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La Cour d'Appel de Paris « met les voiles » sur l'affaire Baby Loup
À la fin du XVIIIème siècle, une métaphore issue de l’expression « mettre les voiles » est utilisée pour décrire le fait de s'en aller le plus vite possible, le bateau hisse toutes ses voiles, pas seulement son génois ou sa trinquette ; il met donc en œuvre tous les moyens dont il dispose pour arriver à son but.
L’affaire Baby Loup repose sur la question du principe de neutralité. Ce dernier ne s'imposant pas aux personnes privées, une entreprise ou une association ne peut invoquer le principe de laïcité pour limiter la liberté religieuse d'autrui qu'il s'agisse de ses salariés ou de ses clients. Il n'existe pas en droit du travail d'équivalent au principe de neutralité des agents du service public.
C’est la directive européenne du 27 novembre 2000 sur l'égalité de traitement en matière d'emploi et deux articles du Code du travail qui définissent les seules règles s'appliquant aux salariés de droit privé. L'article L. 1132-1 pose un principe de non-discrimination en matière de droit du travail (du recrutement au licenciement, en passant par toutes les évolutions de carrière), qui inclut les convictions religieuses. L'article L. 1121-1 pose, quant à lui, un principe de protection des libertés fondamentales au travail : « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Seule exception autorisée à ces exigences, les entreprises dites « de conviction », qui sont des entreprises dans lesquelles « une idéologie, une morale, une philosophie ou une politique est expressément prônée ». Autrement dit, l'objet essentiel de l'activité de ces entreprises est la défense et la promotion d'une doctrine ou d'une éthique. Il est admis que, dans de telles entreprises (établissements d'enseignement religieux, associations, partis politiques, organisations syndicales), l'employeur soit en droit d'exiger du salarié une adhésion aux valeurs véhiculées par l'entreprise, ce qui peut justifier une restriction de sa liberté de conscience. Mais, là encore, l'employeur doit être en mesure de démontrer l'existence d'un trouble objectif et caractérisé.
En tout état de cause, l'interdiction ne peut être ni générale, ni absolue. L'appréciation de la situation doit être faite in concreto et les modalités de cette restriction doivent pouvoir être discutées avec les intéressés au cas par cas. Il appartient à l'employeur de justifier la nécessité et la proportionnalité de sa décision au regard des tâches concrètes de chaque salarié et du contexte de leur exécution, afin de démontrer que sa décision est nécessaire et proportionnée et qu'elle repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
C'est le sens de l'arrêt de la Cour de Cassation du 19 mars 2013, dans l'affaire Baby Loup où les hauts magistrats ont estimé que la clause du règlement intérieur de l’association instaurait une restriction générale et imprécise ne répondant pas aux exigences légales. Petit rappel des faits : une salariée avait été engagée en qualité d’éducatrice de jeunes enfants, exerçant les fonctions de directrice adjointe de la crèche et de la halte-garderie Baby Loup.
Au retour de son congé maternité suivi d’un congé parental, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire. Son licenciement pour faute grave a été prononcé pour avoir refusé de retirer son foulard islamique pendant les heures de travail et avoir eu un comportement inapproprié après sa mise à pied. S’estimant victime d’une discrimination au regard de ses convictions religieuses, elle avait saisi le conseil de prud’hommes pour réclamer des indemnités pour licenciement nul et, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse.
Quid : est-ce qu’une personne morale de droit privé, qui assure une mission d’intérêt général, peut dans certaines circonstances constituer une « entreprise de conviction » au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ?
Quid : le règlement intérieur d’une crèche peut-il prévoir une obligation de neutralité du personnel dans l’exercice de ses tâches ?
Si l'on peut répondre par l’affirmative à ces deux questions de droit alors une obligation qui emporte l’interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion serait justifiée et légitime.
Dans le cas de l’association Baby Loup, cette dernière a pour objectif de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes sans distinction d’opinion politique et confessionnelle. L’association tient à ce que son personnel accomplisse ces missions dans le respect du principe de neutralité.
Quid : Baby Loup peut-elle être qualifiée « d’entreprise de conviction » en mesure d’exiger la neutralité de ses employés ?
En l’espèce, la formulation de cette obligation de neutralité figurait dans le règlement intérieur et n’avait pas la portée d’une interdiction générale puisqu’elle excluait les activités sans contact avec les enfants, notamment celles destinées à l’insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier qui se déroulaient hors la présence des enfants confiés à la crèche.
La Cour d’Appel de Paris décide que les restrictions ainsi prévues sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché au sens des articles L.1121-1 et L.1321-3 du Code du travail. Dès lors, elles ne portent pas atteinte aux libertés fondamentales, dont la liberté religieuse et ne présentent pas un caractère discriminatoire au sens de l’article L.1132-1 du Code du travail. Ainsi, pour les juges du fond, une structure privée assumant une mission d'intérêt général peut, sous conditions, constituer une entreprise de « conviction ». Partant du constat que la crèche assure une mission d’intérêt général et réunit les conditions d'une entreprise de « conviction », la Cour d’Appel de Paris a jugé qu’elle peut exiger une obligation de neutralité de la part de son personnel. Reste à patienter jusqu’à la « prochaine navette » devant l'assemblée plénière de la Cour de Cassation pour connaître l’issue de cette controverse…
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