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L'état du dialogue social en France 2016-2017
Réalisé comme l’an dernier sous la direction de Marc Ferracci (2), professeur à Sciences-Po Paris, le rapport 2016-2017 combine des données statistiques, des entretiens avec tous les dirigeants syndicaux et patronaux représentatifs au niveau national, un travail de recherche et un sondage exclusif Humanis-Odoxa (3). Après avoir exploré les relations entre dialogue social et développement économique l'an dernier, la synthèse de la recherche académique explore cette année les enjeux et les conséquences actuels et prospectifs de la transformation numérique sur le dialogue social.
La transformation numérique, enjeu croissant du dialogue social
La transformation numérique des entreprises est devenue un véritable enjeu du dialogue social, comme le montrent les prises de position des dirigeants patronaux et syndicaux et le sondage de terrain : 72 % des salariés la considèrent comme un vecteur d’opportunités pour leur emploi et leurs conditions de travail. 41 % d’entre eux considèrent qu’elle modifie les formes traditionnelles de management et de dialogue social.
« La transformation numérique représente un nouveau défi pour le dialogue social. Porteuse de risques sur la cohésion sociale, elle est aussi l'occasion d’enrichir et de mettre en qualité ce qui doit l’être à tous les niveaux du dialogue social (entreprises, branches professionnelles et négociations interprofessionnelles) pour construire le dialogue social du XXIème siècle dans la confiance partagée. L'un des résultats les plus significatifs de la recherche menée est que le partage sans précédent d’informations dans les entreprises peut enrichir le dialogue social informel, qui est le soubassement du dialogue social contractuel, comme le montrait la recherche du rapport de l’an dernier. Ceci pose un nouveau défi : celui de la qualité de l’information numérique », déclare Jean-Pierre Menanteau, directeur général d’Humanis.
La transformation numérique est porteuse d’enjeux et de risques pour le salariat, les conditions de travail et toute la vie des entreprises :
- le développement de nouveaux statuts d’emploi pose la question de la protection sociale des travailleurs indépendants, de l’équité concurrentielle et du financement de la protection sociale ;
- de nouvelles formes de travail apparaissent, comme le développement du télétravail, le co-working et les intra-entrepreneurs. Le dialogue social commence à affronter la question des nouveaux équilibres comme l’équilibre vie privée / vie professionnelle, qui représente l'une des préoccupations prioritaires pour des salariés (à 26 %).
L’économie elle-même est en mutation, les conditions de travail se transforment, le numérique étant partout, des emplois disparaissent, d’autres se créent : il paraît alors nécessaire de bien prioriser la formation et le développement de nouvelles compétences et de nouvelles activités dans le dialogue social.
La transformation numérique pose aussi au dialogue social une série de défis sur ses modalités. Les nouveaux outils numériques (chat, réseaux sociaux d’entreprises, présents dans 80 % des sociétés du CAC 40…) mènent à un partage d’informations foisonnantes et instantanées sans précédent, qui enrichit le dialogue informel au quotidien tout en requérant de nouveaux modes de régulation pour vérifier la qualité de l’information et l’articuler par rapport aux enjeux de la négociation contractuelle. C’est un environnement profondément nouveau pour le dialogue social formel et contractuel, auquel ce dernier commence à s’adapter.
Avec le numérique, le dialogue social aborde donc de nouvelles frontières tant dans ses thématiques que dans ses modalités.
Un dialogue social positif pour 62 % des salariés
Si le contexte national et médiatique du premier semestre 2016 a marqué les esprits au niveau national, la perception globale sur le terrain du dialogue social est restée quasiment inchangée au vu du sondage annuel Humanis-Odoxa.
Les prises de position des dirigeants patronaux et syndicaux dans le rapport sur le dialogue social portent la trace des difficultés qu’ils ont rencontrées sur des sujets d’intérêt national majeur. Sur le terrain et sur les sujets propres à leur entreprise, les patrons et les salariés interrogés n’expriment pas de perception notablement différente entre septembre 2015 et septembre 2016 : 62 % des salariés continuent de qualifier le dialogue social de « très bon ou plutôt bon » dans leur entreprise et 71 % se sentent « épanouis » dans leur travail.
Le dialogue social sur le terrain demeure donc globalement dynamique et constructif dans la continuité de la tendance soulignée l’an dernier, avec des points de convergence et de divergence sans grand changement. En 2015, les accords interprofessionnels (52, en hausse de 86 %) et les accords de branches (1 042, en hausse de 10 %) ont été plus nombreux comme le montrent les dernières statistiques synthétisées dans le rapport. Le nombre d’accords d’entreprise (36 600) est, lui, resté stable et les situations conflictuelles au sein des entreprises sont restées stables à un niveau historiquement bas. Il conviendra toutefois d’attendre les statistiques 2016 sur ce dernier point.
À partir de 2017, l’intensité du dialogue social et des négociations collectives devrait s’accroître car la loi sur le travail va conduire à une augmentation mécanique du nombre d’accords relatifs au temps de travail ou au droit à la déconnexion, tandis que l’évolution législative votée vers 200 branches professionnelles va restructurer le dialogue social au niveau des branches professionnelles.
La confiance dans le dialogue social demeure
Le contexte de la loi sur le travail a eu des effets limités sur la perception du dialogue social sur le terrain avec des nuances un peu accrues par rapport à septembre 2015. Si 80 % des chefs d’entreprise affirment que les partenaires sociaux des instances représentatives du personnel (IRP) sont « à l’écoute et constructifs », les salariés sont toujours une majorité (52 %) à exprimer leur confiance dans les IRP.
Mais, après les tensions provoquées par la loi sur le travail, tous aspirent à un dialogue social apaisé, les chefs d’entreprise (+7 points par rapport à 2015) comme chez les salariés (+5 points).
(1) La teneur du rapport.
[2] Marc Ferracci est professeur à Sciences-Po et à l’Université Panthéon-Assas, membre affilié de la chaire « sécurisation des parcours professionnels » ENSAE-Sciences-Po. Il est spécialiste de l’économie du travail et des relations sociales.
[3] Sondage réalisé par l’institut Odoxa pour le groupe Humanis sur un échantillon représentatif de 988 chefs d’entreprises interrogés par téléphone et par internet, du 20 septembre au 14 octobre 2016, et un échantillon représentatif de 1 073 salariés interrogés par internet les 22-23 et 29-30 septembre 2016.