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05 / 11 / 2012 | 535 vues
Jean Louis Bally / Membre
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L'humiliation au cœur du suicide d'un guichetier de La Poste

Article publié par un collectif de Postiers sur l'Observatoire du stress 

 

Un guichetier s'est pendu dans le bureau de Poste de La Fère (Aisne) mercredi 31 octobre : sa direction voulait le dégrader et le sanctionner (à 55 ans), en l'affectant comme remplaçant volant dans les bureaux du département.



Que se passe-t-il donc à La Poste ?

La première chose qui frappe quand on examine l'évolution de l'entreprise, c'est le changement brutal de sa politique d'embauche à partir de 2008 : alors qu'avant on comptait en moyenne 7 réembauches pour 10 départs, on est passé à 5 pour 10 en 2008, 3 pour 10 en 2009, 2 pour 10 en 2010 (et 4 pour 10 en 2011, élections oblige) : La Poste fait mieux (ou pire) que la RGPP. En 4 ans, les responsables de l'entreprise (avec l'aval de l'État) ont supprimé 30 000 emplois (1).

Comme le volume d'activité n'a pas baissé, on comprend tout de suite que les dirigeants de La Poste ont exigé du personnel un effort de productivité supplémentaire, considérable pour une entreprise de main d'œuvre comme La Poste.

Pour imposer un tel effort, les dirigeants ont mis en place des méthodes de management et une conduite du changement aux effets pathogènes, comme  à France Télécom, avec en guise de dialogue social le flicage des consignes et des activités quotidiennes, les sanctions disciplinaires ou l'exclusion des agents qui ne pouvaient suivre le rythme, la chasse aux syndicalistes qui défendaient une autre politique, l'humiliation des cadres qui refusaient de faire de l'abattage et la chasse aux seniors.

Parallèlement, des « réorganisations » successives désorganisaient l'activité et faisaient baisser au total la qualité de service de 50 %.

Quel est donc la raison d'un tel bouleversement de l'entreprise ? En 2008 Jean-Paul Bailly, PDG de l'entreprise, décidait de « transformer » La Poste à marche forcée pour assurer sa rentabilité financière en vue de sa privatisation. Mais cela s'est fait au détriment de l'activité et de la santé des travailleurs.

La suite est connue : une crise sociale sans précédent, un personnel épuisé et démoralisé, et une montée en flèche des actes suicidaires qui mettent de plus en plus en cause le management et le crédit de l'entreprise.

Une « conduite du changement » pathogène.

En 2010, le syndicat des médecins du travail de La Poste écrivait à Jean-Paul Bailly en dressant un bilan très sombre de l’état de santé des postiers, sur le plan physique et psychique. Il a aussi relevé la tentative de suicide de deux de leurs collègues, signe d’une dégradation profonde de l'état sanitaire de l'entreprise. Citons quelques extraits (2).

« Le mal-être au travail touche tous les niveaux opérationnels de l'entreprise. Les agents et leurs encadrants traversent des réorganisations rapides et successives, sont confrontés à des injonctions contradictoires, sans avoir de perspectives d'amélioration. Cette situation est mesurée au quotidien par les médecins de la poste.

Les agents de distribution sont confrontés à des situations d'épuisement physique et psychique. Cela est lié aux nouvelles organisations de travail... Ainsi La Poste crée des « inaptes » physiques et psychologiques ».

Ce courrier énumère ensuite les conséquences pathogènes des réorganisations de La Poste observées par la médecine du travail.

Quels sont donc les principaux sujets d'alerte à La Poste ?

L'humiliation et la contrainte

Le suicide du guichetier de l'Aisne illustre l'un des ingrédients de la crise : le personnel fait l'objet de décisions humiliantes. Par exemple, la suppression de leur poste alors qu'ils sont toujours en place et que leur fonction n'est pas supprimée. Ou l'obligation de repostuler sur son propre poste, suite à chaque réorganisation, ce qui a entraîné la tentative de suicide d'un cadre supérieur de Phil@poste, membre du CHSCT et par ailleurs publiquement humilié devant son équipe lors d’un séminaire obligatoire.

C'est aussi ce qui a entraîné deux suicides de cadres, médiatisés et reconnus en 2012 par la direction.

L’humiliation peut aussi provenir de la déqualification, quel que soit le grade, c’est-à-dire de la mobilité forcée sur un poste de niveau inférieur suite à une nième réorganisation dite de productivité : on met par exemple des cadres sur des postes de niveau inférieur et on les met en situation de faire des tâches d’exécution ou de remplacement pour pallier au sous-emploi dû aux départs non remplacés ou tout simplement pour  les pousser au départ.

Citons encore l’agressivité de la hiérarchie dès qu'un travailleur émet une opinion différente des consignes (ce qui interdit toute adaptation de celles-ci à la réalité), avec le contrôle et l'utilisation des procédures disciplinaires comme moyen de pression vis-à-vis de ceux qui s'écartent du moule.

Les désorganisations calculées


Comme à France Télécom, une autre stratégie consiste à restructurer l’entreprise en permanence, en provoquant le départ en retraite d'office (et à taux réduit ou sans indemnité) des agents les plus âgés. Au lieu d’anticiper le départ échelonné des seniors, on met en œuvre des plans de productivité drastiques, pour exclure de fait ceux que l'entreprise ne peut licencier : les seniors et les fonctionnaires.

Cela explique aussi le burn-out des directeurs d’établissement, qui prennent leur métier à cœur, et qui sont remplacés par de nouvelles recrues qui savent appliquer sans état d’âme les nouvelles méthodes de management de l'entreprise.

La folie productiviste


La folie de la rationalisation des activités conduit aussi à des réorganisations destructrices tant de l'activité que de la santé mentale des travailleurs.

Par exemple, la décision de concentrer et de réguler en amont de la distribution les stocks de courrier se traduit par l’impossibilité d'adapter le volume quotidien de travail à la capacité réelle de travail de l'équipe.

La décision de rationaliser la présentation des offres des guichetiers à la clientèle se traduit par l'imposition de consignes dont le suivi alourdit encore plus le travail du personnel, et par la robotisation des dialogues et des préconisations du guichetier, ce qui conduit à la perte d'estime de soi des salariés et à la perte de confiance des clients.

Le sous-effectif et la surcharge de travail


La décision prise de ne plus remplacer les départs conduit à réduire les volants de remplacement dans des proportions catastrophiques, et La Poste oblige le personnel (sous peine de sanction) à faire le travail des absents, malades ou disparus, en sus de leur propre travail.

C'est le cas par exemple à la distribution du courrier, où « la secabilité », outil de gestion privilégié des absences, consiste à reporter la charge de travail des absents sur les présents, alors que le nombre de boîtes aux lettres des tournées n'a pas baissé et que la baisse relative du volume du courrier est compensée par l'augmentation des trajets effectués due à la croissance du nombre de foyers.

Le Dr Brigitte Font-Le Bret, médecin psychiatre de l'Isère, en relevait en 2011 la conséquence : une dégradation de l’état psychique des facteurs et des guichetiers et un épuisement physique et mental, comme à France Télécom quelques années auparavant.

Quel avenir possible pour La Poste ?


La Poste traverse une grave crise sociale et managériale.

Humiliations et burn-out, désorganisation de l'activité, injonctions paradoxales, pathologies de surcharge : comme on vient de le voir, la décision de supprimer massivement les emplois et de réorganiser  l'entreprise sans contrôle est à l'origine d'une conduite du changement pathogène et de la dégradation de l’état de santé physique et psychique des postiers : 20 suicides et tentatives dénombrées au cours du premier semestre 2012, bien loin du suicide de 2 cadres mentionnés à l'époque par Jean-Paul Bailly (3).

Une crise que la réponse du PDG de l'entreprise à son personnel effleure à peine, lorsque tel Lombard en son temps, il continue d'affirmer vouloir poursuivre les changements qui en sont la cause (5).

Dans un contexte semblable, à France Télécom, le gouvernement précédent avait nommé un nouveau dirigeant non impliqué dans la crise et décidait de superviser une enquête en profondeur sur la situation de l'entreprise.

Force est de constater aujourd’hui que les dirigeants de La Poste poursuivent sans obstacles une politique de changement aux effets pathogènes, qu'une enquête maison s'empresse de valider d'entrée de jeu.

Lors de la publication des comptes du premier semestre 2012, on a pu constater que 4 217 équivalents temps plein ont encore été supprimés, soit un rythme annuel de 8 500 suppressions d'emploi. Le bénéfice des 5 000 emplois supplémentaires annoncés d’ici 2014 par la direction de l’entreprise sera donc effacé en 7 mois d'activité.

  • Il n'y a pas de GPEC à La Poste, il n'y a pas de contrôle de son management, de ses réorganisations et de ses objectifs, les représentants du personnel n'ont aucun pouvoir de négociation quant aux conditions de travail imposées au personnel au risque de sa santé. Et de sa vie.


En matière de gouvernance, de telles décisions devraient être soumises à la négociation des partenaires sociaux :

L'avenir de La Poste ne peut se concevoir qu'avec des  dirigeants qui honorent les termes du contrat social, et à condition que l'on redonne au personnel et à ses représentants le pouvoir de contrôler, d'adapter et de négocier le volume et les conditions de travail à la réalité et aux intérêts de l'entreprise qui sont les leurs.

(1) Évolution des emplois à La Poste entre 2007 et 2011 : les nouvelles mesures annoncées (dont 5 000 embauches à venir) se solderont de fait par 10 000 suppressions d'emploi supplémentaires.
(2) lettre du Syndicat professionnel des médecins de La Poste à Jean-Paul Bailly.
(3) Suicides et tentatives de suicides des postiers depuis 2009.
(4) Lettre de Jean-Paul Bailly au personnel : « chacun mesure l'importance de poursuivre la transformation du groupe... La méthode de conduite du changement continuera à être déployée... Pour conduire ces changements, j'ai décidé de renforcer le comité exécutif du groupe...». Lombard ne disait rien d’autre.

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