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23 / 09 / 2016 | 24 vues
Delphine Marseglia / Membre
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La meilleure façon de combattre l’illettrisme en entreprise est d’en parler professionnellement…

En 2012, 51 % des 2,5 millions d'illettrés identifiés en France métropolitaine travaillaient. En 2004, ils étaient 3,1 millions dont 57 % à occuper un emploi. L’illettrisme devient de moins en moins compatible avec une activité professionnelle, notamment du fait d’une dématérialisation croissante des échanges exigeant une maîtrise de l’écrit.

  • L’enquête, en forme de test d’évaluation (menée par l’INSEE et l’ANLCI en 2004 puis en 2012 sur un échantillon de plus de 13 000 actifs) constitue un outil de pilotage essentiel pour l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) qui fournit le questionnaire.

« Mesurer précisément l’illettrisme est essentiel pour suivre les résultats des actions engagées sur le territoire mais c’est un combat en lui-même que de convaincre les décideurs sur la nécessité de la reconduire tous les 8 ans. Cela a en effet un coût et la différence avec l’enquête Pisa de l’OCDE qui évalue et compare les niveaux scolaires n’est parfois pas bien comprise », souligne Hervé Fernandez, directeur de l’ANLCI, à l’occasion du café social organisé par Miroir Social, en partenariat avec le groupe Up le 13 septembre.


 
« Tous les leviers sont à prendre. L’initiative peut venir du salarié dans le cadre de son CPF ou de l’entreprise via son plan de formation » - Hervé Fernandez, ANLCIL’écho médiatique de la troisième édition des journées nationales d’action contre l’illettrisme (du 5 au 10 septembre), dont le thème central était consacré à l’illettrisme numérique, est jugé très satisfaisant. Le numéro vert d’Illettrisme Info Service (0800.11.10.35) était à l’affiche. C’était l’occasion pour l’ANLCI de valoriser toute la chaîne des parties prenantes en capacité d’agir. D’abord, le réseau des associations et les centres de ressources contre l’illettrisme (CRI) et des organismes de formation partenaires accompagnant les illettrés. Le financement des formations pouvant se faire via les conseils régionaux, les OPCA (collecteurs de la formation professionnelle des branches) et le compte personnel de formation (CPF) dont les droits sont majorés pour les salariés sans qualification initiale. Mais avoir des structures d’accompagnement pédagogique et des financements ne sert pas à grand-chose si les personnes concernées ne poussent pas la porte. En cela, les caisses d’allocations familiales (CAF), les travailleurs sociaux, Pôle Emploi ou encore les entreprises assurent un rôle clef de « détecteurs » et de sensibilisation au passage à l’action des illettrés. « Tous les leviers sont à prendre. L’initiative peut venir du salarié dans le cadre de son CPF ou de l’entreprise via son plan de formation », considère Hervé Fernandez.

La culture conviviale

« Organiser des journées de révisions dans nos locaux pour les enfants de salariés fait partie de nos projets » - Thomas Delpech, groupe Up  Dans ce contexte, quels rôles tiennent les représentants du personnel pour amorcer le déclic qui fera que les salariés accepteront de dévoiler leur défaut de maîtrise de l’écriture et du calcul ? Mettre tout le monde à l’aise avec la culture est un préalable. Le CE du groupe Up a récemment organisé une dictée à laquelle 60 salariés ont participé. Un succès. En toute logique, les meilleurs ont été récompensés par des chèques lire et chèques culture. Les enfants des salariés n’ont pas été oubliés. Une cinquantaine bénéficie d’une aide au soutien scolaire. « Organiser des journées de révisions dans nos locaux pour les enfants de salariés fait partie de nos projets. Ce serait aussi l’occasion pour les enfants de découvrir l’entreprise. L’illettrisme existe aussi chez nous. À chaque fois que des situations se sont révélées, les salariés ont bénéficié d’un accompagnement sur mesure », explique Thomas Delpech, secrétaire du CE du groupe et délégué général de la fondation du groupe agissant à son origine pour la lutte contre l’illettrisme et aujourd’hui, dans le cadre d’une mission plus globale de lutte contre toute forme d'exclusion et de discrimination.
 
Avec 12 000 salariés dans les services à la personne, le groupe 02 se trouve en première ligne face à l’illettrisme au regard du faible niveau de qualification d’une majorité de l’effectif. « Nous avons décidé d’agir il y a un an en proposant aux familles la prise en charge d’un accès d’un an à une plate-forme d’accompagnement scolaire en ligne (www.zupdecours.com) avec l’idée de sensibiliser aussi les parents à travers leur enfant. La direction a largement communiqué sur cette offre du CE mais nous constatons que c’est un échec avec seulement une vingtaine d’accès aux activés en un an », témoigne Catherine Le Floch-Louboutin, élue CFDT du CE 02. Pas facile pour des adultes de repasser par la case école. La recette n’a pas encore été trouvée mais les élus sont bien conscients du problème.

Quel intérêt à dévoiler sa situation ?

Aujourd’hui, les tests de recrutements de 02 ne permettent plus de recruter des gens ne maîtrisant pas la lecture, l’écriture et le calcul. « Je trouve dommage que Pôle Emploi nous envoie encore des candidates illettrées ou analphabètes. C’est un gâchis de se retrouver face à quelqu’un qui a pourtant le bon profil. Je l’oriente alors vers des associations avec beaucoup de frustration », ajoute Catherine Le Floch-Louboutin, par ailleurs responsable d’une agence et à ce titre recruteuse.

Revenons aux salariés en poste. Quel est l’intérêt pour ces derniers de se dévoiler ? Si la reconnaissance de salariés handicapés va de pair avec de potentiels aménagement de poste, une sécurisation de l’emploi et un avantage financier pour l’employeur, il n’en est pas de même pour les salariés illettrés. Ce n’est pas un handicap au sens strict et permanent du terme mais une situation qui complique grandement la vie des salariés concernés. Dès lors, quel intérêt à partager ce déficit d’apprentissage si les techniques de camouflage fonctionnent ? Même si l’exercice est source de stress, pourquoi donc révéler une situation de « faiblesse » alors que l’on a justement réussi à intégrer le monde du travail. La crainte de perdre son travail est bien réelle.

À charge pour les employeurs de mettre en confiance. « Nous avons pris l’initiative de mettre en scène une représentation sur l’illettrisme, « déchiffrer des lettres », il y a un an. Nous n’avons pas encore réussi à convaincre une direction ou un CE de proposer cette pièce de théâtre qui permet justement de lever tous les a priori. Notre pièce sur le handicap fonctionne en revanche très bien », témoigne Vincent Priou-Delamarre, associé de Co.Théâtre, une troupe spécialisée dans le théâtre d’entreprise. Par comparaison, on en est à la 20ème édition de la semaine pour l’emploi des handicapés (14-20 novembre 2016).

Le degré de sensibilisation des élus sur le sujet est variable, d’autant que l’illettrisme les concerne aussi. Certains déploient des trésors d’énergie pour compenser. À l’image de cet élu du CE d’une entreprise de transport public qui ne prenait aucune note lors des réunions d’instance mais dont les comptes rendus étaient jugés très pertinents et synthétiques. « Il mémorisait tout puis faisait tout retranscrire ensuite », rapporte Hugues Lenoir, enseignant chercheur à l’Université de Nanterre, auteur d’une recherche en 2004 sur le syndicalisme et l’illettrisme (en téléchargement dans le bloc des ressources). « Savoir mobiliser est une chose, amener les personnes concernées à se saisir des aides proposées et à enclencher un apprentissage en est une autre. Il y a un travail important à effectuer à ce niveau auprès des militants dans les entreprises », rebondit Caroline Lobjoit, en charge de la formation à la fédération transport de la CFDT.

 

Ne pas revenir au scolaire

Le certificat professionnel CLÉA, créé par le comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation (COPANEF), s’adresse aux salariés et chômeurs non diplômés pour valoriser la maîtrise des connaissances de base. « Ces situations professionnelles sont analysées tant sur le plan de l’écrit que de l’oral ou du calcul. L’expérience est au cœur du dispositif et a toute son importance. Ce n’est pas stigmatisant. l’objectif n’est pas de mettre la personne en situation d’échec, au contraire. Environ 12 % des 1 000 personnes que nous avons pour le moment évaluées à l’AFEC sur le référentiel CLÉA ont obtenu la certification sans avoir à suivre de formation », explique Caroline Jonot, chef de projets formation à AFEC (groupement 2A2C), groupement d’organismes de formation habilité à la certification des compétences et des connaissances de base (CLÉA). Révélateur, c’est essentiellement un public de chômeurs qui bénéficie du dispositif lancé il y a un an.

« Il y a de véritables problèmes au niveau des échanges par e-mails avec les clients du côté des encadrants. La direction en est bien consciente » -  Catherine Le Floch-Louboutin, 02Les entreprises restent très frileuses à l’idée de lancer une dynamique collective sur ce terrain des « compétences clefs ». D’autant que les salariés concernés ne voient pas vraiment le bénéfice d’une certification n’apportant aucun droit à une équivalence de niveau de qualification 5 (CAP, BEP) pas plus que des perspectives de promotion professionnelle. « La logique est de pouvoir adapter l’évaluation au contexte de chaque entreprise. Cela permet certes d’identifier l’illettrisme mais dans un contexte professionnel. Il s’agit de se servir de l’activité professionnelle comme levier pour acquérir le socle des compétences. La démarche n’est pas scolaire », poursuit Caroline Jonot. Ce manque d’appétence des directions à se saisir du sujet est symptomatique d’une « absence de culture de formation dans beaucoup d’entreprises à l’instar d’une société française où l’on préfère soigner que prévenir. Il y a une impossibilité à trouver du temps et des financements pour former efficacement et durablement les travailleurs en difficulté », estime Didier Cozin, responsable du cabinet AFTLV.

Les difficultés rencontrées à l’écrit concernent aujourd’hui une part de salariés bien plus large que ceux confrontés à l’illettrisme. C’est l’occasion de les mettre à l’aise. « Il y a de véritables problèmes au niveau des échanges par e-mails avec les clients du côté des encadrants. La direction en est bien consciente », précise Catherine Le Floch-Louboutin. De l’intérêt d’avoir une approche globale, professionnelle et des compétences de base ne rimant pas avec « retour à l’école ». Et Hervé Fernandez de conclure en rappelant que « les employeurs ont la responsabilité de garantir l’employabilité de tous leurs salariés ».

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