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La dignité du salarié : un principe juridique encore dans le flou
L’article L. 1121-1du Code du travail dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Dès lors, quand on parle de la dignité du salarié, cela recouvre les droits de la personne au travail.
La frontière est donc ténue avec les agissements de harcèlement, tant sexuel que moral.
- Pour autant, il semble que nous nous dirigeons vers un principe juridique autonome de préservation de la dignité du salarié qui ne soit pas accolé à une question de harcèlement au préalable.
Le harcèlement peut très bien «glisser » sur une atteinte à la dignité du salarié mais, il n’en n’est pas une condition.
En effet, l'article L. 1152-1 du Code du travail dispose « qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Cette définition du harcèlement moral présente un caractère répétitif des agissements coupables et de leurs conséquences.
Quid juris : l’atteinte à la dignité d’un salarié doit-elle aussi présenter un caractère récurrent ?
La Cour de Cassation a répondu par la négative à plusieurs reprises en précisant qu’une atteinte à la dignité du salarié peut exister en dehors de tout harcèlement moral.
Il s'agit alors d'un manquement de l'employeur susceptible de justifier une prise d'acte de rupture ou une demande de résiliation judiciaire à ses torts.
Toutefois, pour que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis mais, constituer des manquements suffisamment graves pour caractériser une rupture imputable à l'employeur.
La haute juridiction nous rappelle que l’atteinte à la dignité d’un salarié est un non-respect par l’employeur des obligations inhérentes au contrat de travail qui lui incombent.
Quid juris : que signifie l’atteinte à la dignité d’un salarié ?
Ici, c’est l'examen des circonstances qui s’avèrera déterminant. En tout état de cause, la dignité s’entend du respect que mérite quelqu’un ou quelque chose. En clair, un salarié n’a pas à subir de façon silencieuse et passive des critiques, accusations et dénigrements de son employeur dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail.
De plus, tout employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat et doit assurer une protection effective de la sécurité des travailleurs. Par conséquent, il doit tout mettre en œuvre à cette fin, avant que ne survienne l'événement qui portera atteinte à l'intégrité du salarié. Dans ce contexte, c’est l’action préventive qui sera finement observée et appréciée en cas de litige. Par ailleurs, pour être efficace, la protection doit couvrir tout type de risques affectant les personnes et y compris ceux d'origine psychique.
Dans une affaire récente, une salariée avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de condamnation de son employeur au paiement de dommages-intérêts en faisant valoir qu’elle avait été victime de harcèlement moral et de comportements portant atteinte à sa dignité. Licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement, elle avait formé des demandes subsidiaires de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, et de dommages-intérêts pour préjudice moral et conditions vexatoires de la rupture. En l’espèce, au cours d’un entretien, l’employeur avait tenu des propos indélicats aux termes desquels il lui reprochait de dégager des odeurs nauséabondes en évoquant « une gangrène, une incontinence »…
Quid : ces faits isolés pouvaient-ils justifier la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur ?
La chambre sociale de la Cour de Cassation a répondu par l’affirmative pour le motif que l’atteinte à la dignité de son salarié constitue pour l’employeur un manquement grave à ses obligations.
Dans cette jurisprudence, la salariée avait transmis des certificats médicaux attestant d’un syndrome dépressif ainsi que des attestations faisant état du comportement dégradant et de propos humiliants de son employeur, ce qui laissait présumer l’existence d’un harcèlement moral. On se trouvait donc bien face à une dégradation de ses conditions de travail d’autant plus réprimandable du fait de son handicap. La Haute Cour a rendu son jugement sur la base de l’obligation de bonne foi de l’employeur dans le cadre de ses relations contractuelles avec son salarié et non sur la notion du harcèlement moral. Seule l’atteinte à la dignité du salarié a été sanctionnée, ce qui laisse donc « la porte ouverte » à des conflits sur la base de ce principe juridique encore en balbutiements…
Pour conclure ce sujet sensible, puisque éminemment « humain », il semble opportun de citer ici l’article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui affirme que « tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité ».
Enfin, sans avoir nécessairement besoin d’évoquer le droit communautaire, dans nos principes à valeur constitutionnelle, la dignité de la personne humaine est un principe constitutionnel qu’il faut sauvegarder.