les leviers pour articuler le nouvel écosystème et surtout le faire cohabiter avec l'ancien. 
Il va aussi falloir repenser le financement de la protection sociale issue des salaires.
 
Qu'en est-Il de la taxation des robots ? Quel cadre juridique conférer à l’intelligence artificielle : comment encadrer son usage, concevoir les indispensables garde-fous à son vertigineux développement etc. ?
 
Cette nouvelle révolution industrielle aux multiples aspects et à la combinatoire déroutante est sûrement un vecteur d’opportunités, non dépourvu de risques. 
 
À la question « le travail en 2022 renaissance ou catastrophe », j’aimerais souligner que dans la révolution du travail en cours, il y a deux manières de rendre un mauvais service aux salariés : rejeter la technologie numérique ou croire qu’elle va les sauver. Jouer les Cassandre ou jouer les naïfs. 

En valorisant l’autonomie, en réduisant la part des tâches répétitives et en accroissant la productivité, le numérique favorise la prospérité et allège le fardeau des travailleurs. Mais en fragilisant les statuts, en isolant chaque contributeur et en individualisant à outrance les performances, elle peut être la source de nouvelles aliénations. 

Notre préoccupation commune ne doit-elle pas être de libérer l’entreprise sans fragiliser le salarié, combattre l’uberisation sans tuer Uber et ses émules et assouplir l’économie sans détruire le contrat social ?

La question n’est pas d’être pour ou contre. Il s’agit de trouver les règles nouvelles qui permettront de maîtriser la nouveauté. Quelle évolution pour le droit du travail ? Quelle organisation de l’entreprise ? Quelle sécurité pour l’auto-entrepreneur ? Quel environnement légal pour favoriser l’initiative ? 

Comment va-t-on répartir les richesses générées par ces technologies en matière de salaire, de retraites progressives, d'horaires et de besoins individuels et d'écologie ? Même si la nouveauté technique balaye certains industries et modes opératoires, il faudra favoriser l'émergence de nouveaux modèles qui pourraient aider à aborder les nouvelles configurations du marché du travail pour faciliter l'égalité entre hommes et femmes avec des progrès qui doivent profiter à toute l'humanité. L'intelligence artificielle doit servir l'intelligence émotionnelle en considérant d'abord les besoins de l'humain.

Ces transformations et mutations sont inéluctables. Dès lors, sans tarder ni tergiverser, il faut mettre en place des modalités de concertations nouvelles et une adaptation de l'ensemble des interlocuteurs sociaux à la nouvelle structuration des systèmes économique, social et politique. Les modalités de fonctionnement de l'entreprise doivent être repensées. C’est dans cette perspective que nous devons dès maintenant travailler à une adaptation progressive de nos milieux professionnels, en imaginant des solutions innovantes. Il faut préserver l'expression des collectifs de travail sans lesquels il n'y a pas solidarité possible. Nous devons dès aujourd'hui travailler à une adaptation progressive avec des solutions innovantes. 

La société de demain doit être à l'image de ce que l'on en fera et il faut espérer mieux, à savoir une société plus sûre, plus juste, plus solidaire et plus belle.
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