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30 / 04 / 2012
Denis Maillard / Membre
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L’information-consultation est-elle capable de sortir du jeu de rôle ?

Rien ne dit que la négociation interprofessionnelle sur la modernisation du dialogue social, qui découle de la position commune d’avril 2008, ira au bout. L’objectif est ambitieux puisqu’il vise à prendre en compte les données tant économiques que sociales sous l’angle de la construction de la valeur ajoutée. Une approche qui se veut constructive alors que tout le monde s’accorde à dire qu’un jeu de rôle est entretenu sur le nœud que constitue l’information consultation du CE, avec d’un côté des employeurs qui cherchent à en dire le moins possible alors que les décisions sont prises, et de l’autre, des représentants de salariés qui actionnent tous les leviers possibles pour retarder le moment de rendre un avis. Le consensus reste à trouver sur la façon de sortir de ce jeu de rôle.

L’information, socle de la confiance

« Il y a deux sortes d’employeurs. Ceux qui ne donnent aucune information et ceux qui en donnent trop. Cela revient au même, surtout avec seulement 15 heures de délégation par mois », déclare Thierry Lepaon, membre de la commission exécutive de la CGT. À partir d’un état des lieux caractérisé par le formalisme et le juridisme, la négociation sur la modernisation du dialogue social s’est d’abord concentrée sur l’idée de s’entendre sur le contenu d’une base de données économiques et sociales partagées, traduisant la répartition de la valeur ajoutée avec une approche élargie. « Les représentants des salariés doivent appréhender ce qui se passe autour d’eux en prenant en compte les CDD, les intérimaires, les sous-traitants, les fournisseurs. C’est là que les inégalités sont devenues les plus criantes », affirme Marcel Grignard, trésorier confédéral et négociateur de la CFDT sur ce sujet de modernisation du dialogue social.

  • Ce nouveau socle d’informations, en cours de finalisation, viendrait enterrer un bilan social obsolète et créerait les conditions pour que les directions informent mieux en amont les représentants des salariés sur des options stratégiques. L’objectif de cette négociation vise bien à réduire la conflictualité.

Pourtant, « si les réponses aux questions posées par les représentants du personnel ne sont pas satisfaisantes, il ne faut surtout pas hésiter à saisir les juges qui pourraient d’ailleurs avoir un rôle pédagogique pour rapprocher les parties, s'ils étaient plus accessibles et mieux formés au social », estime Thierry Lepaon. Une position minoritaire parmi les débatteurs qui s’accordent cependant sur l’idée de mieux informer en amont des prises de décision. Ce qui ne va pas sans soulever des questions. « On peut imaginer plus de sécurité juridique en contrepartie de plus de transparence, mais les représentants des salariés sont-ils capables de résister à la pression ? Cela peut être un cadeau empoisonné que de les transformer en détendeur d’orientation stratégique », s’interroge Pascal Lagoutte, avocat associé au sein du cabinet Capstan. Le droit de véto n’est d’ailleurs pas une revendication des syndicats, lesquels s'accommodent plutôt bien d’un avis consultatif. À chacun ses responsabilités.

Place à l’innovation sociale


« Il conviendrait de remettre les choses dans l’ordre en faisant en sorte que les CHSCT puissent conduire des études de faisabilité humaine et sociale en amont du processus d’information-consultation du CE », propose Jean-Claude Delgenes, directeur général du cabinet Technologia. Les décisions sont prises par le top management après une réflexion menée le plus souvent en petit comité. Muries hors de toute négociation, ces décisions sont ensuite découvertes par les élus et même le management intermédiaire au moment où elles doivent être appliquées : « Les dysfonctionnements actuels témoignent de ce choc des temporalités qu’il faut corriger » affirme Jean-Claude Delgènes. Une façon d’intégrer la question des conditions de travail dans une vision globale de la valeur ajoutée. « Les juges de la Cour de Cassation appellent à une clarification des attributions des CHSCT », fait remarquer Pascal Lagoutte qui se montre dubitatif par rapport aux propositions du candidat Hollande et de certains syndicats de faire élire directement par les salariés les représentants de cette instance qui prend de plus en plus de poids. « Cela faciliterait l’instrumentalisation de l’instance », estime-t-il.

  • Fusion des CE, des CHSCT et des DP, « sanctuarisation » des CHSCT, autant de sujets que la négociation sur la modernisation du dialogue social, entamée il y a maintenant 3 ans, n’a pas encore abordés alors que le cumul des mandats est une tendance de fonds et que le candidat Sarkozy s’est prononcé pour une fusion des instances dans les entreprises de 50 à 300 salariés.

Pour la CFDT, cette négociation doit déboucher sur un fonctionnement assoupli des instances. « Nous tenons à identifier un socle opposable à toutes les entreprises, qui pourrait être complété par une série d’obligations pouvant être remplacée par des modalités négociées pour répondre aux spécificités des entreprises. Il faut donner une place à des espaces d’innovation en matière de dialogue social », explique Marcel Grignard. Voilà une position qui peut être entendue par un cabinet d’avocats comme Capstan. « Nous croyons en effet avant tout aux vertus de la négociation et de la dérogation. La loi a tendance à figer. C’est clairement ce que l’on a vu sur les accords de méthodes lorsqu’ils ont été repris dans la loi ; mais qui restent toutefois encore des solutions intéressantes pour adapter le processus d’information consultation. Encore faudrait-il que le législateur permette d’y intégrer le rôle des CHSCT », souligne Pascal Lagoutte. « Il ne suffit pas de discuter du comment dans un accord de méthode mais bien du pourquoi », répond en écho Thierry Lepaon qui soutient que la hiérarchie des normes doit prévaloir en matière de négociation sur le rôle et les attributions des instances représentatives du personnel.

Démocratie interne

La capacité des élus comme des directions à mettre les salariés dans la boucle des échanges apparaît comme la condition d’une véritable modernisation du dialogue social. Pour Jean-Claude Delgènes, « le nouveau mode de régulation sociale impose aujourd’hui un cheminement coopératif dans lequel les salariés seront parties prenantes avec la possibilité de discuter des objectifs, ce qui n’était pas le cas dans les groupes d’expression prévus par les lois Auroux ». Qu’ils soient physiques ou virtuels, des espaces s’ouvrent dans les entreprises pour canaliser l’expression des salariés. Porté par les outils 2.0, le participatif est plus que jamais dans l’air du temps. « Le droit d’expression s’apprend, s’organise et sous-entend un climat de confiance. La démocratie n’est pas seulement une question d’outils et ne se décrète pas », affirme Thierry Leapon qui assure que « l’expression individuelle ne tue pas l’expression collective ».
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