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24 / 05 / 2012 | 8 vues
Denis Garnier / Membre
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La cuisine hospitalière, une histoire de productivité

Arnaud travaille au Centre Hospitalier de Chartres depuis bientôt vingt ans. Il est cuisinier dans le service restauration. Il a pu y mesurer les évolutions. « Aujourd’hui, ce n’est plus de la cuisine mais vitesse et rentabilité. À la préparation chaude, nous sommes 2 aux légumes et 2 aux viandes. Nous devons « cuisiner » 4 000 repas par jour et sur 5 jours. Il y a dix ans, nous étions le double.

Nous devons faire de la qualité mais ce n’est pas possible. Nous devons travailler avec des matières premières économiques, donc de moindre qualité. Les prix flambent mais le budget dédié à l’alimentation est le même depuis quatre ans.

  • À titre d’exemple, quand nous préparons un bourguignon, on nous demande de ne plus faire revenir la viande avant. Nous devons la jeter crue dans un fond de sauce tout prêt. Au total, nous gagnons 2 heures de travail, mais ce n’est pas bon.

Aux préparations froides, nous sommes 4 pour « réaliser » 1 700 entrées et plus 3 800 desserts quotidiennement. Nous étions 6 il y a dix ans. Plus question de réaliser des petits desserts maison. Nous y passons trop de temps et cela coûte donc cher ». Arnaud raconte combien les petits riz au lait aux abricots et les poires belle-hélène étaient bons. Les malades étaient contents. Un souvenir...
  • « Même avec des produits tout prêts on nous demande d’aller toujours plus vite. Nous avons même vu notre responsable avec une ribambelle de chronomètres mesurer le temps que nous mettions pour réaliser chaque plat ».

Quand on est de chaîne, on sait qu’on va en baver

« Des collègues font cela toute l’année. Le matin, dès leur arrivée, ils ont moins d’une heure pour laver plus de 650 bols, plateaux et couverts du petit déjeuner. Pendant ce temps, d’autres collègues préparent la chaîne de conditionnement pour réaliser les plateaux des patients/clients.

Après avoir lavé les bols dans une pièce à 30-35°C (beaucoup plus durant l’été), nous nous changeons pour être « propres ». Nous nous rendons dans la salle de conditionnement plateau. Il y fait entre 6 et 8°C. C’est « la chaîne » : un poste pour tout ! Un poste pour les viandes, un pour les légumes, un pour les entrées/desserts... Tout pour offrir un plateau correct et conforme à la commande ou aux régimes. Nous sommes 7 sur cette chaîne.

  • Nous avons moins de 2 heures pour préparer environ 600 plateaux, soit 5 plateaux à la minute.


Ensuite, c’est le nettoyage complet de la pièce et du matériel. Une fois fini, deux d’entre nous allons faire la plonge au self. Il y fait là une chaleur considérable. Au total, 550 plateaux à desservir et à laver. Si toutefois nous n'avons fini dans les 2 heures, nous avons le droit à notre pause de 20 minutes. Sinon, la moitié de l’équipe prend sa pause pendant que l’autre continue et vice versa. Pour finir à l’heure, il faut que les services de soins nous renvoient les chariots à l’heure dite, sinon c’est la catastrophe pour nous.

Un stress permanent. Le chronomètre veille toujours. Les responsables le rappellent tout le temps. Les conditions de travail sont éprouvantables. Une heure dans le chaud, deux heures dans le froid. Trois heures dans le chaud, deux heures dans le froid et le reste du temps dans le chaud. Une chaleur et une humidité qui jouent sur notre état de santé. Sans compter des troubles intestinaux perpétuels.

À la réception des matières premières, il n’y a qu’un seul agent. Des tonnes par jour à manipuler. De plus, les portes du congélateur sont trop petites et il est impossible d’y rentrer une palette. Il doit donc manipuler carton par carton pour stocker dans le congélateur à -26°C. C’est pareil pour les sortir, lorsqu’en cuisine, on a besoin de matières premières. Impossible d’avoir une nouvelle porte ou un nouveau congélateur. Cela coûterait trop cher. Une nouvelle cuisine doit voir le jour, mais c’est une annonce faite il y a plus de dix ans maintenant.

Nous sommes de moins en moins nombreux, avec du personnel de moins en moins qualifié. L’hôpital veut recruter des agents avec un Bac Pro de cuisinier pour un SMIC.

En 2011, les CDD avaient encore à prendre la totalité de leurs congés, RTT et autres repos. 88 jours au total.

Il y a une rotation de personnel très importante car personne ne veut rester, vu les conditions de travail. Tous les « anciens » sont partis pour aller faire de la vraie cuisine ailleurs ».

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